Quand le géant du paiement fractionné Klarna propose une option... pour ne plus y avoir recours

Logo Klarna lors d'une soirée POPSUGAR organisée à New York le 23 novembre 2019 - ASTRID STAWIARZ / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP
Klarna, le spécialiste mondial du paiement fractionné vient d’introduire une drôle d’option dans son application mobile. Une option de crédit "opt-out": en l’actionnant on peut renoncer, par prudence, à pouvoir bénéficier des solutions de paiements fractionnés que propose… Klarna. Du jamais-vu! Cela participe des filtres anti-addiction qui ont été introduits par des néobanques britanniques mais cela va bien plus loin: dans un contexte de tensions sur le pouvoir d’achat, Klarna invite ses clients à faire attention à la trop grande facilité du recours au crédit qu’il fournit lui-même. Ce n’est qu’une simple option mais, une fois choisie, elle ne peut être annulée qu’en passant par le service client de Klarna.
Pour bien comprendre cette novation assez inattendue, il faut repasser un instant le film en arrière. Quand le paiement fractionné s’est généralisé il y a quelques années, sous l’impulsion de nouveaux acteurs comme Klarna, les banques sont restées d’abord très circonspectes. Ce "Buy Now Pay Later" (BNPL) n’était jamais que du crédit ; une sorte de crédit à la consommation accéléré, simplifié et non sans risque. Fallait-il qu’elles s’y lancent? Un certain nombre d’établissements ont alors choisi d’en charger l’une de leurs filiales, comme BPCE avec Oney ou BNP Paribas avec Floa. Après tout, les commerces et les consommateurs accueillaient à bras ouvert cette nouvelle facilité de paiement et les banques ont cru qu’il pouvait s’agir là d’un produit d’appel pour les offres plus classiques du crédit à la consommation (prêt personnel, crédit renouvelable associé à une carte).
De toute façon, les nouveaux acteurs du paiement fractionné ne faisaient guère peur aux banques. Avec la remontée des taux d’intérêt, un problème de refinancement allait inévitablement se poser. Nous-mêmes l’avions signalé dès mai 2022 dans ces colonnes: Klarna allait passer un très mauvais moment! De fait, l’année dernière, sa valorisation s’est effondrée de 46 à… 6,7 milliards de dollars! Et Klarna a fini l’année avec un milliard de dollars de pertes.
Cependant, ses comptes aujourd’hui se redressent. Klarna pourrait extérioriser des bénéfices dès la fin d’année. C’est que Klarna s’est très vite diversifié. Très rapidement, en fait, la fintech suédoise a compris quelque chose que beaucoup d’acteurs du crédit à la consommation n’ont toujours pas bien saisi: le BNPL est un crédit mais il n’est pas du tout perçu comme tel par ceux qui l’utilisent. Au contraire, s’il a eu tant de succès, c’est qu’il évite le recours au crédit à la consommation ou aux facilités onéreuses des cartes de crédit. Généralement gratuit pour le consommateur, il est si facile que les plus jeunes ne comprennent pas qu’il ne soit pas un mode de paiement général.
Une plateforme d'e-commerce
Sur ce constat, Klarna a lancé avec succès un navigateur d’achats, dopé à l’intelligence artificielle et très ouvert aux valeurs liées à la transition écologique. Une véritable plateforme de e-commerce qui associe modes de paiement et modes de vie et qui ne cesse de s’étendre (accord avec Airbnb, possibilités de revente pour les particuliers, …). C’est sous cette perspective que Klarna peut introduire aujourd’hui, avec un incontestable effet d’annonce, l’option annoncée ci-dessus. Comme si le crédit n’était plus son cœur de métier.
Mais tout cela ne fait qu’illustrer un phénomène beaucoup plus général: la montée en puissance de la banque des usages, qui colle aux modes de consommation, qui accompagne immédiatement les consommateurs. Nous avons déjà souligné combien cela bouleverse complètement l’épargne et suscite l’apparition d’acteurs aussi innovants que la fintech française PennyPet. Mais il y en a d’autres: comme Elyn, qui lance en France le "Try Now Pay Later", tandis que pointe (ailleurs qu’en France) une formule d’achat à terme, très utile en période d’inflation, qui est pratiquement l’opposé du BNPL, le "Save Now Pay Later".
En France, un acteur avait particulièrement senti cette orientation, avant même son rachat par BNP Paribas: Floa Bank (ex-Banque Casino). Prêts instantanés (avec Lydia), mini-prêts "coups de pouce", puis paiements fractionnés: il s’agissait d’être présent, non seulement sur les lieux de vente comme le crédit à la consommation mais directement, via les enseignes, auprès des consommateurs, de répondre immédiatement et de ne pas se focaliser sur l’ouverture de comptes. Floa l’a compris avant bien d’autres et pourrait être aujourd’hui un fer de lance de ces facilités de paiement, de plus en plus autonomes par rapport au crédit à la consommation classique et dont le champ ne cesse de s’étendre: avances salariales pour éviter les découverts, cagnottes et paiements groupés, facilitation des reventes et de l’économie circulaire, paiements de particuliers à particuliers (avec l’incroyable succès de Venmo/Paypal, devenu un moyen de paiement courant aux Etats-Unis)... Le vrai champ cependant n’est pas celui des solutions de paiement en tant que telles mais l’accompagnement des moments et des styles de vie, surtout dans un contexte économique difficile.
Etablissements "hybrides"
Apparaissent ainsi des établissements "hybrides" qui sont formellement des banques mais qui ne fonctionnent plus exactement comme ces dernières. Qui généralisent et standardisent des modes opératoires nouveaux (open banking pour l’appréhension des risques, interface mobile essentielle à la place d’une relation fondée sur la gestion d’un compte, assistance personnalisée mais automatisée, insistance sur la sécurité des données, …). Il est donc à prévoir que les banques classiques seront prochainement tentées, comme BNP Paribas avec Floa, de pousser ces surgeons hybrides à part de leurs activités courantes.
Il y a cependant un problème! Si l’on suit la dernière édition de l’enquête de Bain & Company menée auprès de 29.805 consommateurs dans 11 pays, concernant leurs attentes et usages des services financiers, on constate que la fragmentation du marché bancaire est désormais généralisée et semble irréversible. Il faut entendre par là le fait que la majorité du public tend désormais à avoir recours à plusieurs prestataires pour ses besoins de paiement, de crédit et d’épargne. Or, constate Bain, ce sont les nouveaux modes d’accompagnement des usages de paiement qui pour l’essentiel poussent à changer de banque et attirent le plus le public. Il sera difficile donc, pour les banques, de les compter durablement comme des entités à part.