Les banques sont-elles vraiment assez solides pour éviter une nouvelle crise financière?

Ces dernières semaines, l’actualité a été marquée par plusieurs défauts d’établissements bancaires. Rien à voir, cependant, entre les déboires annoncés du Credit Suisse, le cas très particulier de la Silicon Valley Bank (SVB), la débâcle de Silvergate et de la Signature Bank liée au scandale FTX et la mise sous surveillance par Moody’s de six banques américaines petites et moyennes, dont la First Republic Bank, très malmenée sur les marchés.
Face à cette tourmente, qui a rallumé toutes les craintes liées à un effondrement global, systémique, du système bancaire, le ministre des Finances français, le gouverneur de la Banque de France puis le président de la Fédération bancaire française (FBF) ont tour à tour assuré que les risques de contagion étaient quasi inexistants pour les banques françaises.
Ces paroles n’ont certainement pas été prononcées en l’air. Elles s’appuient sur un dispositif réglementaire très contraignant, sur des stress tests régulièrement menés concernant l’exposition des plus grandes banques à des scénarios défavorables. Elles tiennent compte enfin des réalités: effectivement, le risque que les défaillances actuelles mettent en difficultés, par effet de contagion, les établissements français semble quasi inexistant.
Pourtant, ces déclarations sont-elles vraiment rassurantes? Pas davantage sans doute que ne sont crédibles tous ceux – ils sont nombreux ! – qui nous assurent que les banques sont dans un état de quasi-faillite qu’un rien pourrait suffire à provoquer. Et ceci, dans les deux cas, pour la même raison: les banques financent l’activité économique. Elles sont naturellement exposées à tous ses aléas. Une ou des banques peuvent faire défaut – nous en avons des exemples sous les yeux – mais dire que quasiment toutes les banques seraient dans une sorte de faillite larvée n’a pas de sens tant que l’économie elle-même ne s’est pas effondrée. Réciproquement, souligner la solidité des banques parce que leurs ratios réglementaires sont respectés ne vaut que dans la mesure où l’économie elle-même ne connait pas d’évolutions majeures. C’est exactement ce que le cas de SVB vient de démontrer.
La fin de l'argent gratuit
Comme d’autres banques moyennes américaines et du fait d’un lobbying efficace, la SVB s’était affranchie de certaines règles prudentielles. On ne voit pas toutefois comment celles-ci auraient pu faire plus que retarder une issue inévitable. Combien de jours permettent de tenir 10% à 15% de fonds propres réglementairement sécurisés en regard des actifs quand un établissement voit ses dépôts se réduire de près du quart en une seule journée ? Et que valent ces fonds propres lorsqu’ils sont majoritairement placés en bons du Trésor dont la remontée des taux a fait mécaniquement plonger la valeur?
La SVB opérait sur un secteur – celui des start-up – qui était évidement exposé à la fin de l’argent gratuit. Tout le monde aurait dû le réaliser et, dans l’affaire, c’est le manque total d’anticipation qui a été fatal. Qu’il s’agisse des start-up, ne pouvant réaliser que les financements des investisseurs, dont elles vivaient très largement tant que l’argent était gratuit et qui les dispensait souvent du souci d’être rentables, pouvaient se tarir - la SVB a souligné que leurs dépenses restaient largement supérieures à leur niveau de 2021.
Qu’il s’agisse des autorités fédérales et californiennes qui paraissent n’avoir rien vu venir, alors que des rumeurs quant à la survie de la SVB circulaient depuis des mois. Ou qu’il s’agisse de la SVB elle-même qui, tout récemment encore, proposait aux start-up des avances sur leurs levées de fonds futures, qu’elle refinançait ensuite sur le marché. Ces levées de fonds s’étant drastiquement réduites avec la hausse du loyer de l’argent, la dernière opération de ce type n’a guère trouvé preneurs et cela a été le facteur déclenchant de la crise. Dans l’affaire, il n’y a que les dirigeants de la SVB qui ont fait preuve de clairvoyance, vendant en masse, avant que tout ne s’écroule, les actions qu’ils détenaient (ils sont poursuivis à ce titre aujourd’hui).
Pourquoi un tel aveuglement? Beaucoup affirment que ce qui se passe aujourd’hui témoigne qu’aucune leçon n’a été vraiment tirée depuis la crise de 2008. Mais il n’en est rien. En 2008, les autorités américaines ont laissé sombrer un grand établissement, Lehman Brothers, créant une crise de confiance qui s’est elle-même traduite par une crise de refinancement des banques. La solution n’a été trouvée qu’au début des années 2010: des injections massives de liquidités de la part des banques centrales.
Depuis un peu moins d’un an, la Federal Reserve Bank annonçait vouloir en finir avec ces injections d’argent gratuit. De toute façon, pour lutter contre l’inflation, elle a remonté brutalement ses taux, de 0% à 4,5% en neuf mois. Or qu’a-t-on vu avec la SVB? Les fonds d’investissements ou les start-up qu’ils finançaient – tout est parti du Founders Fund de Peter Thiel – dont les dépôts auprès de l’établissement risquaient de ne pas être récupérés en cas de fermeture, ont sciemment créé la panique sur les réseaux sociaux, provoquant un bank run quasiment sans précédent. Comme s’il s’était agi de forcer la Fed à intervenir, en jouant sur la peur d’un risque systémique frappant toutes les banques. La leçon de 2008 avait bien été apprise. On comptait en dernier ressort sur la Banque centrale.
La crise de 2008 digérée
Or, c’est finalement bien ce que la Fed a fait, garantissant tous les dépôts de SVB et permettant aux banques, pour faire face à des retraits massifs, d’emprunter auprès d’elle à travers un Bank Term Funding Program en gageant leurs actifs, y compris les bons du Trésor… à leur valeur faciale, donc en neutralisant leur dépréciation provoquée par la remontée des taux.
La Banque nationale suisse n’a pas agi différemment, permettant à UBS d’acquérir à la casse (3 milliards de francs suisses) un établissement qui valait encore plus de 7 milliards trois jours plus tôt (et 27 milliards trois ans plus tôt). Cela avec une garantie de 9 milliards quant aux actifs douteux qu’UBS pourrait découvrir dans les livres du Crédit Suisse et une ligne de liquidité de 100 milliards, pour éviter que la crise de confiance qui a affecté le Crédit Suisse, marquée par des retraits massifs, ne se propage à son nouvel acquéreur.
Que conclure de tout cela? Que la crise de 2008 est bien dépassée. Plus de nationalisations ni de sauvetages directs des Etats – dans les deux cas de SVB et du Crédit Suisse, les actionnaires et les premiers créanciers devront prendre leurs pertes – mais une action des banques centrales comme prêteurs en dernier ressort (et qui avec l’arrangement trouvé par la Fed sur la valeur faciale des bons du Trésor pour les banques, lui permet de continuer par ailleurs à hausser les taux).
On se focalise sur les risques de contagion mais les interventions des banques centrales neutralisent le risque systémique d’illiquidité que les banques sont, compte tenu des sommes en jeu, incapables de couvrir seules. Dès lors, que vaut de souligner leur solidité au vu des ratios réglementaires? Les banques sont soumis aux aléas de l’économie ; comme la remontée des taux, dont l’impact ne sera pas limité au secteur de la Tech.
Mais qui l’anticipe, notamment au niveau de la Banque centrale européenne? Certes, qu’il s’agisse de leurs résultats, de leurs réserves ou de leur diversification, les grandes banques sont aujourd’hui solides dans l’ensemble. Mais que vaudront demain les gigantesques portefeuilles de crédits immobiliers accordés à des taux beaucoup plus faibles que ceux qui se sont d’ores et déjà imposés sur les marchés? Cela pourrait se traduire par des perspectives de pertes face auxquelles les ratios réglementaires compteront moins que les capacités d’intervention des banques centrales.