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EDF: quelles sont les conséquences des nouvelles fissures découvertes dans les réacteurs nucléaires?

L'Autorité de sûreté nucléaire a demandé à l'énergéticien de mettre à jour sa stratégie d'inspection et de réparation des centrales nucléaires après la découverte d'importantes fissures dans trois réacteurs de nouvelle génération.

L'année 2023 pourrait être plus compliquée que prévu pour EDF. Après une année 2022 "noire" marquée par une chute de la production nucléaire française à un plus bas depuis 30 ans et des résultats financiers catastrophiques, l'énergéticien espère dépasser de nouveau le seuil des 300 TWh cette année. Mais cet objectif pourrait être compromis par les nouvelles fissures découvertes dans trois réacteurs de nouvelle génération. En entraînant une révision de la stratégie d'inspection et de réparation des centrales nucléaires, ces défauts vont probablement retarder le redémarrage des infrastructures touchées.

Une fissure d'un genre nouveau à Penly

EDF a révélé dans une note mise en ligne le 24 février un "défaut significatif" sur l'une de ces conduites de secours sur le réacteur de Penly 1, mis en service au début des années 1990. Cette fois, la fissure n'est pas "micro" mais "importante", d'une taille encore jamais envisagée: elle "s'étend sur 155 mm, soit environ le quart de la circonférence de la tuyauterie, et sa profondeur maximale est de 23 mm, pour une épaisseur de tuyauterie de 27 mm", a détaillé l'Autorité de sûreté nucléaire.

"On est au-delà de ce qui est acceptable, d'un point de vue sûreté", a assuré Karine Herviou, directrice générale adjointe de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Autre nouveauté, cette fissure semble liée à des réparations de soudures non conformes au moment de la construction de la centrale. "Il y a eu une approche qui n'est pas acceptable, qui a consisté un peu à forcer les tuyauteries pour les aligner pour les souder, et il y a eu sur cette soudure des défauts qui ont conduit à une deuxième réparation", a expliqué mercredi le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, au Sénat. En outre, elle se situe sur une autre zone de tuyauteries qui jusque-là n'avait pas été considérée par EDF comme sensible à la corrosion sous contrainte (CSC).

Deux fissures liées à la fatigue thermique

EDF a détecté un autre défaut "non négligeable" dû à un phénomène dit de fatigue thermique sur une soudure d'une tuyauterie de secours dans deux réacteurs, selon l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) jeudi, une complication de plus qui pourrait bouleverser le calendrier de maintenance des centrales françaises. Des contrôles "ont permis de détecter la présence de fissures de fatigue thermique", sur des conduites d'urgence "considérées comme sensibles à la corrosion sous contrainte" dans le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly (Seine-Maritime) et le réacteur 3 de la centrale de Cattenom (Moselle), selon une note de l'ASN mise à jour jeudi.

À Penly 2, la fissure mesure 57 mm de long, représentant moins de 10% de la circonférence, pour une profondeur maximale de 12 mm. "Ce n'est pas anodin, il s'agit d'une profondeur non négligeable", a indiqué Julien Collet, directeur général adjoint de l'ASN. L'autre fissure a été repérée à Cattenom 3, longue de 165 mm (représentant environ le quart de la circonférence) pour une profondeur maximale de 4 mm.

Ce phénomène de fatigue thermique qui apparaît sur les aciers inoxydables quand une pièce est soumise à des variations de températures. "Bien connu et surveillé de longue date au titre des programmes historiques de maintenance préventive", selon EDF, il n'était en revanche pas attendu sur la zone de la tuyauterie où il a été découvert, d'après l'ASN.

Le lourd précédent de la corrosion sous contrainte

Bien connue dans l'industrie, la corrosion sous contrainte signifie qu'un matériau se dégrade et se fissure au contact d'un environnement chimique, sur quelques millimètres. Ce phénomène a été décelé en octobre 2021 dans le parc nucléaire d'EDF, à proximité de soudures sur des portions de tuyauterie en acier inoxydable. Cela touche notamment les circuits d'injection de sécurité (RIS), qui servent à envoyer de l'eau borée (contenant de l'acide borique) pour refroidir le réacteur en cas d'accident. Depuis sa détection, EDF s'est aperçu que le problème touchait surtout les réacteurs les plus récents et puissants (1300 et 1450 MW), à cause de leurs sections de tuyauteries plus longues, avec plus de soudures, donc plus fragiles. Par rapport aux fissures récemment découvertes, la CSC en générait de plus petites et sur d'autres zones de ces tuyauteries.

EDF a été forcée depuis fin 2021 d'arrêter nombre de réacteurs pour les contrôler et les réparer: 16 des 56 réacteurs français ont été identifiés comme sensibles à ce phénomène de corrosion. Les travaux sont en cours ou prévus en 2023 pour 10 d'entre eux. Initialement, EDF avait prévu d'inspecter les réacteurs d'abord par ultrasons (sans avoir à découper les tuyaux) avant d'annoncer en décembre des réparations d'office pour 2023.

C'est cette crise industrielle qui a contribué à faire chuter la production d'électricité nucléaire en 2022 à son plus bas niveau historique, en pleine crise énergétique, et à creuser les pertes de l'électricien (17,9 milliards d'euros en 2022). La France a toutefois échappé aux coupures de courant grâce aux efforts d'EDF pour reconnecter ses réacteurs en fin d'année 2022. Finalement, EDF s'estimait en novembre être "sorti d'une situation de crise". Mais avec la nouvelle fissure, de nouvelles incertitudes émergent.

200 soudures à vérifier sur l'ensemble du parc

Selon Julien Collet, les fissures liées à la fatigue thermique ne devraient pas changer "le programme de programme de contrôles à court terme mais EDF devra adapter son programme de maintenances pour inclure les contrôles sur la fatigue thermique sur des zones plus larges." La situation est en revanche plus problématique concernant la fissure découverte à Penly 1. L'ASN a demandé à EDF d'identifier rapidement "les cas semblables qui pourraient exister sur les autres réacteurs du parc nucléaire, pour pouvoir aller contrôler ces soudures", a dit Bernard Doroszczuk devant la commission sénatoriale des Affaires économiques. Plutôt que de contraindre EDF à revoir l'intégralité de sa stratégie de réparation pour l'ensemble de son parc nucléaire, l'ASN a demandé que le contrôle des réparations apportées aux soudures soit ajouté à la liste des obligations du groupe.

EDF n'était pas en mesure de répondre favorablement à nos demandes de précisions quant aux potentiels coûts supplémentaires induits par ces modifications alors qu'EDF a récemment annoncé une perte historique de près de 18 milliards d'euros l'année dernière. Cependant, le groupe nous confirme qu'il doit remettre à l'ASN cette stratégie de contrôle révisée dans les prochains jours. Au total, l'électricien va devoir vérifier 200 soudures dans l'ensemble de son parc, selon l'ASN. "On est sur un point singulier, on n'est pas sur une explication générique. Cela ne veut pas dire que ce défaut ne peut pas apparaître ailleurs", a mis en garde le patron de l'ASN. De quoi provoquer potentiellement des arrêts prolongés de réacteurs et soulever des incertitudes sur la production nucléaire en 2023. Mais il ne devrait "pas y avoir d'arrêts massifs", a indiqué Julien Collet.

"S'il est un peu tôt pour en tirer les conséquences (...), ça rentrera évidemment dans l'évolution de leur analyse de la production nucléaire pour 2023", a estimé Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie.

D'après des informations de Reuters, EDF prévoit de dévoiler en interne aujourd'hui sa stratégie mise à jour pour l'inspection et la réparation de ses centrales nucléaires. Selon un porte-parole du groupe français, l'énergéticien devrait communiquer publiquement cette nouvelle stratégie "dans les prochains jours". "Ces informations soulèvent a minima de nouvelles questions sur la sûreté des 6 réacteurs du même type P4 qui n'ont pas encore été contrôlés (voire sur d'autres réacteurs jugés moins prioritaires dont les circuits ont pu faire également l'objet d'opérations de réalignement)", a tweeté cette semaine Yves Marignac, consultant sur l'énergie et détracteur du nucléaire au sein du groupe de réflexion Negawatt Institute. EDF espère toujours parvenir à boucler les travaux de réparation de la centrale de Penly 1 à temps pour la faire redémarrer début mai.

Timothée Talbi avec AFP