Pourtant supprimée, l'exonération de cotisations des médecins en cumul emploi-retraites revient par la petite porte… et fait grincer les dents

La convention négociée définit pour cinq ans les conditions d'exercice et les honoraires des 115.000 médecins libéraux de France. - Philippe Huguen - AFP
Voilà un décret qui remet en vigueur une mesure que l'on pensait enterrée. Paru au Journal officiel le 13 août, le texte entérine en effet l'exonération de cotisations d'assurance vieillesse de base et complémentaire pour les médecins en cumul emploi-retraite… mais dans la limite de 70.000 euros de revenus annuels et à condition que ces docteurs exercent dans les déserts médicaux.
Pour rappel, considérant que les médecins gagnent suffisamment bien leur vie, la gauche, notamment les socialistes et les insoumis, avaient obtenu la suppression de cet avantage dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Le décret publié au JO constitue donc une exception à la règle générale.
Plus d'un tiers des médecins généralistes en zone d'intervention prioritaire
Selon la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), c'est comme si l'exonération de cotisations n'avait pas du tout été supprimée, ou presque, pour les médecins. "Les zones sous-denses sont nombreuses, donc cela revient quasiment au même", souffle-t-on auprès de BFM Business.
"Ce n'est pas quelque chose qu'on voit d'un très bon oeil car cela coûte de l'argent à la caisse", soulève-t-on.
Si l'on prend le découpage des déserts médicaux réalisé par les agences régionales de santé (ARS), 42,1% des médecins généralistes exercent en zone d'intervention prioritaire (ZIC) en 2024, c'est-à-dire les territoires où les manques de ressources humaines médicales sont les plus criants. Parmi eux, ceux qui sont en cumul emploi-retraites ne cotisent donc plus à l'assurance vieillesse de base et complémentaire.
En revanche, les médecins généralistes installés en zone d'action complémentaire (ZAC) ne sont pas concernés par le décret ouvrant droit à l'exonération de cotisations s'ils sont en cumul emploi-retraite.
Dégradation de l'accès aux soins?
Si le gouvernement remet en vigueur cette exonération de cotisations pour les médecins en cumul emploi-retraites dans les ZIP, c'est bien pour les encourager à continuer à prendre en charge les patients de ces territoires en désertification médicale. Et pourtant, la mesure pourrait être contre-productive en matière d'accès aux soins.
"Cela va dégrader la démographie médicale et faire partir des médecins à la retraite plus tôt", craint-on à la CARMF.
Autrement dit, en favorisant les médecins en cumul emploi-retraites dans les zones tendues, la mesure va justement inciter les praticiens à partir plus vite en retraite. "Le problème, c'est que les médecins en cumul emploi-retraites ont tendance à travailler moins de jours que les actifs, ce qui va donc dégrader l'accès aux soins des patients dans les zones sous-denses", insiste-t-on à la CARMF.
Président de l'Union française pour un médecine libre (UFML), Jérôme Marty voit les choses différemment. Ce médecin généraliste installé à Fronton (Haute-Garonne) est même favorable à cette mesure: "le bénéfice est supérieur au risque en termes d'accès aux soins", assure-t-il auprès de BFM Business, considérant que les mesures prises par le gouvernement pour que les "700.000 patients en ALD (affection longue durée, NDLR) aient un médecin traitant ont échoué".
Mais attention, "il ne faut pas faire reporter ces cotisations sur les actifs, sinon ils vont fuir et déplaquer", prévient-il.
C'est ce que redoute justement Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, syndicat majoritaire chez les médecins généralistes. "Ce cadeau qui leur est fait (aux médecins en cumul emploi-retraite, NDLR) va d'une part leur être repris sous forme d'impôt supplémentaire et va constituer un manque à gagner pour la CARMF qui sera obligée de pénaliser les actifs à qui on ne fait pas de cadeaux", signale-t-il à BFM Business.
Les médecins spécialistes plus nombreux à faire du cumul emploi-retraites
Il n'empêche: au-delà des soins de premiers recours, les statistiques de la CARMF montrent que ce sont les médecins spécialistes qui sont plus nombreux à exercer en cumul emploi-retraites. Au 1er janvier 2025, ils étaient 8.089, soit 57% des médecins libéraux en cumul et presque 1.900 de plus que leurs confrères généralistes.
Pour autant, comme le plafond de revenus annuels ouvrant droit à l'exonération de cotisatisation pour les praticiens en cumul emploi-retraites dans les ZIP est fixé à 70.000 euros annuels, il est peu probable que les spécialistes bénéficient vraiment de cet avantage.
"Il faut rappeler que les médecins en France ont un revenu moyen de 90 000 euros selon la Drees, cela exclut donc beaucoup de praticiens du dispositif", alertait déjà le député LR des Hauts-de-Seine Philippe Juvin, dans une question écrite au gouvernement le 12 mars 2024, et laissée sans réponse en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale quelques mois plus tard.
D'après les données publiées par la Drees en fin d'année dernière en effet, le revenu moyen des médecins spécialistes s'élève à 153.300 euros par an. "Selon la spécialité, le revenu moyen varie de moins de 90.000 euros à plus de 400.000 euros", détaille le service statistique des ministères sociaux. Même les généralistes explosent le plafond, avec en moyenne, 98.300 euros de revenus par an.