Collision entre deux Rafale: comment travaille le BEA-É chargé de mener l'enquête?

Deux jours après la collision entre deux avions Rafale ayant entraîné la mort de deux pilotes en Meurthe-et-Moselle, les investigations se poursuivent pour tenter de déterminer les circonstances et les causes de cet accident. Une enquête judiciaire a été ouverte à Metz, a annoncé ce vendredi le parquet. En parallèle, le Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l'aéronautique d'État (BEA-É) s'est, lui, saisi de l'enquête de sécurité.
Contrairement au BEA qui travaille pour la sécurité de l'aviation civile et est rattaché au ministère des Transports, le BEA-É enquête sur les accidents et incidents qui concernent les aéronefs de l’État, qu'il s'agisse d'avions de chasse, d'avions de transport, d'hélicoptère ou encore de drones. Son champ d'action s'étend ainsi aux appareils de l'Armée de l'air et de l'Espace, de l'Armée de Terre, de la Marine nationale, mais aussi de la Sécurité civile, de la Gendarmerie nationale ou encore des douanes.
Plusieurs experts mobilisés
Fondé en 2003 et rattaché au ministère des Armées, le BEA-É mène ses enquêtes en toute indépendance. Il est composé "de 25 personnes, dont 10 enquêteurs commissionnés représentant tous les corps de métiers de l'aéronautique- (pilotes, ingénieurs, mécaniciens…) et issus de l'armée de Terre, de la Marine nationale, de l'armée de l'Air et de l'Espace, de la Direction générale de l'armement et de la Gendarmerie nationale", explique l'organisme.
Pour ses enquêtes, le BEA-É fait aussi appel à des effectifs appartenant à d'autres organismes d'État possédant une flotte aéronautique. Il a notamment à sa disposition un réseau de plus d'une centaine d'enquêteurs de première information. Répartis sur tout le territoire, ces derniers ont pour mission de se rendre le plus rapidement possible sur les lieux d'un accident aérien pour collecter les premières informations.
Comme pour tout accident aérien, un groupe d'enquête va mener les investigations sur la collision des deux Rafale. A sa tête, un directeur qui coordonnera les travaux des différents experts (pilotes, mécaniciens, médecin aéronautique, météo, etc.), lesquels peuvent venir de la cellule "études et expertises techniques" du BEA-É ou de la cellule "facteurs organisationnels et humains". "Tout le monde est sur le pont. Il y a des inspecteurs en interne, mais ils feront aussi appel au constructeur Dassault", précise à BFM Business Gérard Feldzer, consultant aéronautique.
"Travail de fourmi"
L'enquête de sécurité du BEA-É est distincte de l'enquête judiciaire. Elle a pour but de déterminer les circonstances et les causes de l'accident et de formuler des recommandations de sécurité. Mais "le boulot du BEA n'est pas de juger", rappelle Gérard Feldzer. La mission de l'organisme relève avant tout de la prévention des accidents, en aucun cas il ne pointera les responsabilités sur tel ou tel acteur.
S'agissant de l'enquête sur les Rafale, la procédure diffère quelque peu de celle suivie lors d'un incident ou d'un accident concernant l'aviation civile car "quand on vole en patrouille serrée, il y a un facteur risque évident. Il faut en tenir compte. Le but, c'est de diminuer cette prise de risque au maximum", explique Gérard Feldzer.
Mais avant cela, il y a un véritable "travail de fourmi" à mener, selon le consultant. Les experts techniques devront notamment analyser les boites noires et faire les constatations sur les appareils impliqués, sur les débris ainsi que sur la zone de l'accident. D'autres experts tenteront d'obtenir des renseignements médicaux sur les pilotes (date du dernier examen médical par exemple) et sur leur comportement pendant le vol. Les conditions météorologiques ou encore les télécommunications seront également analysées.
Autant d'informations qui devraient permettre de répondre à une série de questions: "Est-ce qu'un appareil est en cause? Est-ce qu'ils sont entrés en collision de façon frontale? Est-ce qu'il y a eu des turbulences? La programmation du vol a-t-elle été respectée? Est-ce qu'il y a eu une panne d'oxygène? Un malaise du pilote?", énumère Gérard Feldzer, estimant que le groupe d'enquête devra peut-être reconstituer l'accident "sur simulateur" pour y voir plus clair.
Comprendre les causes et formuler des recommandations
À l'issue du travail d'enquête, un rapport en quatre parties sera rédigé par le BEA-É. Ce document rappellera dans un premier temps l'ensemble des faits et retracera heure par heure le déroulé de l'accident. La deuxième partie sera dédiée aux résultats des expertises, tandis que la troisième exposera "les causes retenues et les facteurs" qui ont pu provoquer la collision. Ce qui devrait notamment permettre de savoir si une défaillance technique ou une erreur de pilotage est à l'origine de l'accident. Enfin, la dernière partie sera consacrée aux recommandations de sécurité du BEA-É pour limiter les risques de voir un tel accident se reproduire à l'avenir.
D'après le bilan d'activité 2023 du BEA-É, le délai entre la survenue d'un accident aérien et la publication du rapport est de 10 mois en moyenne. Reste à savoir si celui consacré à la collision des Rafale en Meurthe-et-Moselle sera rendu public. "On n'a pas d'intérêt à dévoiler absolument tout", juge Gérard Feldzer, car le rapport pourrait contenir des informations sensibles sur un avion de chasse considéré comme l'un des plus sophistiqués au monde, rappelle le consultant aéronautique. En 2023, 4 rapports du BEA-É sur 24 ont été classifiés.