Alimentation, services... Pourquoi les prix ne retrouveront pas leur niveau de 2020

Les économistes entrevoient le bout du tunnel. Malgré un rebond de l'inflation en août à 4,8% sur un an, après 4,3% en juillet, la détente sur les prix devrait se poursuivre dans les prochains mois. "On reviendra à une inflation plus normale au premier semestre 2024", prédit Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès.
Pour lui, la remontée de l'indice des prix le mois dernier, exclusivement liée à une hausse ponctuelle des prix de l'énergie, n'est en rien préoccupante. Sachant que, dans le même temps, les prix "sortie d'usine" ont continué de fléchir, et que le ralentissement de l'inflation des autres grands postes de dépenses des ménages s'est confirmé. Particulièrement scrutée par les consommateurs, l'augmentation des prix des produits alimentaires a ainsi perdu en intensité pour le cinquième mois consécutif en août (+11,1% sur un an, après +12,7%), dans le sillage de la baisse des prix des matières premières.
Autant d'indices qui font dire à Sylvain Bersinger que "la désinflation est encore dans les tuyaux". Ce que confirment les prévisions de la Banque de France qui table pour l'an prochain sur une inflation légèrement supérieure à la cible de la BCE des 2% en moyenne annuelle. La déflation, soit la baisse généralisée des prix et non pas seulement un ralentissement de la hausse, n'est en revanche pas d'actualité: "Je ne crois pas à la déflation parce que les salaires vont continuer d'augmenter en 2024, donc les coûts des entreprises vont eux-mêmes continuer de progresser", souligne Sylvain Bersinger.
Dit autrement, si l'inflation va bien décélérer, les prix à la consommation ne retrouveront pas leur niveau de 2020. Et ce "à cause de l’effet de cliquet. En fait, quand les coûts des matières premières augmentent, cela génère une hausse des revenus, comme les salaires. Mais lorsque les coûts diminuent, les revenus ne baissent pas autant. Par exemple, le Smic, qui est indexé sur l’inflation, ne va pas baisser si l’inflation diminue. C’est pareil avec les indices de la fonction publique ou les loyers", détaillait il y a quelques mois auprès de Ouest-France Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Des baisses ciblées ou générales dans l'alimentaire?
Le retour en arrière est plus qu'improbable. Mais certains produits spécifiques pourraient tout de même voir leurs prix baisser dans les prochains mois. A commencer par ceux qui sont les plus sensibles à l'évolution des coûts des matières premières, dans l'agroalimentaire notamment. Les 75 plus gros industriels se sont d'ailleurs engagés fin août à répercuter rapidement le recul des prix de certaines matières premières. Au total, les prix de 5000 références ne vont plus augmenter, voire vont baisser prochainement de 5 à 15%, a fait savoir le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Les négociations commerciales qui se poursuivent entre industriels et enseignes de grande distribution pourraient déboucher sur de nouvelles baisses en rayons. Même si les relations entre les deux parties restent tendues à ce stade. D'après Michel-Edouard Leclerc, certains industriels veulent encore "faire passer des hausses" de prix pas toujours justifiées. "Aujourd'hui, il y en a autant que des industriels auxquels on pourrait réclamer des baisses", a déclaré lundi sur Europe 1 le président du Comité stratégique des centres E. Leclerc.
"On ne reviendra pas aux prix d'avant-crise"
Dans ce climat de tensions entre distributeurs et industriels, peut-on tout de même espérer un repli général des prix alimentaires, après une hausse de 22% entre janvier 2021 et mi-2023? Interrogé sur ce sujet par le vidéaste Hugo Décrypte, Emmanuel Macron a assuré vouloir "contraindre" les grandes multinationales de l'agroalimentaire qui ne joueraient pas le jeu, affirmant que le gouvernement "prendra des décisions pour que les prix baissent".
Bien que complexes, les négociations commerciales et les pressions qui pèsent sur les parties prenantes devraient aussi accélérer le ralentissement de l'inflation alimentaire. Mais un recul franc et massif des prix de l'ensemble de la catégorie reste peu probable. Pour Sylvain Bersinger, "un peu de déflation, faible et temporaire pendant un mois ou deux tout au plus sur l'alimentaire l'année prochaine" est envisageable. Mais pas davantage. En clair, dans le meilleur des scénarios: une légère baisse temporaire par rapport aux prix de 2023, mais pas au point de revenir au niveau de 2020. De quoi redonner malgré tout un peu de pouvoir d'achat au consommateur.
Les distributeurs et industriels ont déjà annoncé la couleur à de multiples reprises ces dernières semaines. Patron de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA), Jean-Philippe André a assuré qu'il ne croyait absolument pas à un retour aux prix d'avant-crise: "On ne reviendra jamais à ce niveau-là. (...) Il est juste et honnête de dire qu'on ne reviendra pas aux niveaux de 2019, ça, c'est certain", a-t-il déclaré en juin. Un constat partagé par Michel Biero, directeur exécutif achats et marketing de Lidl France, qui rappelait sur BFMTV en août que si "l'inflation ralentit un peu, (...) il ne faut pas vendre du rêve aux Français: on ne reviendra pas, en aucun cas, aux prix d'avant-crise".
Les services, bientôt premier contributeur à l'inflation
L'hypothèse d'une baisse généralisée des prix est d'autant plus improbable que si l'augmentation des prix alimentaires et énergétiques sera vraisemblablement de moins en moins soutenue d'ici à la fin de l'année, ce n'est pas le cas des services dont les tarifs vont continuer de grimper.
Et pour cause, ce secteur peu sensible à l'évolution des matières premières est beaucoup moins volatil. Dans le tertiaire, ce sont essentiellement les hausses de salaires qui tirent les prix à la hausse. Or, les rémunérations ont nettement progressé ces derniers mois et vont continuer de croître l'année prochaine. Au deuxième trimestre, elles ont même augmenté (+4,6% sur un an) plus vite que l'inflation (+4,5%), selon la Dares. Une première en deux ans.
Selon l'Insee qui a arrêté ses prévisions à fin 2023, l'inflation alimentaire se sera repliée à 7,4% sur un an en décembre, après +13,2% en juin. A l'inverse, les prix des services accéléreront, passant de +3,3% en juin, à 4,2% en fin d'année. Si bien qu'en 2024, "dans un contexte d'accalmie sur les prix des matières premières énergétiques et alimentaires (...), l'ensemble des composantes de l'inflation se replierait" et "la contribution principale à l'inflation viendrait alors des prix des services", prévoit la Banque de France.
La déflation, une situation peu souhaitable
En dépit d'un ralentissement de l'inflation et de quelques baisses possibles ici ou là dans l'alimentaire, les prix devraient donc rester bien au-dessus de leur niveau d'avant-crise. Au grand dam du consommateur qui espère logiquement voir les prix reculer pour gagner du pouvoir d'achat.
Reste que si la déflation peut être souhaitable à première vue, le phénomène, lorsqu'il est amené à durer, peut rapidement devenir une menace pour l'économie. Une menace souvent plus dangereuse que l'inflation, tant il est difficile de s'en défaire. En effet, lorsque l'ensemble les prix reculent, les ménages anticipent de nouvelles baisses et reportent leurs achats afin de profiter de tarifs encore plus attractifs. En conséquence, les entreprises voient la demande chuter et réduisent leur production. Elles accordent en parallèle de nouvelles ristournes pour écouler leurs stocks, ce qui fait baisser les prix et incitent à nouveau les consommateurs à retarder leurs achats et à épargner.
Cette spirale déflationniste se traduit à terme par la baisse du chiffre d'affaires des entreprises et donc des licenciements, des baisses de salaires, une hausse du chômage et une perte de pouvoir d'achat pour les ménages. C'est pour cette raison que la Banque centrale européenne se fixe un objectif d'inflation de 2%: le seuil idéal selon elle pour disposer d'une marge de sécurité face aux risques de déflation tout en écartant le risque de surchauffe de l'économie et de spirale inflationniste.