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Carrefour épinglé par Bercy pour "des pratiques abusives vis-à-vis de ses franchisés", le distributeur conteste

Carrefour (illustration)

Carrefour (illustration) - AFP

L'action en justice du Ministère de l'Économie rejoint celle de l'Association des franchisés Carrefour, déposée fin 2023 devant le tribunal de commerce de Rennes, et remet en cause le modèle-phare du distributeur.

C'est un coup dur pour Carrefour. Au terme de plusieurs années d'enquête, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) l'assigne en justice pour "des pratiques abusives vis-à-vis de ses franchisés et locataires gérants, caractérisées par un déséquilibre significatif dans les relations commerciales".

Les services de Bercy estiment que leurs investigations "aboutissent au constat pour plusieurs sociétés du groupe de pratiques contraires au code du commerce".

Ils demandent au tribunal de commerce de Rennes, de "prononcer la nullité de plusieurs clauses des contrats liant les franchisés et le groupe Carrefour, et de prononcer une sanction financière à l’encontre du groupe".

200 millions d'euros, selon le journaliste expert de la grande distribution Olivier Dauvers. Les conclusions de Bercy pointent du doigt des prix de revente conseillés excessifs, l'obligation de s'approvisionner en quasi-exclusivité chez Carrefour ou l'imposition de clauses de résiliation anticipées, au bénéfice du franchiseur et au détriment du franchisé.

Carrefour conteste les conclusions de Bercy

Dans un communiqué publié ce mardi midi, Carrefour "conteste vigoureusement les griefs du Ministère de l’Économie relatifs à la gestion de son réseau de franchise ainsi que le caractère totalement disproportionné de l’amende qui ne pourra être décidée que par la juridiction saisie."

Il estime avoir "une totale confiance dans sa capacité à démontrer la parfaite validité de ses contrats comme l’équilibre de sa relation avec ses partenaires."

"Une minorité de franchisés en désaccord avec Carrefour, poursuit-il, ont contesté en vain l’attractivité et la croissance du modèle que le Groupe a construit avec ses partenaires à l’occasion de plusieurs contentieux portés devant différentes juridictions."

L'assignation de Bercy au tribunal de commerce de Rennes s'ajoute en effet à celle de l'Association des franchisés Carrefour. 170 franchisés, qui l'ont déposée fin 2023, également au tribunal de commerce de Rennes.

Créée en 2020, cette association conteste une relation déséquilibrée, au profit seulement de la maison-mère. Contacté par BFM Business, son secrétaire, Anthony Thébaud, se dit "satisfait" que le ministère public les rejoigne, "cinq ans après avoir ouvert son enquête". Franchisé Carrefour depuis 2012, il estime avoir vu "les choses se dégrader", "depuis l'arrivée d'Alexandre Bompard" aux manettes en 2017.

"Notre crainte, c'est de devenir le prochain Casino"

"À l'époque, la direction avait besoin d'agir" pour améliorer la situation du groupe, concède-t-il. Sauf que les années ont passé et on s'est rendu compte qu'on devenait la variable d'ajustement! C'est la proximité qui absorbe les pertes des hypermarchés et des supermarchés", estime Anthony Thébaud, qui décrit une situation compliquée pour nombre de franchisés. "Bloqués par un millefeuille contractuel, raconte-t-il, ils ne peuvent pas partir", et, en face, "les camions de Carrefour ne les livrent jamais à l'heure et on leur impose des prix de vente dégradés par rapport aux concurrents..."

"On a le sentiment d'être dirigés par des financiers", s'agace le franchisé. "Notre crainte, lance-t-il, c'est de devenir le prochain Casino!"


De fait, les magasins de proximité de Carrefour sont "sa vache à lait", selon Clément Genelot, analyste chez Bryan, Garnier & Co. Ils représentent plus de la moitié des résultats du groupe en France. "En franchise, vous gagnez de l'argent sur deux fronts, explique l'analyste. Carrefour vend la marchandise aux magasins avec une petite marge. Il prend aussi des redevances des franchisés sur le chiffre d'affaires du magasin. Et en face, il n'a pas beaucoup de coûts".

Le titre Carrefour a dévissé ce mardi matin, après la publication des informations de nos confrères de La lettre. D'après Clément Genelot, "ce qui fait peur aux marchés, c'est que le distributeur risque d'être obligé de revoir à la baisse les marges qu'il fait" sur ce modèle de la franchise. "Il y a un vrai risque, selon lui, de voir une refonte structurelle".

De son côté, dans son communiqué, la direction de Carrefour assure qu'elle "continuera de défendre avec confiance ce modèle pour le bénéfice de l’ensemble de son réseau et les milliers de collaborateurs qui y travaillent".

Pauline Tattevin