Des chercheurs s'unissent pour tenter d'anticiper les guerres du futur et préparer la paix

En tirant parti des nouvelles technologies, il devient envisageable d'anticiper les conflits futurs (photo d'illustration) - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Grâce à la rapide évolution des technologies, les chercheurs commencent à rechercher des moyens scientifiques de prévoir les conflits et les crises à venir, dans l'espoir d'orienter le cours de l'histoire vers la paix. "Il y a tellement de points chauds où la guerre et les conflits se déroulent en ce moment", a déclaré Sirkka Heinonen, professeure à l'université finlandaise de Turku.
"Il est urgent d'anticiper les futurs possibles", a affirmé cette spécialiste membre d'un groupe d'environ 30 chercheurs du monde entier qui se sont réunis début avril à Genève pour une première discussion à ce sujet.
Cette rencontre visant à identifier un cadre et des méthodes de travail était organisée par l'Anticipateur de Genève pour la science et la diplomatie (GESDA), le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) et la School of International and Public Affairs (SIPA) de l'Université de Columbia.
D'autres réunions auront lieu à New York et à Genève cette année, avec pour objectif de créer à terme un forum permanent permettant d'anticiper les événements des années, voire des décennies à l'avance, pour conseiller les décideurs politiques.
"Plusieurs avenirs possibles"
Le programme lancé à Genève "n'a pas été déclenché par la guerre en Ukraine. C'est quelque chose de plus structurel", a expliqué l'ancien sous-secrétaire général des Nations unies pour le maintien de la paix, Jean-Marie Guéhenno, qui dirige un programme sur la résolution des conflits à l'Université de Columbia.
"Il est important d'attirer l'attention sur des choses auxquelles les citoyens ne pensent pas encore", a-t-il déclaré à l'AFP lors des discussions.
À une époque de changements rapides et radicaux, souvent complexes et interconnectés, anticiper les évolutions des mois, voire des années avant, est un défi. Lors de cette première discussion, les experts ont notamment relevé la concentration croissante du pouvoir des entreprises gérant nos données. Il existe aussi une myriade de possibilités et de risques liés au développement rapide de l'intelligence artificielle (IA), y compris l'émergence de robots tueurs, ont-ils souligné.
"Nous vivons dans une société en crise et il existe différents types d'avenirs qui ne sont pas souhaitables", a observé Sirkka Heinonen. "Lorsque nous les explorons, nous devons trouver des solutions pour les empêcher de se produire."
Anticiper le pire donc mais aussi le meilleur. En ce qui concerne les "scénarios d'avenir préférés, nous devons décider des étapes et mesures à prendre pour qu'ils se réalisent", a appuyé la professeure finlandaise.
Un avis que partage Jean-Marie Guéhenno: "L'anticipation consiste à envisager diverses possibilités et à disposer de suffisamment de clarté et de précision pour montrer aux dirigeants politiques les questions à aborder. C'est là que se situe l'action humaine. Si vous anticipez, vous pouvez corriger le tir".
Surveiller le rôle futur de l'intelligence artificielle
Selon Jean-Marie Guéhenno, si un tel exercice d'anticipation avait été mené il y a 20 ans, "nous n'aurions peut-être pas été aussi surpris par l'impact de Facebook aujourd'hui, parce que les dirigeants politiques auraient été en mesure de voir le potentiel perturbateur".
Il juge essentiel d'identifier l'évolution des structures de pouvoir, y compris le fait que les entreprises spécialisées dans le "big data" (mégadonnées) telles que Microsoft, Google et Amazon ont désormais acquis plus de pouvoir que de nombreux États.
"La question de la gouvernance de ce nouveau centre de pouvoir, qui porte sur la gestion des données, n'en est qu'à ses débuts", a expliqué Jean-Marie Guéhenno.
L'ambassadeur suisse pour la diplomatie scientifique, Alexandre Fasel, a souligné pour sa part la vitesse à laquelle l'intelligence artificielle a évolué au cours des quelques mois ayant suivi l'essor de ChatGPT. Au point de susciter des appels de centaines d'experts mondiaux en faveur d'un moratoire jusqu'à la mise en place de systèmes pour aider à distinguer le réel de l'artificiel.
Ces appels sont "la preuve vivante que nous avons besoin d'un instrument" d'anticipation, a-t-il déclaré à l'AFP, avertissant que "ChatGPT est du menu fretin comparé à ce qui va arriver". Anticiper sur plusieurs décennies n'est pas facile. Ainsi par exemple, il y a un quart de siècle, "Poutine n'était pas au pouvoir, nous ne connaissions même pas son nom", rappelle Alexandre Fasel. "Il n'y avait pas non plus de smartphone. Cela vous donne une idée du défi que nous devons relever."