Une croissance du PIB de 3,5% avec un "smic" qui a bondi de 82% en 10 ans: la France peut-elle copier-coller le "miracle espagnol" sans détruire des emplois?

Et si l'Espagne avait trouvé la solution miracle? L'économie espagnole profite d'une dynamique exceptionnelle avec un PIB qui a augmenté de 3,5% en 2024, contre 1,2% pour la France. En 2025, le gouvernement prévoit de nouveau une croissance dynamique à 2,7% (contre une prévision de 0,8% en France selon l'Insee).
Ces dernières années, l'Espagne a fortement augmenté son salaire minimum. En 2019, le gouvernement a décidé d'une hausse de 22%. Globalement, depuis 2015, le Smic espagnol a pris 82%, en France l'augmentation s'élève à 24% (toujours depuis 2015). L'exemple de l'Allemagne est également intéressant, avec une hausse du salaire minimum de 50% depuis 2015. Dans les deux cas, ces hausses ne semblent pas avoir eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi, même si l'Allemagne n'a pas connu de hausse de la croissance.
Pour retrouver une croissance dynamique, la France doit-elle faire comme l'Espagne et augmenter le Smic? Selon l'économiste Eric Dor, la solution n'est pas si simple car la situation diffère entre les pays, notamment sur deux critères, le coût du travail et la productivité.
Un coût du travail plus élevé en France
Tout d'abord, il convient de rappeler que la France est le 5ème pays de la zone euro avec le salaire minimum le plus élevé, à 1.802 euros bruts, derrière le Luxembourg, (2.704 euros), l’Irlande (2.282 euros), les Pays-Bas (2.246 euros), l’Allemagne (2.161 euros) et la Belgique (2.112 euros).
En ce qui concerne l’Espagne, le salaire minimum a certes fortement augmenté, mais en partant d’un niveau extrêmement bas en 2015. Ainsi, même après une forte augmentation entre 2015 et 2025, il est encore très inférieur à celui de la France (1.381 euros bruts, contre 1.802 en France en 2025).
Par ailleurs, le coût du travail est également moins élevé en Espagne. En 2024, une heure de travail (dans l'industrie ou les services marchands) coûte en moyenne 25 euros à l'employeur en Espagne, contre près de 44 euros en France, selon les données Eurostat. Ce chiffre comprend le salaire brut ainsi que les cotisations patronales nettes de subventions reçues.
"Comparée à la France, du point de vue du coût salarial, l’Espagne reste donc beaucoup mieux à même d’attirer les entreprises et les investissements pour y créer de l’emploi", estime ainsi Eric Dor.
Du côté de l'Allemagne, les salaires (salaire minimum et salaire moyen) sont plus élevés qu'en France, mais "la différence de cotisations sociales patronales est tellement forte que le coût salarial horaire total y est encore quasiment le même qu’en France" pointe Eric Dor.
"Il serait donc irréaliste de penser pouvoir imiter les hausses de salaires de l’Allemagne sans induire des pertes d'emploi."
"La nécessité absolue d'augmenter la productivité"
Pour aller encore plus loin, on peut s'interesser à la productivité et donc à la richesse créée par une heure de travail. Elle est assez élevée en France, à un niveau comparable avec celle de l'Allemagne et bien supérieure à l'Espagne.
"La valeur ajoutée par heure travaillée d’une entreprise est nécessairement la limite supérieure que peut y atteindre la rémunération totale horaire moyenne du travail salarié, pour éviter une perte d’exploitation", explique Eric Dor. Autrement dit, si l'entreprise paye ses salariés plus que ce qu'ils lui rapportent, elle fera des pertes.
En Espagne, la productivité est certes plus faible, mais le ratio entre valeur ajoutée créée et salaire est plus grand, donc la marge pour augmenter les salariés est plus élevée. Dans le détail, le coût horaire du travail du secteur marchand représente 59% de la valeur ajoutée brute par heure de travail en Espagne, contre 74% en France, en 2024.
Pour pouvoir augmenter les salaires, selon Eric Dor, il faudrait pouvoir réduire les cotisations sociales patronales et/ou augmenter la productivité du travail. Or "il est difficile de réduire les cotisations patronales au vu de la réticence de la population à diminuer les dépenses publiques de sécurité sociale."
"Il reste ainsi la nécessité absolue d'augmenter la productivité du travail, et donc la valeur ajoutée par heure prestée."
Pour y arriver, il évoque la mise en place de politiques de formation initiale et professionnelle et l'incitation aux investissements en nouvelles technologies, qui augmentent aussi la productivité du travail.