Abonnés mobile, box, antennes et boutiques… Bouygues Télécom et Free discutent du partage de SFR

Ça y est, le rachat de SFR est lancé. Selon nos informations, Patrick Drahi a envoyé mi-juin les données financières détaillées de son opérateur télécom pour 2024. L’homme d’affaires espère valoriser SFR autour de 23 milliards d’euros -dont 15 milliards d’euros de dettes- selon un de ses créanciers. Il en retirerait ainsi environ 4 milliards d'euros puisqu'il détiendra 55% de SFR après sa restructuration, négociée pour une valorisation plus faible, de 26 milliards d’euros.
Mais le chiffre d’affaires a continué à reculer de 5,8% au premier trimestre. "Ils ont beaucoup cassé les prix depuis le début de l’année pour nous mettre la pression", décrypte un autre opérateur. Patrick Drahi veut aller vite et trouver un accord pour la fin de l’année.
"On peut en avoir un à la rentrée, reconnait un pilier du secteur. Mais le découpage de SFR est très complexe."
Tout le sujet est là. Bouygues Télécom et Free doivent se partager les activités de leur rival. Le leader Orange jouera un rôle limité pour des raisons de concurrence. "SFR a bien avancé sur ses schémas de répartition d’actifs à ses concurrents", assure un de ses nombreux créanciers.
Xavier Niel et Martin Bouygues suivent les discussions
Selon plusieurs sources, les discussions se sont intensifiées ces dernières semaines. Pour le moment, elles restent techniques et menées par les dirigeants, épaulés de leurs avocats et banquiers. Le directeur général de Bouygues, Olivier Roussat et son secrétaire général, Didier Casas ainsi que le directeur général de Free, Thomas Reynaud sont en premières lignes. Les propriétaires, Xavier Niel et Martin Bouygues, suivent les débats de près mais aucune rencontre n’a encore eu lieu. Quant à Patrick Drahi, il n’est pas en France…
"On regarde qui veut quoi et évidemment, on veut la même chose!", s’amuse un de ces dirigeants.
Parmi les atouts convoités: les abonnés fixe et mobile de SFR par exemple, plus rentables que ceux de la marque Red, les fréquences mobile et la branche dédiée aux entreprises. Contacté, SFR n’a pas souhaité commenter nos informations et reste "concentré sur la restructuration de sa dette" qui sera bouclée fin septembre.
Le réseau mobile pour Bouygues
Bouygues et Free discutent ainsi de la répartition de l’énorme parc de 20 millions d’abonnés mobile de SFR. Sauf qu’une donnée de taille complique les discussions: une partie du réseau mobile de SFR est déjà partagé depuis 10 ans avec Bouygues Télécom. Les deux opérateurs exploitent 15.000 antennes en commun. Difficile de tout détricoter et la logique veut que Bouygues Télécom reprenne les 50% du capital du réseau, baptisé "Crozon".
"Free ne veut pas récupérer les antennes de SFR, assurent plusieurs sources proches du dossier. Mais Bouygues râle car il va doubler ses coûts de réseaux."
La facture supplémentaire serait comprise entre 200 et 300 millions d’euros. Un argument que le groupe brandit pour justifier de reprendre un maximum d’abonnés mobile de SFR afin d’amortir ces coûts.
Le partage des abonnés aux box SFR
L’autre pépite de SFR, ce sont ses six millions d’abonnés Internet que ses trois rivaux lorgnent. La plupart pourraient ainsi être rachetés par Bouygues Telecom, dernier acteur du marché fixe. "Dans un marché à trois acteurs, l’Autorité de la concurrence n’a aucun intérêt à renforcer chaque opérateur là où il est déjà fort", assure un dirigeant du secteur. Alors qu’Orange dispose de 32 % de part de marché, et Free 25 %, leurs progressions seront limitées.
"L’antitrust ne laissera personne avoir plus de 40% du marché mais Orange veut rester leader partout, peste un protagoniste des négociations. Ça limite les options."
Une fois ces abonnés répartis, les concurrents de SFR devront se partager son réseau de fibre optique. Un immense casse-tête. "Il va falloir déterminer des blocs de clients avec le réseau associé, explique un acteur du dossier. Il n’y aura pas d’autre choix que de le répartir entre Bouygues et Free par zone géographique." Sauf si un fonds d’investissement parvenait à le racheter en entier comme y réfléchit Ardian, selon nos informations. Ces partenaires financiers pourraient aussi s’adosser aux offres de chaque repreneur.
Free veut SFR Business
Bouygues et Free vont aussi batailler pour le rachat de l’activité de SFR dédiée aux entreprises. Ils sont tous les deux faibles sur ce marché trusté par Orange et SFR. Selon plusieurs sources, Free se montre le plus intéressé par SFR Business. L’opérateur de Xavier Niel a lancé son offre dédiée aux entreprises, Free Pro, en 2021, mais reste petit sur ce marché. Pour faire monter les enchères, Patrick Drahi a ouvert le jeu à des fonds d’investissement dont CVC et Antin. SFR Business réalise 400 millions d’euros de marges et vaudrait autour de 3 milliards d’euros, selon plusieurs sources proches des négociations.
Mais Orange n’a pas l’intention de regarder faire ses concurrents. "Ils veulent récupérer des abonnés, notamment dans le mobile", explique un proche de l’opérateur historique. Déjà dominant dans le fixe -les box Internet- et le segment des entreprises, Orange veut rester leader sur le marché du mobile dont il détient un tiers de parts de marché. Contactés, Bouygues, Orange et Free n’ont pas souhaité commenter nos informations.
Mais au-delà des activités qui les intéressent, Bouygues, Free et Orange devront aussi se répartir les 300 boutiques SFR gérées par l’opérateur, et leurs 2.000 salariés, et 300 autres en franchise. Sans compter les centres d’appel de la filiale Intelcia, et les milliers d’emplois associés. Un concurrent ne cache pas non plus sa méfiance vis-à-vis des comptes: "SFR a plusieurs milliards d’euros d’engagements hors bilan pour les loyers des antennes du réseau mobile qu’il a vendu". Autant d’arguments destinés à diminuer le montant du chèque que les trois concurrents de SFR signeraient à Patrick Drahi.