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Télétravail: presque un salarié français sur 2 se dit surveillé par son employeur

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Selon une étude, face à cette pratique, le sentiment des employés est ambivalent. Source de stress (et de démission) pour les uns, elle présente plusieurs intérêts pour les autres.

Le télétravail est devenu une réalité pour beaucoup de salariés, il s'est durablement installé depuis la crise sanitaire du covid. S'il permet de mieux équilibrer sa vie professionnelle par rapport à sa vie privée, le télétravail a aussi son revers: la surveillance des salariés.

Il a fallu en effet adapter les pratiques des managers afin de contrôler l'activité et/ou la productivité de ces salariés loin des bureaux.

Et le catalogue d'outils mis à la disposition des directions est vaste: des plus classiques comme l'utilisation de logiciels de surveillance des e-mails, de la navigation sur Internet ou des outils de collaboration. Aux plus intrusifs, comme les systèmes de vidéosurveillance, les webcams dotées de technologies de suivi du regard ou encore les logiciels d’enregistrement de frappes au clavier.

Selon une récente étude de Resume Builder, 96% des entreprises américaines (sur 1000 interrogées) disent avoir mis en place des moyens de surveillance à distance.

Aux Etats-Unis: outils de suivi d'attention et captures d'écran à distance

Méthode la plus utilisée? La surveillance de la navigation sur certains sites mais aussi et surtout les logiciels de suivi d'attention dont le principe est de faire apparaître un objet à l'écran sur lequel il faut cliquer rapidement, sous peine d'être considéré comme inactif... 45% des entreprises américaines interrogées disent avoir mis en place ce dispositif assez glaçant.

44% ont opté pour un système de capture d’écran aléatoire afin de savoir ce que fait concrètement le salarié devant son ordinateur. Il faut dire que peu de règles régissent cette pratique outre-Atlantique, ce qui permet d'aller assez loin dans la surveillance.

Des méthodes heureusement interdites en France. Si la surveillance à distance des salariés est autorisée en France (à partir du moment où le collaborateur en est informé et ses droits fondamentaux respectés), certains outils ne peuvent pas être utilisés.

Concrètement, selon le Code du travail, "toute mesure de surveillance doit être justifiée par un motif légitime, proportionnée à l'objectif poursuivi, transparente et préalablement portée à la connaissance des employés". Les dispositifs doivent en outre être déclarés à la Commission nationale informatique et libertés par l’entreprise.

Cadre strict en France

La surveillance vidéo par webcam, le partage continu de l’écran de l’ordinateur, l’utilisation de keyloggers (enregistrement des frappes sur le clavier) et l’enregistrement des appels téléphoniques sont strictement interdits.

Ce qui n'empêche pas les entreprises françaises de recourir également à une surveillance à distance mais elle semble moins généralisée qu'aux Etats-Unis où la pratique est peu encadrée.

Selon une étude* de Software Advice, 46% des salariés interrogés déclarent que leur employeur utilise un outil dédié, 12% ne sont pas capables de répondre. Dans la plupart des cas (62%), les salariés surveillés confirment avoir été mis au courant par leurs responsables ou par le service RH mais 31% n'ont eu aucune information sur la question.

Selon l'étude, la surveillance des heures de connexion et de déconnexion, ainsi que les périodes d’activité et d’inactivité est l'outil le plus utilisé (28% des répondants) à égalité avec la gestion de la charge de travail (suivi des listes de tâches, de l’emploi du temps et des indicateurs de performance).

Réassurance

Face à cette pratique, le sentiment des employés est ambivalent. Source de stress pour les uns, elle présente plusieurs intérêts pour les autres.

Ainsi, 69% des répondants disent se sentir à l’aise avec la surveillance de la gestion de la charge de travail et 66% avec la surveillance des heures de connexion et de déconnexion. A contrario, la surveillance de l’espace de travail par webcam est jugée acceptable que par 42% des répondants, une pratique rappelons-le interdite en France.

Et pour certains salariés, la surveillance à distance permet une sorte de réassurance vis-à vis de son employeur. 36% des répondants qui sont à l'aise avec la pratique estiment qu'elle "permet aux managers et aux employeurs de prendre plus facilement en compte les heures travaillées ou les heures supplémentaires".

Elle permettrait également aux entreprises de disposer de preuves de travail des employés (28%) et d'offrir une meilleure visibilité sur la productivité et les performances des employés (28%). 26% pensent qu'elle permet de détecter des erreurs avant qu'elles ne s'aggravent.

Pour autant, les effets pervers de la surveillance sont pointés par plus de salariés. "48% des salariés sondés affirment sans équivoque que savoir qu’ils sont surveillés nuit ou nuirait à leur moral. Par ailleurs, quand on les interroge sur les inconvénients liés à la surveillance, 37% des répondants pensent que cette pratique génère une augmentation de stress et 31% craignent un impact négatif sur leur moral" peut-on lire.

40% estiment que c'est une atteinte à leur vie privée, 26% que c'est contraire à l'éthique et 19% se sentent obligés de plus travailler.

Le moral en berne, ils démissionnent

"Il est clair que ce sentiment de méfiance pourrait nuire à la bonne ambiance de travail au sein de l’entreprise, et par conséquent au rendement des travailleurs. Il revient donc aux employeurs de prendre toutes les mesures de transparence et de respect de la vie privée afin de rassurer les employés" peut-on lire. 

Au global, si on leur donnait le choix, 55% des salariés interrogés souhaiteraient ne plus être surveillés, tandis que 30% n’y trouveraient pas d’inconvénients.

Et beaucoup de salariés en tirent des conséquences, compte tenu du rapport de force en leur faveur sur le marché du travail. Selon une étude de Vanson Bourne pour VMware (en 2021), 48% et 45% des entreprises françaises utilisant actuellement des systèmes de surveillance, enregistrent un taux de turnover "plus élevé" ou "nettement plus élevé".

"En manquant de transparence et en mesurant leur productivité de façon aléatoire et uniquement à l’aide de chiffres, les employeurs peuvent rapidement miner la confiance de leurs salariés, et risquent de voir leurs meilleurs talents partir, alors que nous sommes dans un marché extrêmement complexe et compétitif", prévient l'étude.

Quant à la hausse de la productivité souvent mise en avant quand on parle de télétravail, le débat reste ouvert. Toujours selon l'étude de Software Advice, 59% disent que cela ne change rien à leur motivation et 22% déclarent même que le télétravail les incite à moins travailler.

*: Enquête menée en ligne entre janvier et février 2023 regroupant la participation de 896 professionnels dont 557 employés (en formation, juniors ou intermédiaires) et 339 managers (middle ou senior). Les critères de sélection des participants étaient les suivants: réside en France, âgé(e) de plus de 18 ans, employé(e) dans une entreprise de 2 à 250 personnes, travaille à temps plein ou à temps partiel. Le nombre de répondants varie d’une question à l’autre selon leurs réponses apportées aux questions précédentes.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business