La grande révolution à venir des façons d'épargner et de mettre de l'argent de côté
Mettre de l’argent de côté en limitant ses dépenses et en renonçant à certains plaisirs immédiats est sans doute l’un des comportements humains de base qui ont le moins évolué depuis des millénaires! Bien entendu, si cette épargne est confiée à un établissement financier ou à une entreprise qui vont la replacer ou directement l’utiliser, elle devient un placement financier ou un investissement. Mais même alors, cela ne change pas l’acte d’épargne lui-même qui est essentiellement un effort (le prix d’un renoncement), un solde (le reste d’un revenu) et une réserve (une somme globale qui pourra servir dans différents cas). Rien de plus banal. Pourtant, cette psychologie pourrait bientôt changer et l’épargne trouver d’autres manières d’être envisagée et employée.
Depuis quelques années sont en effet apparus des "coachs d’épargne". Des applications numériques qui fournissent une assistance pour mieux gérer son épargne et souvent son budget. Or, certains de ces nouveaux outils renversent déjà l’une des règles de base que nous venons d’énoncer. Plum par exemple, avec son "Money Maximiser", a introduit le principe d’une mise en épargne systématique (sur différents supports au choix) de tous ses revenus et l’on en retire, sur la base d’une estimation automatisée, ce qui est nécessaire pour les dépenses courantes.
L’épargne n’est plus l’exception, ce qui reste une fois nos dépenses faites, elle devient la règle: le revenu est immédiatement épargné, sous la forme de différents types de dépôts rémunérés, que l’application recommande et que les dépenses viennent diminuer.
L’effort ainsi est identique: il s’agit d’arriver à garder (mais non plus à mettre) de l’argent de côté mais l’effet n’est plus exactement le même. L’épargne n’est plus ce à quoi il faut bien penser au fil de ses dépenses mais ces dernières viennent plutôt diminuer une épargne déjà constituée. Psychologiquement, le rapport de nécessité de certaines dépenses n’est plus exactement le même.
Gérer son budget en fonction de son épargne
Cependant, si les dépenses ont un impact de la sorte sur un revenu d’emblée épargné, elles n’ont pas toutes les mêmes échéances ni la même nécessité. Il faut donc concevoir des comptes d’épargne spécialisés par affectation (dépenses prochaines ou très lointaines, simples projets, …), avec des rémunérations variées et d’autant plus fortes que l’argent est laissé plus longtemps sur les comptes (pour l’effet incitatif). C’est ce que propose avec succès Zopa, pionnier du financement participatif et désormais banque de plein exercice, au Royaume-Uni. Finie l’épargne réserve globale – le gros cochon-tirelire - dont on pourra un jour disposer sans que l’on sache très bien à quoi elle servira. L’ensemble du revenu tendant à être épargné, il ne s’agit plus de mettre un peu ou plus de côté. C’est à partir de l’épargne que la gestion de son budget est envisagée.
A chacun de personnaliser ainsi ses différents comptes d’épargne en fonction de ses propres objectifs. C’est en somme une version numérique des "enveloppes-budget" qui ont fait, notamment sur TikTok, un grand retour avec la crise. Mais il ne s’agit pas seulement de répartir des sommes. L’épargne est rémunérée. L’argent est disponible à tout moment sans pénalités ni commissions. Mais on peut booster certaines enveloppes, qui généreront une rémunération supérieure, à la condition d’accepter un préavis variable de retrait des fonds. La formule conjugue: une réassurance quant à la disponibilité des fonds, une flexibilité selon ses objectifs d’épargne et une contrainte de préavis qui pousse à l’effort, assortie d’une récompense en termes de rémunération.
Seulement, si l’acte d’épargne devient ainsi inséparable de différentes projections, il faut aller beaucoup plus loin: il faut épargner avant d’acheter, c’est-à-dire acheter bien plus largement à terme. L’idée s’installe actuellement en Asie, en Malaisie ou en Inde, avec de nouveaux acteurs comme Multipl, par exemple. Elle a trouvé un nom : le "Save Now Buy Later", par opposition au paiement fractionné ("Buy Now Pay Later"). On passe commande et l’on épargne jusqu’à l’achat final. Aussi intéressante en période de taux faibles qu’en période d’inflation, la formule évite le risque de non-règlement du paiement fractionné, dispense du premier paiement et permet de bénéficier de réductions, assimilables à une rémunération.
Répondant au double souci d’épargner par précaution et de s’assurer de l’avenir, Multipl est une plateforme de vente en ligne mais à terme. Si l’on souhaite acheter un bien, on se manifeste auprès du vendeur et l’on commence à épargner pour le régler. Cette épargne est placée sur un compte d’épargne public ou bien directement confiée au vendeur. Dans les deux cas, on bénéficie de réductions importantes et de la garantie que le bien sera effectivement cédé à ce prix. Multipl ne prend aucune commission et l’argent épargné reste à tout moment disponible. Multipl se rémunère auprès des vendeurs, auxquels il permet d’augmenter leur chiffre d’affaires et de faire crédit sans plus de souci d’encaissement et d’impayés.
Epargne automatisée et assistée
Apparue en France avec le projet Adva il y a trois ans, l’idée n’a intéressé personne. Pourtant, une jeune pousse française encore en lancement, PennyPet, a pris l’intéressante initiative de l’étendre au cas des animaux familiers, avec une formule qui cumule tous les bouleversements dont l’épargne fait actuellement l’objet.
On alimente régulièrement un compte dédié sur la base d’une estimation assistée de ses dépenses vétérinaires futures. On bénéficie ainsi de réductions sur les soins courants et d’un fonds de secours pour des dépenses importantes imprévues. Cela évoque assez la Chine antique, où l’on payait son médecin tant que l’on était bien portant et pour le rester, tandis qu’on ne payait pas ses services si l’on était malade. Avec une telle formule, l’épargne rejoint l’enveloppe budgétaire, l’achat à terme, l’assurance et finalement l’abonnement. Elle doit être de plus "affinitaire", c’est-à-dire accessoire, donc automatisée et assistée.
Bref, strictement contraires depuis toujours, épargne et dépenses deviennent de plus en plus indissociables. C’est un bouleversement en cours dont nous ne percevons encore sans doute que les prémisses.