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Euronaval, nid d'espions? Pourquoi le contre-espionnage militaire met en garde les industriels

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La DRSD est le service de contre-ingérence de l'armée française. À chaque évènement international lié à la défense, salon ou foire, ses agents veillent au grain. Sur le dernier salon Euronaval cette semaine, elle a lancé une alerte aux exposants français.

Le salon Euronaval a-t-il été un nid d'espions? Dans un message adressé aux industriels français à l'occasion de la tenue de cet évènement dédié à la défense en mer cette semaine en région parisienne, la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD*) témoignait d'une véritable crainte.

Dans sa dernière note d'information économique, le directeur de ce service, le général Philippe Susnjara, a ainsi mis en garde les industriels français qui se sont rendus à cette manifestation. Le contexte géopolitique tendu "attise les convoitises pour la maîtrise des technologies les plus discriminantes du milieu naval", prévient le patron de la DRSD.

"Ceci pourrait se traduire par un accroissement des tentatives d’espionnage et de déstabilisation des entreprises françaises exposantes", ajoute le service de contre-espionnage.

Questions "très" intrusives et vol d'effets personnels

Les salons défense ont toujours attiré les espions du monde entier. Leur but est de tenter d'obtenir par tous les moyens des secrets industriels. Si ces sujets sont habituellement tenus secrets, les langues se délient sur ces évènements. D'autant que de nombreuses délégations étrangères se déplacent pour assister à ces "mini sommets de défense" qui, à l'exception du salon aéronautique du Bourget, ne sont pas ouverts au public.

Eurosatory a par exemple attiré plus de 200 délégations officielles d'une centaine de pays. Sur Euronaval, le Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (Gican), organisateur du salon, a annoncé la venue de 150 délégations officielles et "1.400 mises en relations BtoB". Autant de possibilités de discuter avec des personnes cherchant à faire du renseignement plus qu'à signer des contrats. D'ailleurs, la DRSD dévoile des cas d’ingérences constatées lors de l'édition 2022 du salon naval.

Des collaborateurs d’une entreprise française spécialisée dans l’optronique navale ont ainsi signalé des questions très intrusives de la part de deux individus qui se présentaient comme ingénieur et responsable commercial d’une entreprise chinoise cherchant à développer des partenariats européens.

"Ils ont exclusivement concentré leurs interrogations sur un modèle innovant exposé par l’entreprise française", rapporte la DSRD.

Cadeaux ou invitations

Un autre cas est encore plus inquiétant. Un spécialiste des drones navals venu présenter un nouveau prototype s'est fait voler ses effets personnels en tombant dans un piège digne d'un James Bond. Il a été invité par une fondation russe à un événement dans un luxueux restaurant parisien. Prudent, il a pris des précautions.

"Craignant pour ses effets professionnels, il décide de ranger son ordinateur, son téléphone portable et son badge professionnel dans le coffre de la chambre d’hôtel", explique le renseignement militaire. Bien mal lui en a pris, car le piège était plutôt bien monté.

"Le lendemain matin, (...) il constate la disparition de son ordinateur et de son téléphone professionnel, ainsi que de son badge lui permettant d’accéder au site industriel de son employeur".

Les méthodes d'espionnage sont nombreuses. Comme nous l'a rapporté un exposant, la plus courante est celle des demandes de stages d'étudiants étrangers.

"Nous vérifions les CV que nous recevons avec les services de renseignement et ils sont douteux plus souvent qu'on ne le pense", raconte un exposant spécialisé dans les systèmes d'artillerie.

Une autre méthode, bien plus difficile à maîtriser, est celle qui consiste à prendre en photo sous tous les angles le matériel exposé.

"On ne peut empêcher cette curiosité, mais quand on découvre un visiteur couché sous un véhicule un smartphone à la main, on prévient aussitôt la sécurité", nous a confié un industriel.

Hausse des opérations d'ingérence

La DRSD a donc conseillé de rester "prudent vis-à-vis des cadeaux ou des invitations". En plus des risques de corruption, une innocente clé USB peut déclencher des catastrophes en série avec des actes d'espionnage ou de piratage.

Et ces actes se multiplient. En juin dernier, lors d'une audition au Sénat, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a dévoilé qu'en 2023, une cinquantaine d'entreprises de la BITD ont été la cible d’attaques "physiques", c’est-à-dire des "intrusions, cambriolages, tentatives d’approches". 80% des ces faits ont visé les sous-traitants des grandes entreprises de défenses comme Dassault, Airbus, Thales, Safran ou Naval Group.

"On est (...) bel et bien sur une opération structurée de gens qui – au gré d’une visite, au gré d’un cambriolage qui paraît quelconque – tentent une intrusion dans une industrie de défense et dont il nous est clairement apparu que ça n’avait rien de domestique, que c’était bel et bien commandité par un acteur étranger", a détaillé le ministre.

* La DRSD est l’un des six services du premier cercle de la communauté du renseignement avec la DGSE, la DGSI, la DRM, la DNRED et Tracfin.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco