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Bijoux, bolides, bitcoins, grands crus… Comment l'Etat monétise les biens saisis par la justice

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Méconnue du grand public, l'Agrasc gère et valorise les biens saisis et confisqués par la justice, notamment à travers l'organisation de ventes aux enchères dont le produit est reversé dans les caisses de l'Etat.

Adjugé, vendu! Château Lafite Rothschild 1982, Petrus Pomerol 1990, Romanée Conti 2000… Quelque 1400 bouteilles représentant les plus grands crus ont été mis aux enchères samedi dernier lors d’une vente exceptionnelle organisée au Palais des Ducs de Dijon. Résultat des courses: 1,79 million d’euros récoltés au profit de… l’Etat.

Il ne s’agissait pas là d’une vente comme les autres. Les bouteilles cédées provenaient toutes de saisies et confiscations prononcées après enquête de police. Ce qui explique la présence parmi les organisateurs de ces enchères peu ordinaires du Domaine de la Direction générale des finances publiques et de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, aussi appelée Agrasc.

Gérer et valoriser les biens saisis et confisqués pour abonder les caisses de l’Etat, c’est en partie le rôle de cet établissement public fondé en 2010. Placée sous la tutelle des ministères de la Justice et du Budget, l’Agrasc a pour mission de "priver les délinquants de leur patrimoine criminel mal acquis" en portant "assistance aux magistrats et aux enquêteurs qui saisissent les biens", détaille le directeur de l’agence, Nicolas Bessonne. "Nous répondons aux demandes des policiers et magistrats sur tous les problèmes de confiscation. Nous leur apportons le support technique", poursuit le magistrat.

Vendre les biens dès leur saisie

Que faire en effet des biens immobiliers, véhicules, bijoux, montres de luxe et autres ordinateurs des criminels saisis par la justice? "S’il n’y a personne pour les gérer, ils seront oubliés et ne vaudront plus rien à terme", souligne encore Nicolas Bessonne.

Pour éviter ce genre d’écueil, l’Agrasc a les moyens d’agir. L’agence a non seulement le monopole de la gestion de tous les comptes en banque saisis par la justice, mais aussi celui des ventes des biens saisis auxquelles elle peut procéder, aux enchères ou non, avant même le jugement de leur propriétaire. La méthode peut paraître étonnante, elle est pourtant parfaitement logique: "Quand un policier, un juge ou un procureur saisit la voiture d’un criminel, la procédure peut durer des années. Or, chaque jour qui passe, le véhicule perd de sa valeur et les frais de gardiennage s’accumulent", illustre Nicolas Bessonne.

D’où la possibilité pour l’Agrasc de revendre le véhicule dès la saisie. Auquel cas, le produit de la vente est consigné dans l’attente du procès de l’accusé. Si le mis en cause est finalement innocenté par le tribunal, la somme lui est restituée. Plus exactement, l’Agrasc reverse son dû à la personne relaxée seulement après s’être assurée auprès des créanciers fiscaux et sociaux qu’elle n’a pas d’impayés. C’est pour cette raison que sur 40 millions d’euros censés être restitués par l’Agrasc l’an passé, seuls 30 l’ont réellement été, les 10 millions restants ayant servi à régler des amendes impayées ou des dettes.

L'Agrasc, une agence très lucrative

Grâce au produit des ventes de biens et au numéraire saisi, le compte de l’Agrasc à la Caisse des dépôts et consignations affiche un solde de plus de 1,5 milliard d’euros. L’agence qui a pour devise "Nul ne doit vivre de son délit" est de surcroît autofinancée. Si son budget de fonctionnement est de l’ordre de 10 millions d’euros, elle a perçu l’an passé 11 millions d’euros d’intérêts de rémunération de son compte à la Caisse des dépôts.

Renflouer le budget de l'Etat, mais pas que

A l’inverse, en cas de condamnation, le juge peut décider d’une confiscation définitive des biens saisis. S’il s’agit d’une affaire de droit commun, les recettes des ventes réalisées par l’Agrasc seront affectées au budget général de l’Etat. En 2021, ce sont ainsi 75 millions d’euros qui ont été reversés à ce titre.

Lorsque les biens ont été confisqués dans le cadre d’une affaires de stupéfiants, le produit des ventes de l’Agrasc (50 millions d’euros en 2021) est cette fois fléché vers le fonds MILDECA ou fonds "drogues" pour renforcer les moyens matériels des policiers spécialisés dans la lutte contre les trafics ou financer la prévention des addictions. La même logique s'applique pour les affaires de proxénétisme et de traite des êtres humains avec l’abondement par l’AGRASC d’un fonds géré par le ministère des Affaires sociales (2 millions d’euros en 2021) et utilisé pour soutenir les associations.

Dans les affaires d’atteintes aux biens, l’Agrasc se charge également d’indemniser les victimes (25 millions d’euros versés l’an passé) grâce à la vente des biens confisqués aux auteurs de l’infraction lorsque ces derniers sont insolvables. Enfin, c’est aussi cette agence qui finance la protection des collaborateurs de justice (déménagement, changement d’identité, etc.) qui aident les autorités à traquer les criminels.

Voitures prestigieuses, cryptos, troupeaux de vaches...

Depuis sa création, l’Agrasc n’a cessé de se développer. Magistrats, policiers, inspecteurs des finances publiques… En douze ans, ses effectifs sont passés de 12 à 64 personnes. Des antennes régionales ont également été ouvertes. A Marseille et Lyon d’abord, puis à Rennes et Lille en avril dernier.

Avec 450 millions d’euros saisis l’an passé (contre 100 millions en 2011) et un peu plus de 150 millions d’euros confisqués (et donc reversés), son activité ne cesse de croître d’année en année si l’on excepte l’année record de 2019 (253 millions d’euros confisqués) marquée par la confiscation d’une assurance-vie de 87 millions d’euros dans le cadre de l’affaire Bettencourt.

En 2021, l’Agrasc a vendu 135 biens immobiliers (environ 600 confisqués en moyenne chaque année) pour 17,5 millions d’euros. La vente des biens mobiliers a quant à elle rapporté 13,6 millions d’euros. Sur cette somme, 2,98 millions d’euros ont été récoltés lors d’une vente aux enchères exceptionnelle de biens saisis organisée à Bercy en novembre pour les dix ans de l’agence. Parmi les 300 lots proposés: des véhicules de prestige (Lamborghini, Ferrari, Jaguar, Porsche...), des bijoux, pièces d'or et montres (Richard Mille et Breitling) ou encore des vins prestigieux (Romanée-Conti, Petrus...).

Les agents de l’Agrasc doivent parfois traiter des dossiers plus originaux. En janvier 2021, le procureur de la République du Jura prononce la saisie d’un troupeau de 300 vaches pour maltraitance. Remis à l’Agrasc qui a d’abord géré le transport et le gardiennage, le troupeau a finalement été vendu par l’agence pour 58.000 euros.

Trois mois plus tard, l’Agrasc organisait sa première vente aux enchères de 611 bitcoins saisis à des criminels. Tous les lots ont trouvé preneur et 80% ont été vendus en ligne. L’opération a rapporté 24,7 millions d’euros. Plus récemment, des agents de l’AGRASC ont été envoyés en Guyane où plus de 13 kilos d’or ont été saisi par le Tribunal de Cayenne. Sur place, ils ont fait appel à une entreprise capable de dépolluer l’or pour le débarrasser de son mercure. Le butin a fini en lingots. De quoi renflouer les caisses de l’Etat à hauteur de plus de 750.000 euros.

Quand les véhicules des criminels équipent la police

Ordinateurs portables, voitures, drones… Plutôt que de revendre les biens saisis et confisqués, l’Agrasc peut décider de les réaffecter à certains services de l’Etat. "Dans une affaire de drogue, une BMW servant à des go fast pour faire entrer des stupéfiants sur le territoire français peut être saisie et être affectée à la police chargée de lutter contre le trafic de drogue", souligne Nicolas Bessonne.

Cette pratique visant à équiper les services de police, de gendarmerie oui des douanes avec les biens confisqués aux délinquants et criminels n’est pas rare. Au total, 1870 biens ont été affectés à ces services, dont 1000 véhicules pour la police.

Des biens immobiliers mis à disposition d'associations

En 2021, une loi visant à augmenter les crédits alloués à l'aide publique au développement (APD) destinée aux populations des pays les plus vulnérables est venue modifier le mécanisme de restitution des fonds issus de la confiscation de biens mal acquis en France. Jusqu'à présent, ces fonds étaient essentiellement reversés par l'Agrasc au budget général de l'Etat. Désormais, ils pourront être affectés à l'APD pour être redirigés vers les populations de pays étrangers victimes des malversations de leurs dirigeants.

Une autre loi du 8 avril 2021 "améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale" permet également aux associations et fondations "reconnues d'utilité publique" de bénéficier temporairement des biens immobiliers mal acquis gérés par l'Agrasc et ayant fait l'objet d'une confisaction définitive.

Impossible en revanche pour l'agence de vendre ou d'affecter un bien immobilier saisi mais pas encore confisqué, contrairement aux biens mobiliers. De la même manière, l'Agrasc n'a aucun pouvoir sur les avoirs des oligarques russes saisis depuis le début de la guerre en Ukraine puisqu'il s'agit ici d'un simple gel administratif qui n'entre pas dans le cadre d'une procédure judiciaire.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco