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Assurance Banque

De la fin du secret bancaire à la fin de votre intimité financière?

On va de plus en plus vous inciter à lever le voile sur vos données bancaires

On va de plus en plus vous inciter à lever le voile sur vos données bancaires - Stéphane Danna - AFP

[AVIS D'EXPERT] La transmission de vos données bancaires à des tiers va devenir de plus en plus courante. Décryptage avec notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Les banques et les établissements financiers assimilés sont soumis au secret bancaire. Il leur est interdit de divulguer à des tiers les données dont ils disposent concernant votre vie financière. Cette disposition souffre de nombreuses exceptions. Elle n’est pas opposable à plusieurs administrations, ni à la justice. De plus et notamment dans le cadre de conventions fiscales internationales, le secret bancaire a été largement remis en cause ces deux dernières décennies. De manière générale, il a mauvaise presse. Il est soupçonné de couvrir trop facilement des actes délictueux, du financement du terrorisme à l’évasion fiscale.

Pour autant, aimeriez-vous que vos comptes bancaires soient facilement accessibles? Qu’ils soient examinés par de nombreuses autres personnes que votre banquier? C’est pourtant probablement ce qui va arriver.

Une première brèche a été ouverte avec le crédit à la consommation, dès lors que nos fiches de paie devant être produites pour l’obtention d’un crédit sont remises directement aux personnels des magasins où nous faisons nos achats à tempérament. Désormais, il ne s’agira plus de vos fiches de paie mais, de plus en plus, de l’accès à votre ou vos comptes bancaires. La Directive dite "DSP2" oblige en effet les banques à transmettre vos données bancaires à des tiers, autres banques ou établissements de paiement, dès lors que vous en faites la demande. Vous-mêmes levez ainsi le secret bancaire concernant vos propres données, ce qui semble tout à fait acceptable. Mais aurez-vous bientôt le choix de faire autrement?

La fintech Algoan propose le scoring en libre-service instantané. A travers un dispositif très simple d’API, n’importe qui peut ainsi mettre en place un système de crédit – de paiement fractionné notamment – qui de manière automatisée analyse vos dépenses et revenus en quelques secondes. N’importe qui? Dans un premier temps, ce sont surtout les plateformes de financement participatif ou de paiement fractionné qui sont visées. Mais pourquoi pas demain des loueurs de biens immobiliers ou de véhicules, ou tout autre service ayant intérêt à savoir si vous êtes un client financièrement fiable? Ces acteurs pourront-ils stocker vos données? Les partager avec d’autres – avec votre accord formel bien sûr mais sans lequel vous n’aurez pas de financement? La réglementation est encore floue.

Une première étape

Bien entendu, vous entendrez que tout ceci est pour votre bien. Que de telles solutions sont davantage inclusives et responsables. Bien sûr. Et le snobisme y aura sa part. Attendez-vous donc à entendre autour de vous pas mal de gens vous expliquer qu’ils ne voient pas là de problème ; ce qui sera une manière pour eux de marquer que leurs revenus le leur permettent. Mais concrètement? Sachant que de telles solutions auront tendance à se généraliser dans la mesure où elles procurent aux prêteurs de tous types une forte commodité et une estimation des risques renforcée – quel meilleur moyen de juger de la fiabilité d’un emprunteur que de surveiller directement ses comptes en effet? – comment cela se passera-t-il?

Concrètement, estimer vos capacités financières ne sera qu’une étape. On voudra également en tenir compte pour vous proposer d’autres offres. Dès lors, puisqu’on le pourra, on scrutera vos dépenses. De telles informations vaudront cher. Et, comme il s’agira d’aller vite, le plus simple sera de vous donner finalement une note, un score, qui conditionnera votre accès à certains services. C’est ainsi que destiné d’abord uniquement aux emprunts bancaires, le credit score individuel, dans plusieurs pays anglo-saxons, s’est étendu à d’autres services comme la location de logements. De la même manière, le Sesame Credit d’Alibaba/Ant Financial, a très vite été utilisé par les agences matrimoniales et réseaux de rencontres chinois.

Que les pouvoirs publics s’emparent de ce système et y agrège des comportements citoyens (y compris les sanctions et contraventions) et nous avons le crédit social à la chinoise (issu lui-même de Sesame Credit). Sous une première version européenne, il est expérimenté à Rome et devrait l’être à Bologne après l’été.

Dès lors que le secret bancaire n’aura plus vraiment lieu d’être, ainsi, est-ce notre droit à l’intimité financière qui disparaîtra quasiment? Jusqu’ici, notre banquier était notre confident nécessaire. Il pouvait savoir beaucoup de choses sur notre vie financière et sur notre vie tout court mais dans le cadre d’une relation personnelle, à laquelle le secret bancaire fixait de sérieuses limites. De plus en plus, on nous fera crédit hors des banques à travers des boîtes noires, sans qu’on sache qui nous juge à travers elles ni surtout selon quels critères. Sans qu’on sache non plus ce que l’on sait de nous, ni à qui sont communiquées nos données. On en viendra peut-être un jour à regretter le temps où, pour un crédit, il fallait aller voir son banquier.

Par Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor