"Certains ont arrêté": dans les associations, l'inflation met aussi à mal le budget des bénévoles

Des bénévoles des Restos du Coeur en train de distribuer de la nourriture dans un centre parisien en octobre 2020. - Christophe ARCHAMBAULT
Chaque semaine depuis 15 ans, Marianne Pernet effectue 40km pour aller aider bénévolement au Secours populaire d'Épernay (Marne), où elle est trésorière. L'ancienne enseignante de 75 ans se déplace deux à trois fois par semaine, en fonction des besoins. Mais ces dernières semaines, la hausse des prix des carburants a rendu ses allers-retours plus douloureux.
"Le monde associatif subit de plein fouet, c'est épouvantable", s'indigne l'institutrice à la retraite, qui ne bénéficie d'aucune aide pour ces déplacements.
"J'habite dans un village où il n'y a ni bus ni train donc je n'ai pas le choix que de prendre la voiture", raconte la septuagénaire, qui assure devoir faire un plein de 90 euros tous les 15 jours pour pouvoir venir. "Ça commence à tirer", reconnaît-elle, même si la structure "essaie de faire le moins de déplacements possibles".
Difficultés d'accès à des sites en zone rurale
Un problème dont le secrétaire national de Secours populaire Jean Stellittano a pleinement conscience. "C'est vrai que nos antennes étant situées dans des zones rurales, beaucoup de bénévoles nous disent clairement que faire du bénévolat leur coûte plus cher et qu'ils vont avoir du mal à faire autant qu'avant", explique à BFMTV.com le responsable national, également à la tête de la fédération des Alpes-Maritimes.
La retraitée de l'est de la France est en effet loin d'être la seule concernée par ces difficultés. À l'armée du Salut de Nouvelle-Aquitaine, "des bénévoles très investis, qui avaient l'habitude de venir quotidiennement, ont été contraints de réduire leurs venues ces derniers mois".
"Les équipes ont dû s'adapter", confie à BFMTV.com un porte-parole de l'antenne régionale. Les réunions en visioconférence sont désormais privilégiées pour éviter les déplacements superflus.
Des aidants aux revenus modestes
Le constat est le même à la Croix-Rouge ou au sein des communautés Emmaüs. À La Croix-Rouge de Saumur (Maine-et-Loire), "ça commence à devenir compliqué pour une partie des 90 bénévoles qui sont les plus éloignés, et qui ont souvent des revenus classiques". Des réflexions ont d'ailleurs été lancées pour essayer de réduire leurs charges, explique à BFMTV.com Adrien Lhermiteau, le président de l'unité locale.
Dans les trois centres Emmaüs d'Arles, Nîmes et Alès, "environ 10% des bénévoles qui venaient de loin ont arrêté, ou réduit leur rythme de visites hebdomadaires", estime Frédéric Piazza, co-responsable des trois sites, qui rappelle tout de même qu'une partie du kilométrage est déductible des impôts pour les bénévoles.
"Même des anciens ou des gens qui avaient une grosse implication ont dû revoir leur façon de faire", rapporte le gérant du Sud de la France.
"C'est quelque chose qu'on comprend très bien: on sait que les gens qui viennent aider sont le plus souvent des gens modestes, qui ont des petites retraites... et certains faisaient 20km pour venir."
Des tournées de ramassage plus sélectives
L'autre problème concerne les tournées de ramassages de meubles et objets à domicile. "On a 12 camions qui effectuent entre 5 et 8 ramassages par jour à travers toutes les Ardennes", avec parfois des trajets de plus d'une centaine de kilomètres, souligne Rémi Périsot, responsable de la communauté Emmaüs de Charleville-Mézières (Ardennes).
"Un coût important" pour l'association, qui revend ensuite ces dons dans ses salles à des prix dérisoires.
"Le truc, c'est que les ramassages restent gratuits alors que les prix en salle n'ont pas vocation à bouger... Les excédents servent à aider, mais s'il n'y a plus d'excédents..."
Si le nombre de tournées n'a pour l'instant pas baissé, Frédéric Piazza reconnaît que la communauté est contrainte d'être plus sélective. "On essaie de rationaliser les tournées, de ne pas faire de la déchetterie et de privilégier la qualité sur la quantité", détaille-t-il. Pour cela, le site de Charleville a embauché quelqu'un à l'accueil, chargé de présélectionner les dons. "On essaie d'être plus précis sur le ramassage pour éviter de se déplacer 'pour rien'."
Des factures d'électricité redoutées
Mais la hausse du prix des carburants n'est pas la seule préoccupation des acteurs du monde associatif. Le Mouvement associatif, qui représente plus de 700.000 structures, a réclamé vendredi dernier un accès "non-discriminant" aux aides de l'État. La Fédération des acteurs de la solidarité a elle aussi récemment adressé un courrier à Élisabeth Borne pour tirer la sonnette d'alarme et demander l'extension du bouclier tarifaire du gouvernement aux associations.
"À ce stade, les budgets prévisionnels de nos associations pour 2023 ne sont pas à l’équilibre si nous y intégrons la réalité de nos charges (...) Nous sommes mobilisés pour faire des efforts d'adaptation mais nous refusons de réduire l'accompagnement social dans nos centres pour absorber ces hausses de prix", explique à BFMTV.com Pascal Brice.
Le président de la fédération déplore un "effet ciseau" avec d'un côté les charges qui augmentent et de l'autre des rentrées d'argent qui stagnent. Les Restos du cœur, par exemple, s'inquiètent de voir leurs factures d'électricité exploser dans les prochains mois.
Thierry Sarrazin, responsable départemental dans le Nord, s'attend déjà à une note salée. Contrairement à la plupart des locaux Emmaüs qui ne sont pas chauffés, "les 80 centres de distribution des Hauts-de-France sont chauffés par de vieux radiateurs électriques", note-t-il. "Et rien qu'à Lille, nous avons trois chambres froides pour stocker les denrées qui sont vieillissantes, extrêmement énergivores et font entre 100 et 200 m² chacune."