Les salariés veulent plus de seniors au travail… mais pas dans leur entreprise

Et si la problématique de l'emploi des seniors ne relevait ni d'une question de formation, de coût ou de motivation, mais bien d'acceptation de la part des entreprises et des salariés?
Alors que patronat et syndicats négocient actuellement les dispositions permettant d’augmenter le taux d’emploi des seniors, ce mardi sur franceinfo, Gilles Gateau, directeur général de l'Apec (Association pour l'emploi des cadres) faisait un amer constat:
"Ce que nous observons, pour une majorité des plus de 100.000 demandeurs d'emploi cadres de 55 ans ou plus, c'est que les portes de l'embauche sont clairement fermées par les entreprises. C'est vraiment une question de fonctionnement du marché du travail qui doit changer pour ce qui concerne les seniors", explique-t-il.
Ce verrouillage du marché du travail s'illustre dans une étude* de Review Jobs très parlante qui peut se résumer en une phrase: si les seniors sont reconnus, ils ne sont pas les bienvenus dans mon entreprise.
Les seniors sont "démunis"
Ainsi, 69% des répondants salariés les estiment soigneux dans leur travail, et 76% compétents. Et quand on interroge les salariés de moins de 25 ans, ils se montrent, encore plus d’accord avec ces affirmations (respectivement 71% et 78%).
Oui mais… 30% des jeunes, et 38% des cadres, estiment que, même si avoir plus de seniors en entreprise est une bonne idée, elle ne peut pas s’appliquer à leur métier ou à leur entreprise.
En cause, toujours les prétendues mêmes raisons qui feraient que les seniors ne parviendraient pas à y trouver leur place. 40% des salariés et 48% des cadres dirigeants estiment que les salariés seniors sont démunis face aux nouvelles technologies.
31% des jeunes salariés jugent les seniors incapables de s’adapter aux nouvelles façons de travailler (télétravail, projets collaboratifs, assouplissement des rôles hiérarchiques…).
Distorsion de la perception des seniors par la hiérarchie
Le plus étrange dans cette étude est que 51% des managers jugent les salariés seniors plus souvent fatigués ou malades, contre 24% pour la moyenne des répondants. Et 39% de ces cadres dirigeants jugent les seniors incapables de comprendre les attentes de salariés plus jeunes. Une opinion partagée par seulement 13% des moins de 25 ans.
Or qui sont les cadres dirigeants? Des seniors a priori. "Cette différence de perception, liée autant la hiérarchie qu’à l’âge, nous semble un élément marquant de cette enquête", souligne Nicolas Marette, fondateur de Review Jobs.
"D’autant que les cadres dirigeants, âgés de 50 ans en moyenne, se classent le plus souvent eux-mêmes dans la catégorie des seniors… et se montrent donc paradoxalement plus sévères avec leurs collègues du même âge."
"Pour nous, cela tient surtout au fait que ces dirigeants doivent faire travailler ensemble différentes générations, et ne semblent pas persuadés que la collaboration entre générations puisse se passer sereinement. C’est également à ces cadres dirigeants qu’incombe de financer, sur leur budget, le salaire de ces seniors, souvent plus élevé que celui des jeunes salariés", explique Nicolas Marette.
"Changer d'état d'esprit"
Une autre étude Opinionway, pour le cabinet de conseil spécialisé dans les ressources humaines Grant Alexander, confirme ce blocage, cette fois de la part des directions et des DRH.
"Un tiers des recruteurs (32%) a ainsi déjà écarté d’emblée les candidatures de profils seniors, répondant à une demande de la direction. Et près d’un recruteur sur deux (45%) reconnait en effet que la direction lui a déjà donné comme consigne de privilégier des profils plutôt jeunes", souligne l'étude.
Les chiffres sont encore plus élevés si on considère les directions des ressources humaines (DRH). "74% ont déjà eu comme consigne de la part de leur direction de privilégier des profils plutôt jeunes, et 68% ont déjà écarté d’emblée des candidatures de profils seniors", peut-on lire.
"Il nous incombe collectivement de changer d’état d’esprit et de trouver des réponses. Il faut tout d’abord travailler sur les biais et accompagner les dirigeants et les collaborateurs, via notamment du coaching, de la formation, pour faire évoluer les mentalités, les comportements, et inclure vraiment!", commente Henri Vidalinc, président de Grant Alexander.
En France, le taux d'emploi des seniors (55/64 ans) atteignait 56,9% en 2022 (+0,9 point en un an), selon la Dares. C'est très loin de la moyenne européenne: 62,4%, l’Hexagone se classe ainsi 17e sur 27.
*: Review Jobs, spécialiste du recueil et de l’analyse d’avis de salariés, a interrogé 1.058 personnes, du 9 au 12 mars 2024.