"On tue l'universalité": faut-il moins rembourser les médicaments et les soins des plus aisés?

C'est une petite phrase qui aurait pu passer inaperçue. Le ministre de l'Économie s'est interrogé dimanche sur la possibilité de rembourser les frais de santé en fonction des revenus. "Peut-être qu’on peut davantage segmenter les catégories de population. Être remboursé à 100% quand on a des revenus supérieurs à la moyenne, est-ce vraiment indispensable?", a lancé Éric Lombard sur LCI.
Voilà une mesure qui pourrait permettre de faire des économies, dans un contexte de dérapage du déficit public. Mais le cabinet du ministre de l'Économie s'est empressé de démentir: "Aucun débat n'est interdit mais ce n'est ni une idée ni un projet ni une proposition du ministre", assure son entourage auprès de BFMTV. La mesure ne figure d'ailleurs pas dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale.
"On tue l'universalité du système"
Mais alors était-ce une manière pour le ministre de tester les réactions? Car le débat est tout sauf anecdotique. Éric Lombard touche ici à l'universalité de la Sécurité sociale, soit un de ses principes fondateurs qui veut que chacun y contribue selon ses moyens et en bénéficie selon ses besoins.
Selon l'économiste de la santé Frédéric Bizard, moins rembourser les soins des plus aisés aurait pour effet à terme de péricliter notre système universel. "Si on rend le système injuste pour les riches, on tue l'universalité", assène-t-il.
"Un jour ou l'autre, les riches vont aller vers leur propre système de protection sociale", anticipe Frédéric Bizard.
"Ils sont déjà capables de le faire aujourd'hui avec des assureurs privés et un système de prise en charge privé", explique l'économiste.
"Moins de consentement à l'impôt"
Mais en quoi cela remet-il en cause le financement de l'Assurance maladie si les cotisations et impôts restent obligatoires? En réalité, c'est plutôt le consentement à l'impôt des plus riches qui serait ébranlé. Ils contribueraient en effet à financer un service qui les protège moins bien que les autres. Et lorsqu'un système est remis en cause, il est fragilisé.
C'est aussi l'avis du député PS Arthur Delaporte: "Le ministre met une brèche dans le contrat social", assure-t-il sur RMC. "Si les plus riches sont moins remboursés, ils vont aller encore plus vers les complémentaires santé et il y aura moins de consentement à l'impôt. Ils diront: 'Pourquoi je paierai des impôts si ce n'est pas pour financer mes médicaments?'", estime le député.
"Je préfère qu'ils contribuent plus", propose Arthur Delaporte.
Dans tous les cas, cette réflexion doit faire l'objet d'un débat démocratique, selon Frédéric Bizard. "Soit on garde notre système universel (...), soit on va vers un système à l'anglaise avec autant de vitesses qu'il y a de classes sociales", pose-t-il. Difficile donc de l'intégrer comme une simple mesure d'économie supplémentaire au PLFSS.
Les remboursements aux États-Unis
Éric Lombard n'est par ailleurs pas le seul à avoir évoqué cette idée. En mars 2024, interrogé sur RTL sur la possibilité de mettre en place des remboursements en fonction des revenus, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Économie, s'était dit "ouvert à tous les débats".
Il allait même plus loin, expliquant que "la personne qui est en bonne santé, qui consomme beaucoup de médicaments et fait beaucoup d'analyses médicales, doit sans doute contribuer davantage".
Une idée dont la mise en place paraît pour le moins hasardeuse: comment définir ceux qui surconsomment inutilement des médicaments, sachant que ceux-ci sont prescrits par les médecins? Sa sortie avait provoqué un tollé.
"C’est proprement scandaleux", dénonçait ainsi la sénatrice LR Corinne Imbert, interrogée par Public Sénat, quand Bernard Jomier, sénateur socialiste pointait "une atteinte à un principe fondateur de la sécurité sociale" qui mènerait "à terme, à sa disparition".
C'est un choix de modèle que d'autres États ont fait, notamment aux États-Unis où il n'existait pas d'assurance médicale obligatoire jusqu'en 2013, et la mise en place par Barack Obama d'un dispositif pour les plus faibles.
Mais plus de 58% des Américains restent couverts par des assurances privées pour lesquelles ils dépensent souvent plus de 500 dollars par mois. Des assurances qui comprennent par ailleurs d'énormes franchises et qui ne couvrent pas toutes les dépenses de soins.