Le croissant a-t-il été inventé pour contourner une taxe comme l'a affirmé Karine Le Marchand?

Un symbole du ras-le-bol fiscal le croissant? Sur BFMTV ce lundi, on a pu voir l'animatrice Karine Le Marchand se rentre sur un point de blocage pour distribuer des croissants à des agriculteurs.
"Le croissant c’est un symbole, a-t-elle déclaré. Les boulangers parisiens en avaient marre de payer des taxes sur le sel et se sont dit, on doit inventer quelque chose avec du sucre pour éviter la taxe.”
Elle fait ainsi un parallèle historique entre deux résistances face aux abus bureaucratiques: hier les taxes, aujourd'hui l'excès de normes.
Pourtant le croissant ne semble pas avoir la portée symbolique que l'animatrice lui attribue.
Plusieurs légendes entourent la création de la plus célèbre des viennoiseries françaises. La plus célèbre fait remonter son origine à Vienne en Autriche (d'où le nom de ces spécialités) à la fin du XVIIème siècle. Lors du siège de la ville par les soldats ottomans en 1683, les boulangers auraient été les premiers à sonner l'alerte en pleine nuit, intrigués par des bruits entendus dans le sous-sol.
Le 12 septembre 1683, après deux mois de siège, les Turcs sont mis en déroute et l'empereur Léopold Ier fait une entrée triomphale dans Vienne. Il accorde des privilèges aux valeureux boulangers qui pour le remercier, dit la légende, lui confectionnent un petit pain en forme de lune, le Hörnchen, symbole de l'étendard des armées vaincues.
Mais le croissant de lune ainsi symbolisé ne serait pourtant pas, selon des historiens, une référence à l'hilâl de l'islam qui ne sera véritablement utilisé au XIXème siècle mais plutôt à celui des cimeterres, ces épées aux lames courbées utilisées par les armées ottomanes.
Des croissants depuis la nuit des temps ?
Si la légende est vraie, le croissant ne serait donc pas un symbole de résistance face à l'impôt mais un symbole de victoire contre l'impérialisme ottoman.
La véracité de cette origine fait en tout cas douter de nombreux historiens comme Marcel Derrien qui a écrit en 2003 avec le maître pâtissier SG Sender La Grande Histoire de la pâtisserie-confiserie française. Dans son ouvrage, fruit de 10 ans de recherche, il assure que des pains en forme de croissants existaient depuis des siècles et étaient utilisés lors du culte des défunts. Des gâteaux en forme de croissants qui auraient été servis lors d'un banquet à la cour royale française en 1549 sont même mentionnés dans l'inventaire du patrimoine culinaire français.
Si l'origine exacte est enfouie dans l'ombre de l'Histoire, comment le croissant tel qu'on le connaît est apparu en France? Là encore les légendes sont nombreuses. Et qui dit Autriche, dit Marie-Antoinette. La future reine aurait rapporté des kiflis dans ses bagages en arrivant en France en 1770. Le kifli ou kipferl en austro-hongrois était une sorte de brioche en forme de croissant.

Mais là encore, cette origine n'est pas attestée. Tout comme la fausse citation "Qu'ils mangent de la brioche" citée par Jean-Jacques Rousseau et attribué à tort à la reine, le croissant est peut-être associée à Marie-Antoinette, du fait de ses origines autrichiennes, mais les sources historiques manquent.
La popularité du croissant semble plus tardive puisqu'il ne se retrouvera que près d'un siècle plus tard dans un dictionnaire. Le Littré mentionne en 1863 un "petit pain ou petit gâteau qui a la forme d'un croissant" et Pierre Larousse le fera entrer que six ans plus tard le définissant comme un "petit pain dont la forme est celle d'un croissant : Les croissants se font avec de la farine de première qualité travaillée avec une eau qui contient des œufs battus."
La popularité du croissant remonte en fait à 1837. C'est sans doute le véritable acte de naissance de la fameuse viennoiserie. C'est cette année-là que la Boulangerie viennoise est lancée à Paris 92 rue de Richelieu dans l'actuel IIème arrondissement. Deux Autrichiens August Zang et Ernest Schwarzer veulent populariser dans leur établissement moderne doté d'un four vapeur les fameux pains viennois. Plus sucrés, ces pains auraient pu effectivement échapper aux taxes sur le sel réintroduites en 1806 par Napoléon Ier après la suppression de la fameuse gabelle en 1790. Ils y proposent effectivement les kipferls viennois.
Le "vrai" croissant date de 1905
Mais les sources sur les motivations exactes des deux fondateurs de la Boulangerie viennoise manquent là encore. Et il semble que l'introduction des pains viennois ait plutôt été motivée par la piètre qualité du pain noir français qu'August Zang dégustait dans la capitale française.
Le pain viennois rencontre alors un grand succès et notamment sa déclinaison en forme de croissant. Mais l'histoire n'est pas finie puisque le croissant du XIXème siècle n'a rien à voir avec ceux offerts par Karine Le Marchand ce lundi.
La première recette du croissant à pâte feuilleté est attestée en 1905 seulement. Une réponse des pâtissiers de l'époque qui voulaient se démarquer des boulangers avec une pâte plus sophistiqué. Le croissant au beurre ne verra le jour qu'en 1920. C'est avant-guerre en 1938 seulement qu'il fait soin entrée dans le Larousse de la gastronomie. Il ne démocratisera vraiment qu'à partir des années 1950 dans tout le pays. Le mot viennoiserie quant à lui n'entrera au dictionnaire qu'en 1977.
Le croissant moderne est donc une invention relativement récente et sa véritable démocratisation n'interviendra en définitive que durant les "30 Glorieuses". Quant à son symbole de résistance face aux excès bureaucratiques, les sources manquent pour en attester.
