Inflation: à quoi faut-il s’attendre en 2022?

La zone euro a achevé 2021 avec une inflation jamais vue depuis 25 ans. En décembre, les prix y ont progressé de 5% sur un an. Certes un peu mieux lotie que ses principaux voisins, la France, où l’indice des prix a progressé de 2,8% sur la même période, n’a pas été épargnée par le phénomène.
Si la flambée de l’énergie a contribué pour moitié à cette inflation, celle-ci s’explique aussi et plus largement par la forte reprise économique mondiale post-confinement. Laquelle a entraîné un choc d’offre caractérisée par des hausses des coûts de production, elles-mêmes liées à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et, dans certains secteurs, des pénuries de matières premières.
Un pic déjà passé?
Mais la Banque centrale européenne l’assure depuis des mois: ce retour surprise de l’inflation n’est que "temporaire". Encore faut-il savoir ce que l’on entend par "temporaire". Auditionné mercredi aux côtés des économistes de l’Insee, de l’OFCE et de l’institut Rexecode, le directeur général de la Banque de France, Olivier Garnier, s’est montré le plus optimiste en évoquant une "bosse en 2021-2022" suivie dès le début de cette année d'un tassement de l’inflation pour revenir sous les 2% fin 2022 (Indice des prix à la consommation harmonisé).
Contrairement à la Banque de France, l’Insee, qui utilise l’indice des prix à la consommation non harmonisé, table sur un pic plus tardif avec une inflation qui serait "globalement de 2,7% sur un an" début 2022. "On prévoit des glissements annuels qui, jusqu’au mois de juin, resteront supérieurs à 2,5%", a expliqué devant les sénateurs Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’institut de la statistique.
Directeur adjoint de l’OFCE, Christophe Blot estime lui aussi que le pic n’est pas encore atteint: "Aux Etats-Unis, l’inflation sous-jacente (hors prix volatiles) continue d’augmenter, ce qui semble indiquer que le choc n’a probablement pas encore atteint son pic, donc on pourrait voir les mêmes choses en France et dans la zone euro", a-t-il dit.
Toute la difficulté est de prédire ce point haut de l’inflation qui dépendra de l’évolution des prix de l’énergie et des tensions dans les chaînes d’approvisionnement: "Le consensus global est plutôt que ce choc va se résorber. On ne sait pas exactement mesurer à partir de quel moment, probablement au cours du premier semestre 2022", a ajouté Christophe Blot. De premiers signaux comme la baisse des prix du transport maritime peuvent indiquer que le processus est en marche en ce début d’année, mais les prix des matières premières industrielles restent encore élevés à ce stade.
Boucle prix-salaires?
Olivier Garnier reconnaît lui aussi qu’"il y a une forte incertitude sur l’ampleur et la durée de la ‘bosse’". Car si les doutes se concentrent à court terme sur l’évolution des prix de l’énergie et des tensions sur les matières premières, l’évolution des salaires sera un autre facteur déterminant de la hausse des prix :
"Si le choc d’offre dure plus longtemps que prévu, il peut y avoir des revendications salariales un peu plus importantes pour compenser les pertes du pouvoir d’achat. L’impact va dépendre du pouvoir de négociation des salariés qui peuvent être différents selon les secteurs", souligne Christophe Blot. "A moyen terme, le facteur clé, c’est la boucle prix-salaires", abonde Olivier Garnier. Pour l’heure, l’Insee n’observe pas d’accélération salariale susceptible d'alimenter l’inflation. Mais les chefs d’entreprises interrogés par l’institut s’attendent tout de même à une hausse des salaires nominaux en 2022.
L’épargne considérable accumulée de manière forcée ou non par les ménages depuis le début de la pandémie pourrait en outre jouer un rôle dans la trajectoire de l’inflation cette année. Dans l’hypothèse où une partie de cette manne serait dépensée à la faveur d’une amélioration de la situation sanitaire, un choc de demande pourrait succéder au choc d’offre. Selon l’OFCE, l’inflation serait plus élevée de 0,9 point dans le scénario de désépargne par rapport au scénario sans désépargne.
Un changement de nature de l’inflation
Si l’énergie a été le principal moteur de l’inflation ces derniers mois, ce pourrait ne plus être le cas prochainement. Alors que les coûts de production des produits alimentaires et manufacturés ont augmenté tout au long de l’année, ceux de l’énergie devraient se stabiliser: "Si on se projette pour l’avenir, ce n’est pas un gros pari de dire qu’au premier semestre 2022, à tout le moins, il y aura une contribution plus forte des prix manufacturés et alimentaires", prévoit Jean-Luc Tavernier.
"Il y a un changement de régime d’inflation", confirme Olivier Garnier. Ce qui coïncide au passage avec les déclarations de la grande distribution et en particulier de Michel-Edouard Leclerc qui avait indiqué ne pas avoir reporté la hausse des coûts sur le consommateur fin 2021, avant de prévenir que les prix allaient en revanche "flamber" en 2022.
Quoi qu’il en soit, une fois le pic d’inflation passé, "on ne reviendra pas à la situation pré-Covid mais plutôt à une situation d’inflation proche de celle du milieu des années 2000", lorsque l’inflation "était proche de 2%", a encore indiqué Olivier Garnier devant les sénateurs. Une projection confirmée par Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez Rexecode, lequel considère "que le taux d’inflation va durablement être plus élevé qu’il ne l’était au cours de la dernière décennie".