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Inégalités climatiques: pourquoi le dernier rapport d’Oxfam doit être lu avec prudence

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L’organisation internationale a publié un rapport sur les inégalités climatiques, affirmant que "si tout le monde avait le même mode de consommation que le milliardaire moyen, le budget carbone mondial serait épuisé en moins de deux jours". Mais ces affirmations sont à nuancer.

A l’approche de la COP29 qui se tiendra à Bakou du 11 au 22 novembre prochain, Oxfam a publié lundi un rapport démontrant l’impact des émissions carbones des ultra-riches sur la planète, et comment les super riches "alimentent abondamment les inégalités climatiques mondiales".

D’après le rapport, "si tout le monde avait le même mode de consommation que le milliardaire moyen, le budget carbone mondial serait épuisé en moins de deux jours".

Mais des économistes, contactés par BFM Business, mettent en garde ces affirmations parfois exagérées.

50 ultra-riches polluent plus qu'un milliard de personnes

D’après le rapport, il y a deux modes de pollution des ultra-riches: via la consommation (utilisation de jet privés, de yachts…) mais aussi principalement via le patrimoine financier, c’est-à-dire les investissements dans des entreprises émettrices.

En ce qui concerne l’impact du patrimoine financier, "les 50 personnes les plus riches du monde émettent plus de CO2 que 1,3 milliard de personnes sur terre" avance Oxfam.

Bernard Arnault, par exemple, aurait "une empreinte carbone liée à son patrimoine qui est 200.000 fois plus élevée que celle d’un français moyen." "Autrement dit" continue le rapport, "Bernard Arnault émet autant de CO2 en 200 minutes (3h20) qu’un Français durant toute sa vie, via son patrimoine financier".

Comment se fait ce calcul? L’analyste politique d’Oxfam Québec Julie McClatchie a expliqué la méthode de calcul au média Noovo Info: "On a calculé que si un milliardaire avait 10% d'investissements dans une compagnie X, on assume une responsabilité qui est également de 10% des émissions financées".

Une responsabilité qui ne peut pas peser uniquement sur les ultra-riches

Mais d’après Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la chaire de gestion du secteur de l'énergie de HEC Montréal, ces conclusions doivent être nuancées.

"Le rapport est intéressant, explique-t-il à BFM Business, mais il accorde trop d’importance aux émissions des entreprises qui sont possédées par les ultra-riches".

Pour le professeur, c’est "comme si les émissions des entreprises étaient uniquement la responsabilité de leurs actionnaires". Or, "les consommateurs sont en général bien contents (à court terme) de payer moins cher", et ils ont souvent des alternatives moins émettrices à leur portée.

"Il est donc abusif d’attribuer, comme le fait le rapport d’Oxfam, la responsabilité des émissions industrielles à leurs propriétaires ultra-riches", explique Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal.

Concernant le volet consommation, selon Oxfam, "en moyenne, un milliardaire parmi les 50 personnes les plus riches du monde émet 7.746 tonnes de CO2 par an rien qu’avec sa consommation de jets et yachts". En comparaison, continue le rapport, "une personne parmi les 50% les plus pauvre de l’humanité émet 1,01 tonne de co2 par an via sa consommation".

"L’essentiel des émissions proviennent du fait de brûler du charbon pour produire de l’électricité"

Des conclusions qui doivent être aussi nuancées, car ces émissions restent mineures comparées aux émissions globales, comme l’explique Alexandre Delaigue, économiste à l’université de Lille, à BFM business. "L’essentiel des émissions proviennent du fait de brûler du charbon pour produire de l’électricité. Bien sûr cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas agir, mais cela donne une idée de la proportion."

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Enfin, en ce qui concerne la consommation en général, pour Alexandre Delaigue, les calculs doivent être nuancés. Oxfam va faire une conversion automatique entre le niveau de consommation et le niveau d’émission carbone, qui n’est pas forcément représentative de la réalité. Or, un euro dépensé n’est pas forcément équivalent en terme de coût carbone si l’on est ultra riche ou pas.

"Par exemple, une bouteille de vin à 1.000 euros a la même émission carbone qu’une bouteille de vin à 100 euros", illustre l'économiste.

Selon le rapport, Elon Musk a une empreinte carbone de 5.947 tonnes de CO2, ce qui équivaut à 834 années d’émissions pour une personne moyenne dans le monde, ou 5.437 années pour une personnes parmi les 50% les plus pauvres de la planète.

Un ISF climatique proposé

Oxfam conclut par des recommandations, avec notamment la mise en place d’un impôt sur la fortune climatique pour les multimillionnaires et les milliardaires. Il s’agit de taxer, d’une part, le niveau de patrimoine et d’autre part, son impact sur le climat. Oxfam propose aussi une taxe sur les dividendes pour les entreprises ne respectant pas l’Accord de Paris sur le climat.

Si les conclusions de l’organisation internationale doivent donc être nuancées, "les inégalités dans les émissions sont énormes" confirme Pierre-Olivier Pineau.

"Le rapport a l’immense mérite de les documenter."

"Une tarification du carbone universelle permettrait de faire payer ces ultra-riches pour leur pollution et de redistribuer l’argent. Cela permettrait de faire quelques pas vers un monde moins inégalitaires", conclut le professeur à HEC Montreal.

Louise de Maisonneuve