Pourquoi les vins sont bien plus alcoolisés qu'avant?

Les vins prennent en alcool - Nicolas TUCAT
Coup de chaud sur le vin. Sur les étiquettes, le degré d'alcool a connu une sensible hausse ces dernières années. Il est désormais fréquent de boire un vin à 13% voire 14% d'alcool, par exemple sur des Saint-Emilion auparavant moins chargés en alcool. Et le phénomène concerne toute la France.
"Il y a clairement une évolution sur les trente dernières années mais ça s'est vraiment accéléré en 15 ans" témoigne d'ailleurs Yann Rousselin, fondateur de l'école de dégustation Le COAM (Cours d'Oenologie And More).
Pour rappel, le degré indiqué correspond à la teneur en alcool du breuvage.
Le premier facteur de cette hausse, c'est bien le changement climatique. Le soleil et la chaleur augmentent le taux de sucre dans le raisin. Or, c'est ce sucre qui se transforme par la suite en alcool. C'est particulièrement vrai dans le sud de la France où la canicule et le manque d'eau renforcent encore le phénomène.
Mais la question du degré n'est pas simplement climatique. Elle tient aussi aux pratiques viticoles qui ont évolué dans le temps. "Il y a eu un saut qualitatif, souligne Yann Rousselin. Les vignerons ont récolté un raisin plus mûr pour gagner en complexité gustative". Plus mûr et donc plus sucré…
Les goûts et les tendances
Enfin, la tendance de consommation des dernières décennies a encore accentué ce phénomène avec l'apparition de nouveaux clients, ceux du "Nouveau monde", terme employé pour parler des vignes hors d'Europe et du Moyen-Orient (Etats-Unis, Australie...)
Ces "néophytes" du goût ont débuté leur initiation par des vin "faciles", c'est-à-dire "plus doux", résume Yann Rousselin. Le célèbre critique américain Robert Parker, fondateur d'un des plus célèbres guides, a participé (malgré lui) à cette uniformisation des goûts, en influençant les pratiques viticoles.
Pour gagner en sucre, les vignerons ont donc retardé les vendanges pour ressembler davantage aux vins californiens, très ensoleillés. "On est un peu revenu sur cette époque", tempère Yann Rousselin.
Car cette tendance pose un vrai problème gustatif pour les spécialistes du vin, qui cherchent en permanence l'équilibre entre l'alcool et l'acidité. Et le premier a eu tendance à prendre le pas sur le second, rendant les vins moins complexes.
Vendanges anticipées
En Argentine ou en Espagne, les territoires très exposés au soleil avaient trouvé la parade en installant les vignes en altitude ou près des côtes pour gagner en fraicheur et retrouver ainsi cette acidité.
Mais sur les vignes habituées à un air plus frais, le changement climatique complique la donne. Face à l'urgence, les vignerons ont donc choisi de cueillir plus tôt pour limiter la montée du sucre. Ils ont aussi cherché à couvrir les raisins avec les feuilles de vigne pour limiter l'ensoleillement.
Des territoires comme la Champagne, dont le climat frais fait la réputation de son vin pétillant, n'est donc pas encore menacé grâce à ses techniques mais pour les vignes de la Méditerranée, l'avenir est plus sombre, à moins d'accepter de changer de style de vin. "On aura surement moins de syrah dans le sud et plutôt des cépages à maturation tardive comme le grenache", résume Yann Rousselin.
Mais l'avenir du vin français passera surtout par de nouveaux cépages, notamment ceux sur lesquels travaille l'Institut national de la recherche agronomique (INRAE), des vignes capables de mieux résister aux températures chaudes. Une manière de sauver l'héritage ou du moins de sauver les meubles.