Agroalimentaire: comment les entreprises s'adaptent à la flambée des coûts

"C'est juste dingue". Face à des coûts qui flambent dans tous les sens, l'industrie agroalimentaire française tente de garder la tête hors de l'eau. "Le contexte actuel est incroyable: on pensait que l'année 2022 serait celle du retour à la normale après la crise sanitaire. L'activité a bien repris, mais pas du tout calmement", confirme Jean-Marie Le Bris, directeur des produits grande consommation de la coopérative laitière Laïta. L'entreprise, connue pour sa marque Paysan Breton, négocie actuellement des contrats d'énergie pour l'année à venir. "Quand il y a des volumes disponibles sur le marché, ce ne sont pas des prix raisonnables", regrette-t-il.
C'est bien l'énergie qui inquiète aujourd'hui les entreprises, notamment les TPE et PME qui représentent 98% des 16.000 entreprises du secteur en France. Dans les Yvelines, Andrésy Confitures navigue à vue: la PME familiale consomme une grande quantité de gaz pour produire de la vapeur nécessaire à la fabrication de ses confitures, pour certaines opérations comme la pasteurisation, et l'électricité fait tourner les machines, les congélateurs et les réfrigérateurs. Contrairement aux années passées, "l'énergie est désormais une charge majeure dans notre coût de revient", assure son président, Bruno Cassan, qui a mandaté un courtier pour faire le tour des énergéticiens.
"Ce n'est pas possible"
Les marges de manœuvre sont limitées. Beaucoup d'entreprises s'étaient déjà engagées dans une politique d'économies, et une moindre consommation énergétique nécessite souvent le renouvellement des machines. Or, difficile d'investir des sommes conséquentes pour s'équiper de nouvelles chaudières dans la situation actuelle, d'autant plus qu'il est difficile de savoir de quelle manière elle évoluera dans les prochains mois. Il faut aussi se préparer à d'éventuelles coupures hivernales en cas de tension sur le réseau. "On pourrait décaler nos horaires ou travailler la nuit, on l'a déjà fait cet été pendant les grosses chaleurs", avance Bruno Cassan.
Pour répondre à l'inquiétude croissante des industriels de l'agroalimentaire, le ministre de l'Agriculture a récemment promis de "faire en sorte" que le secteur soit prioritaire si l'alimentation électrique venait à être interrompue. Arrêter temporairement la production est complexe, voire impossible, pour ces entreprises qui travaillent avec des produits frais (et alimentent les supermarchés). "Ce n'est pas possible de faire du 'stop and go' car le sucre cristallise" si l'on coupe les lignes de production, explique Michel Poirrier, à la tête du confiseur nordiste Sucralliance. Après chaque arrêt, il faut tout nettoyer à l'eau chaude avant de relancer la fabrication des bonbons.
Rationnaliser la gamme
À l'énergie s'ajoutent la hausse des prix des emballages, des matières premières agricoles, de la logistique, sans compter les difficultés d'approvisionnement. Pour y faire face, on adapte les gammes. Du côté de Paysan Breton, la fabrication des produits les plus compliqués à produire, et donc les moins rentables, est provisoirement suspendue par Laïta. L'objectif est d'optimiser la production en misant sur les grandes séries: pour éviter les ruptures de stock de son fromage à tartiner Madame Loïk, qui connaît un grand succès dans les rayons, la coopérative va se focaliser sur la saveur "nature" au détriment des fromages assaisonnés.
En Alsace, la SCOP Maurer-Tempé ajuste également les volumes de ses produits. Si le charcutier-traiteur, racheté par ses salariés en 2019 après une liquidation judiciaire, a sécurisé ses contrats d'énergie, il pâtit de la forte augmentation de la viande de porc, ingrédient de base pour la charcuterie alsacienne. "Nous avons concentré nos effectifs sur les produits de la gamme permanente" qui présentent un "juste équilibre des coûts", précise Analito Gomes, directeur du site de Kingersheim, près de Mulhouse. Les fêtes de fin d'année en ligne de mire. Les commandes seront honorées, mais "s'il y a des demandes de réassort, nous n'irons pas si ce n'est pas rentable", note-t-il.
Hausses de prix
D'un avis presque général, une hausse des prix de vente dans les rayons reste incontournable pour rester à flot. Plusieurs vagues d'augmentation des tarifs, parfois à deux chiffres, ont déjà été passées à l'issue de négociations commerciales avec la grande distribution et d'autres devraient arriver. Mais le juste équilibre est difficile à trouver: il faut compenser ses coûts de production, sans rebuter ses clients habituels dans les magasins. "Nous avons rogné sur nos marges", indique Anaïs Brulin, responsable marketing de la SCOP alsacienne, car "nous voulons que le consommateur puisse encore acheter nos produits".