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Taxe Gafa: la France va-t-elle montrer la voie aux autres pays riches?

Une taxe Gafa à l'échelle internationale est "la seule échelle pertinente", selon le ministre de l'Économie Bruno Le Maire.

Une taxe Gafa à l'échelle internationale est "la seule échelle pertinente", selon le ministre de l'Économie Bruno Le Maire. - Eric Piermont - AFP

En l'absence d'accord au niveau européen, Bruno Le Maire a présenté ce mercredi le projet de loi de taxation des géants du numérique applicable en France. Ce nouvel impôt pourrait être remplacé par une version internationale attendue pour la fin 2019.

Voici deux ans que Bruno Le Maire porte ce projet de taxation des géants du numérique. Cette fameuse taxe Gafa ainsi nommée en référence aux quatre mastodontes américains Google, Amazon, Facebook et Apple. Promesse de campagne d'Emmanuel Macron, le ministre de l'Économie a d'abord cherché à la porter au niveau européen. La mayonnaise a pris, puisque, à force de discussions et de compromis, une proposition franco-allemande a émergé en décembre, rassemblant le soutien de 23 États. Mais cela n'a pas suffi. Paris et Berlin avaient laissé trois mois à leurs partenaires pour trouver un consensus, mais le quatuor Irlande, Danemark, Suède et Finlande est resté campé sur ses positions. Bruno Le Maire l'a concédé ce mercredi: "Il n'y aura pas d'accord au prochain Conseil des ministres des Finances" qui se déroulera le 12 mars. 

La faute aux règles européennes, qui exigent l'unanimité des États membres pour prendre des décisions en matière fiscale. Bruno Le Maire soutient d'ailleurs la proposition du commissaire européen à la Fiscalité, Pierre Moscovici, de passer au vote à la majorité qualifiée. "Je préfère une Europe qui décide plutôt qu'une Europe qui discute", a lancé le ministre français ce mercredi en conférence de presse. 

Face aux atermoiements d'une poignée de pays, d'autres en ont eu assez d'attendre et ont pris les devants. Du Royaume-Uni à l'Autriche en passant par l'Espagne et l'Italie, plusieurs gouvernements ont posé les jalons d'une taxation des Gafa. Mais le premier pays à réellement se lancer dans l'aventure, c'est la France.

Avec la crise des gilets jaunes, les attentes des concitoyens en matière de justice fiscale ont pris de l'ampleur. Et quand on sait qu'au sein de l'Union européenne, les entreprises du numérique ont un taux moyen d'imposition de 14 points inférieur à la moyenne générale (9,5% contre 23,2%), pourquoi se priver de la taxe Gafa? A ce stade, elle pourrait rapporter 400 millions d'euros dès 2019 au fisc français. C'est évidemment peu comparé aux 10 milliards d'euros débloqués par Emmanuel Macron en faveur du pouvoir d'achat, mais c'est toujours ça de pris. Bruno Le Maire s'est donc engouffré dans la brèche et a présenté ce mercredi en conseil des ministres son projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique. 

Washington veut "régler ce problème cette année" 

La formule retenue par Bercy était déjà connue: une taxe de 3% sur le chiffre d'affaires des activités de publicité en ligne, de revente de données personnelles et de "marketplace" (mise en relation de vendeurs et acheteurs sur les plateformes numériques, comme Amazon et Airbnb, ndlr). Seules les grandes entreprises, celles dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros au niveau mondial et 25 millions à l'échelle de l'Hexagone, sont concernées. 

Est-elle efficace? "Les 3% [de taxe Gafa] ne vont pas compenser l'intégralité des 14 points, mais ça permet de commencer à compenser l'écart", a répondu, laconique, Bruno Le Maire. Le chiffre d'affaires et les activités retenues sont-ils des critères pertinents? 400 millions d'euros de rendement, est-ce suffisant? "J'entends toutes les critiques sur le côté économiquement fragile de cette taxation", a concédé le ministre. Mais, à l'heure actuelle, cette formule est "la seule solution disponible" et, aux yeux de Bruno Le Maire, "il vaut mieux décider sur une solution qui est imparfaite" que de "continuer à discuter au risque de ne jamais avoir de taxation des géants du numérique".

Ce projet de loi n'est pas l'alpha et l'oméga de l'imposition des géants du numérique. Il n'est "qu'une étape" dans la définition d'une fiscalité adaptée à l'économie du XXIe siècle, a souligné le ministre. La suivante est d'atteindre "une solution internationale", "seule échelle pertinente" pour qu'une telle mesure soit efficace. En lançant sa taxe Gafa, Paris tente en réalité de "faire bouger les lignes", de mettre la pression sur les autres pays pour qu'un accord émerge rapidement. Car, si le projet a échoué au niveau européen, il a peut-être plus de chances de réussir sur le plan international. 

Un groupe de travail, composé de représentants d'une centaine de pays et chapeauté par l'OCDE, planche actuellement sur le sujet. Fin janvier, ils ont donné leur accord de principe pour trouver un consensus sur une taxe Gafa d'ici 2020. S'ils y parviennent, la version retenue sera appliquée en France et remplacera donc celle qui a été présentée ce mercredi par le gouvernement. 

À défaut de s'être mis d'accord sur une taxe Gafa, Paris espère que les pays européens trouveront dès ce mois-ci une position commune à défendre à l'OCDE. Viendra ensuite le G7 en juillet, présidé par la France, où les États travailleront sur un niveau minimal d'impôt sur les sociétés et une taxation des entreprises du numérique. L'idée est de profiter de cette occasion pour commencer à définir un projet commun avec les États-Unis. En visite à Paris la semaine passée, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a dit ne pas partager la version française de la taxe Gafa mais a insisté sur sa volonté de travailler avec Paris à accélérer les travaux à l'OCDE. L'objectif? "Régler ce problème cette année." L'éléphant accouchera-t-il d'une souris ou l'accord sera-t-il vraiment ambitieux? Les États-Unis vont-ils tenter de récupérer la mise? Difficile à dire. Ce serait en tout cas une toute nouvelle manière de concevoir la fiscalité des entreprises. Le seul risque pour la France serait de voir achopper les discussions. Elle se retrouverait alors seule au monde avec une taxe qui pourrait nuire à son attractivité.

Jean-Christophe Catalon