La France n'est "pas au bord du gouffre" financier: les plutôt bons chiffres de recettes fiscales de ces derniers mois donnent-ils raison à Macron?

Le président Emmanuel Macron à l'Élysée le 16 septembre 2025 - MAGALI COHEN / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Un pays "en danger", "au bord du gouffre" et dont "le pronostic vital est engagé"... Au cours des derniers mois, les anciens Premiers ministres François Bayrou et Michel Barnier n'ont pas hésité à employer des mots forts pour alerter sur la dérive des finances publiques. Un vocabulaire jugé mercredi excessif par Emmanuel Macron:
"Il convient d'être prudent avec de tels propos. La France est un pays solide, doté d'une bonne solvabilité, qui génère d'excellentes recettes fiscales et dispose d'infrastructures dans lesquelles il a beaucoup plus investi ces dernières années qu'en Allemagne", a déclaré le chef de l'État dans un entretien au Frankfurter Allgemeine Zeitung.
"Il faut accepter qu'il y ait des cycles", a-t-il encore relativisé, rappelant que "la France a mieux protégé ses citoyens et ses entreprises contre l'inflation" et que "cela nous a coûté très cher".
L'impact des crises récentes sur les finances publiques est en effet indéniable. Selon une étude de l'OFCE, "sur les 12,6 points de PIB d’augmentation de dette publique entre 2016 et 2023, 8,3 points seraient liés aux mesures budgétaires exceptionnelles liées aux crises", autrement dit à des aides temporaires liées à la conjoncture.
Les dernières photographies mensuelles de la situation budgétaire de l'État montrent d'ailleurs une diminution des dépenses notamment en raison de l'extinction progressive des dispositifs de soutien déployés pendant les crises Covid et inflationniste.
Fin août 2025, les dépenses du budget général (hors remboursements et dégrèvements d’impôts d’État) s’établissaient ainsi à 300,4 milliards d'euros contre 304,1 milliards un an plus tôt. Les recettes fiscales sont elles sur une bonne dynamique à 199,6 milliards d'euros contre 187,8 milliards il y a un an (+7,1% pour l'impôt sur le revenu, +6,8% pour l'impôt sur les sociétés mais -2,1% pour la TVA à périmètre constant). Les recettes totales, elles, s'élevaient à 216,3 milliards, contre 205,2 milliards l'an passé.
Le solde général d’exécution de l’État s’établissait ainsi au 31 août 2025 à -157,5 milliards d'euros contre -171,9 milliards à fin août 2024. Autrement dit, le déficit s'est réduit de 14,5 milliards d'euros (plus de 8%) sur un an.
Un problème structurel
Si cette meilleure maîtrise des dépenses de l'État reflète la sortie des crises passées, la France fait malgré tout face à un sérieux problème structurel de finances publiques alors qu'elle affiche un déficit public permanent depuis 50 ans. En 2025, il devrait encore s'établir à 5,4% du PIB, tandis que le gouvernement ne table pas sur un retour sous les 3% avant 2029.
Le respect encore très hypothétique de cette trajectoire permettrait uniquement de stabiliser le ratio dette publique/PIB qui a dépassé les 115% au deuxième trimestre.
Mais pour y parvenir "on a devant nous une marche d'escalier qui est de l'ordre de 120 à 130 milliards d'euros" d'économies à trouver sur "les sept prochaines prochaines années", prévient sur BFM Business Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode.
Pour l'économiste la tâche s'annonce ardue car "notre train de vie aujourd’hui est financé par de la dette". "Même si on n’a pas forcément un déséquilibre courant extérieur (...), on est structurelemment dans une mécanique qui fait qu’on redistribue de la dette aux ménages, que notre économie et notre train de vie sont dépendants de l’endettement".
"Pas besoin d'être alarmiste"
Un effort structurel d'assainissement des comptes publics sera donc nécessaire pour redresser la situation. Ce que la France n'a pas su faire jusqu'à présent. Mais "on ne peut pas se dire qu'on va rester à 5% de déficit éternellement et que tout ira bien, ça, ça ne marche pas", souligne Dorothée Rouzet, cheffe économiste de la direction générale du Trésor.
Il n'y a pour autant "pas besoin d'être alarmiste en disant qu'on est au bord du défaut de paiement, ce n'est pas vrai", tempère-t-elle. La dette française reste effectivement très recherchée sur les marchés, signe que la confiance des investisseurs dans la capacité de la France à honorer ses obligations demeure solide.
En réalité, "ce qui nous menace, plus qu'une crise soudaine, c'est plutôt la lente érosion. (...) On va payer de plus en plus d'intérêts et c'est ça de moins qu'on aura pour l'éducation ou pour la défense", poursuit Dorothée Rouzet.
Freiner la hausse des dépenses
Emmanuel Macron n'a d'ailleurs pas totalement nié le problème en reconnaissant que la France n'avait "pas encore résolu la question des finances publiques". Et s'il juge "légitimes" les débats sur la fiscalité, il estime que le pays sera surtout "contraints de freiner la hausse des dépenses", en particulier celle des dépenses sociales.
Une vision partagée par la plupart des économistes: "On a beaucoup de dépenses qui sont rigides, on a plus de la moitié de la dépense publique qui est de la dépense sociale", rappelle Dorothée Rouzet.
La France se distingue de ses voisins en la matière avec des dépenses publiques représentant 57% de son PIB, contre 49% en moyenne au sein de l'UE. Les dépenses publiques consacrées à la protection sociale s'élevaient de leur côté à 32,3% de PIB en 2023, contre 26,5% en moyenne en Europe et 27,2% en Allemagne en 2023, selon le site fipeco. Et bien qu'elle partait avec de l'avance, la France "a plus augmenté la dépense sociale en points de PIB.
C'est vrai par rapport à l'Allemagne mais aussi par rapport à la moyenne européenne au cours des vingt dernières années", assure Olivier Redoulès. Et de conclure: "On cherche sans cesse de nouveaux prélèvements obligatoires alors que le fond du débat devrait être comment on arrive, non pas à baisser, mais à maitriser la dépense", c'est-à-dire à faire en sorte qu'elle n'augmente pas plus que la richesse nationale.