"Nous ne sommes pas des machines": les pilotes indiens sursollicités par les compagnies, la fatigue a-t-elle causé le crash d'Air India?

Plus de deux mois après le crash meurtrier d'un Boeing 787 d'Air India faisant 260 morts, les explications de ce drame restent parcellaires. Seule certitude, l'alimentation en kérosène des deux réacteurs de l'appareil a été interrompue de manière intentionnelle juste après le décollage d'Ahmedabad.
Le profil des pilotes est donc observé de près. Y-a-t-il eu une volonté suicidaire de l'un d'entre eux ou tout simplement une fatigue excessive débouchant sur une erreur fatale?
Selon le Wall Street Journal, cette dernière piste n'est pas à écarter. Le quotidien américain met en avant des plaintes récurrentes des pilotes indiens face à une charge de travail trop importante.
Pour répondre à la demande toujours plus forte de voyages en avion, les compagnies aériennes du pays pousseraient les pilotes à effectuer le nombre maximal d'heures de vol autorisé (35 heures de vol sur une période de sept jours consécutifs et 100 heures sur 28 jours consécutifs), et leur accorderaient souvent un repos insuffisant.
Le trafic aérien en Inde a bondi de 80% en 10 ans
Il faut dire que le nombre de vols en provenance d'Inde a bondi de près de 80% en dix ans pour atteindre 1,3 million en 2024. Le pays a plus que doublé le nombre de ses aéroports en 10 ans, pour atteindre plus de 150. Mais à date, le pays ne compte que 7.000 pilotes en exercice, un nombre insuffisant pour les syndicats.
Des plaintes ont été déposées pour obtenir de meilleures conditions de travail et des tribunaux ont en effet estimé que les compagnies aériennes indiennes ne respectaient pas les règles de repos obligatoires.
D'ailleurs, toujours selon le WSJ, Air India a affirmé aux autorités, lors de déclarations volontaires, avoir sous-évalué ses vols long-courriers, n'avoir pas accordé de périodes de repos adéquates aux équipages. Pire, la compagnie a autorisé des pilotes à voler sans la formation requise.
Mais ni la compagnie aérienne ni l'autorité de régulation n'ont divulgué le nombre d'heures travaillées par les deux pilotes avant le crash.
Pour autant, preuve que cette piste est prise au sérieux, le régulateur indien de l'aviation a menacé Air India de mesures coercitives pour violation des réglementations relatives à la formation et à la prévention de la fatigue.
Des règles de repos non respectées
La coupure des interrupteurs d'alimentation est-elle le résultat de cette fatigue ou de ce stress? Les enquêteurs ont déclaré en juillet qu'il était trop tôt pour tirer des conclusions définitives tout comme le directeur général d'Air India.
Si l'Association des pilotes de ligne indiens refuse pour le moment d'établir un lien de cause à effet, elle a demandé aux autorités d'examiner la question de la fatigue des pilotes de manière globale. "Nous ne sommes pas des machines, nous sommes des êtres humains", a ainsi déclaré Anil Rao, pilote et secrétaire général du syndicat.
"Les limites (en nombre d'heures, NDLR) sont prévues pour des situations extrêmes, et non pour un emploi du temps quotidien. Mais les compagnies aériennes les utilisent quotidiennement. C'est comme conduire une voiture à pleine vitesse chaque jour", a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, un porte-parole d'Air India conteste ces allégations et déclare que la compagnie aérienne respectait scrupuleusement toutes les réglementations et que ses pilotes volaient "largement dans les limites autorisées" fixées par les autorités de régulation.