D'où viennent ces normes sous lesquelles croulent les agriculteurs en colère?

Il y a les revendications sociales, le ras-le-bol d’être pointés du doigt par les écologistes mais ce sont surtout les normes qui sont dans le collimateur des agriculteurs. La France est-elle en la matière un pays… hors-norme?
Peut-être pas quand on voit que le mouvement de colère a pris dans de nombreux pays d’Europe. Mais il semble toutefois que la France soit très entreprenante en la matière... Les témoignages des agriculteurs se multiplient sur le temps qu'ils consacrent à la gestion administrative de leur exploitation.
Selon une enquête du groupe de réflexion IREF, un agriculteur passerait en moyenne neuf heures par semaine à remplir des formulaires. Pour 12% d’entre eux, ce serait même jusqu'à 15 heures par semaine.
Les exemples sont nombreux mais on peut citer celui des champs agricoles qui peuvent être couverts par plusieurs zonages différents avec chacun ses normes et obligations (protection des tourbières, Natura 2000, vulnérabilité aux nitrates, captage des eaux, interdiction des cultures…). Ou encore celui des haies. La France s'est fixée pour objectif de planter 50.000 kilomètres de haies d’ici 2030 pour réduire le vent, l'érosion et les excès de pluie. Une initiative louable sauf que ces plantations peuvent être soumises jusqu'à 14 réglementations différentes qui vont du code de l'urbanisme, de l'environnement, la protection du patrimoine etc.
Près de 9 normes sur 10 sont européennes
Mais qui édicte ces normes? Principalement l’Europe pour 80 à 90% d’entre elles. L’agriculture est de la compétence de Bruxelles depuis la PAC. La France profite d'ailleurs de cette politique agricole commune puisque les agriculteurs français reçoivent 44 milliards d'euros par an de l'Europe. Sauf que ces aides sont de plus en plus conditionnés aux contraintes environnementales. Et le Pacte Vert qui vise la neutralité carbone en 2050 va en ajouter plusieurs couches.
Mais la France, pays -dit-on- aux 400.000 normes, n’est pas avare non plus en la matière. En plus de transposer les normes européennes, notre pays a tendance à les durcir et les généraliser. Que ce soit sur l’alimentation animale, les OGM, les intrants dans de nombreuses cultures comme le riz, les délais de construction. Chaque ministère y va de son lot de nouvelles réglementations.
Cette inflation normative ne concerne pas que l'agriculture. Dans le commerce par exemple, la législation est de plus en plus foisonnante aussi. Les règles qui encadrent les négociations commerciales dans la distribution tenaient sur 10 pages il y a quelques années, c'est désormais une centaine.
Mais il est vrai que dans l'agriculture, le problème est peut-être plus aigu que dans d'autres secteurs d'activité. D'abord parce il s'agit d'une activité qui a trait à l'environnement, thématique majeure des politiques publiques ces dernières années. Ensuite parce que dans une Europe et une France largement urbanisées, l'amélioration des conditions de production agricoles est largement consensuelle. Car derrière chaque norme il y a souvent une intention louable ou un désir des citoyens. Que ce soit la préservation de l’environnement, la sécurité alimentaire ou la baisse des émissions de CO2.
Des injonctions contradictoires
Il faut donc faire face à des injonctions contradictoires entre des attentes citoyennes en matière environnementale et le ras-le-bol de l'inflation normative (lui aussi largement partagé par les citoyens).
Dernière spécificité du monde agricole: il s'agit pour la très grande majorité d'entre elles de très petites entreprises. Quand un industriel se plaint des normes qui encadrent son activité, il a les moyens et les services juridiques compétents pour les traiter. Alors qu'en France, 58% des exploitations agricoles sont des exploitations individuelles. L'agriculteur est seul maître à bord.
La question des normes s'est d'ailleurs invitée ce mardi à l'Assemblée nationale. Le Premier ministre Gabriel Attal qui a rencontré les représentants des syndicats d'agriculteurs lundi soir en a fait une ligne de fracture politique dans l'hémicycle.
"À chaque fois que nos agriculteurs, que nos éleveurs familiaux, ont un projet d'extension de leur élevage" ou "qu'un projet est lancé (...) sur une retenue d'eau pour lutter contre la sécheresse, sur des investissements pour nos exploitations, ce sont vos amis qui s'y opposent", a-t-il énuméré en visant surtout Insoumis et écologistes. À chaque problème, vous répondez par une norme. À chaque difficulté, vous répondez en général en pointant du doigt nos agriculteurs."
Après la joute politique viendra l'heure des décisions. Contrôler, légiférer, régir toujours plus le monde agricole? Ou lâcher un peu de lest quitte à renoncer à certains objectifs?
Pour rappel, la profession d'agriculteur a perdu près de 20% de ses effectifs lors de la dernière décennie et d'ici à 2030, plus de la moitié d'entre eux devraient partir à la retraite.
