Crise du covid: un choc très hétérogène sur la productivité française

Dans l'usine de reconditonnement de Ingram Micro à Montauban. - Orange
Depuis le début de la crise économique liée au covid, le gouvernement s'est attaché à protéger l'emploi salarié à travers notamment la généralisation du chômage partiel pour les entreprises fermées administrativement.
Néanmoins, même avec une baisse de l'emploi salarié "contenue" à -2,3% cette année selon l'Insee, ce repli provoquera à court terme "une forte baisse de la productivité du travail (...) et des coûts unitaires plus élevés du fait de la réduction de la capacité de production", peut-on lire dans le second rapport depuis le début de la pandémie du Conseil national de productivité sur la productivité et la compétitivité des entreprises françaises.
L’impact de la crise sanitaire sur la productivité a été ainsi décrit par l’Insee: "pour 46% des entreprises des services, 40% de celles de l’industrie et 56% de celles du bâtiment", "ce choc de productivité est très hétérogène en fonction des secteurs", et même au sein de ces secteurs, souligne le rapport et il dépend également de la capacité de rebond de ces secteurs.
Hétérogénéité particulièrement forte entre secteurs et au sein des secteurs
"À la suite des confinements du printemps, certains secteurs ont rebondi fortement, alors que d’autres ont été durablement touchés. Cette dynamique aura des effets de composition sur la productivité, de manière transitoire ou persistante selon la durée de la crise et les contraintes de distanciation physique mises en place pour lutter contre la propagation du virus", peut-on lire.
Les auteurs pointent ainsi une "hétérogénéité particulièrement forte" dans l'industrie. "Le secteur pharmaceutique, la chimie et l’agroalimentaire ont retrouvé des niveaux d’activité proches de l’avant-crise. En revanche, dans l’automobile, les transports, la métallurgie, les prévisions de niveau d’activité sont bien en deçà (80%) du niveau jugé normal"
Mais aussi au sein des services marchands: "la restauration et l’hébergement, les plus exposés aux contraintes de distanciation physique, sont à des niveaux d’activité et de prévision d’activité très faibles. En même temps, d’autres services marchands voient leur activité en forte hausse : c’est le cas notamment du secteur de l’information et de la communication, car la demande pour ses services augmente avec les besoins du télétravail".
Pour illustrer cette hétérogénéité, le rapport s'est penché sur les conséquences sur la productivité des entreprises du commerce au sens large mais qui sont touchées de manière différente.
- les entreprises les moins touchées du commerce enregistreraient une baisse de 3% de la productivité du travail, mais leur niveau d’endettement ne serait au finalement pas modifié
- les entreprises moyennement touchées connaîtraient une baisse de 6% de la productivité du travail et une augmentation de 2,5 points de leur ratio d’endettement (toutes dettes confondues, c’est-à-dire la dette bancaire, la dette fiscale et sociale et la dette fournisseur), celui-ci passant par exemple de 20% à 22,5%
- les entreprises fortement touchées verraient la productivité du travail diminuer de 12% et leur ratio d’endettement de 5 points (passant par exemple de 20% à 25%).
Conséquence, "la forte baisse de l’activité concentrée dans certains secteurs pourrait à court terme entraîner une modification de la productivité agrégée, par un phénomène de composition".
Les entreprises zombies, un risque pour la productivité globale?
Il est toutefois difficile de savoir si cet effet de composition sectorielle sera persistant, "un scénario qui ne nous paraît pas le plus probable", estiment les auteurs. "La question de la réallocation entre entreprises à l’intérieur des secteurs du fait des défaillances d’entreprises pourrait en revanche être plus importante", ajoutent-ils.
Sur ce point, le rapport constate que "le nombre cumulé des liquidations et redressements d’entreprises est et reste à la fin du troisième trimestre anormalement bas par rapport à 2019" du fait de la mise sous perfusion de certains secteurs comme l'hôtellerie-restauration. Un constat d'ailleurs fait également en Allemagne et au Royaume-Uni.
Mais ce soutien a son revers. Avec l’apparition d’entreprises zombies, peu productives, peu performantes et incapables à terme de générer des profits mais qui survivent sur le marché grâce à l’octroi de prêts avec des taux d’intérêt faibles.
"Si c’était le cas, cela pourrait avoir pour conséquence un impact négatif à terme sur la productivité de l’économie française", souligne le rapport.
Mais pour les auteurs, cette baisse des défaillances est "temporaire" et "ne devrait pas avoir d’impact majeur sur la productivité à terme de l’économie française".
La vague de faillites: une inconnue
Et de détailler: "notre conclusion est donc que les mesures mises en place par le gouvernement ont, jusqu’ici, permis d’éviter que des entreprises productives (avec une valeur ajoutée par travailleur élevée) ne soient mises en défaillance. Les entreprises en défaillance en 2020 restent des entreprises qui étaient moins productives et plus fragiles financièrement, comme en 2019".
Pour 2021, le rapport botte en touche: "il est difficile à ce stade d’anticiper quand et dans quelle mesure la vague de défaillances aura lieu, les simulations existantes prédisent une augmentation très forte des défaillances de PME par rapport aux années 2018 et 2019, jusqu’à 25% par exemple dans le secteur hébergement et restauration mais, et cela fait une grande différence, "lorsque ne sont pas prises en compte les mesures de soutien mises en place".
Mais pour lisser cette vague que l'on a tant de mal à prévoir, à dater, le rapport préconise plusieurs leviers. Il rappelle d'abord que c'est la dette qui détruit de la valeur d'une entreprise. Les auteurs encouragent la conciliation: renégociation directe entre l'entreprise et ses créanciers et/ou "encourager, par subvention, le créancier à accepter une réduction de créance".
Et dans le même temps, "accepter dans certains cas une réduction de la dette contractée auprès de l’État", le rapport rappelant que "l’essentiel du surendettement provient de la dette née sous forme de dette fiscale ou sociale (auprès des URSSAF notamment) ou de PGE".