"La saison est ouverte?": comment Tefal a fait de la raclette le plat préféré des Français

C'est en 1978 que Tefal a lancé le tout premier appareil à raclette individuel. La marque en vend 1,2 million par an en France. - Tefal
C'est l'histoire d'une invention suisse qui est devenu le plat préféré des Français. Plus qu'un simple plat, la raclette est un symbole de la cuisine française depuis quelques années. On se demande chaque début du mois d'octobre sur les réseaux sociaux si la saison est ouverte, on partage ses photos et vidéos de soirées raclette sur Instagram (près d'un million de tags #raclette ou #racletteparty sur la plateforme), on débat sans fin sur la définition de la vraie raclette (poêlon ou meule?) et on attend fébrile que le consortium Unicode valide enfin les nombreuses demandes pour créer un emoji raclette.
Mais alors que les origines de cette spécialité culinaire qui fête cette année ses 450 ans ne font guère débat et remontent bien à 1574 à Sion dans le Valais suisse, c'est bien la France qui a en démocratisé la consommation.
Chaque foyer français consomme en moyenne près de 2 kg de raclette chaque année. Et malgré sa très forte saisonnalité, le fromage à raclette est avec plus de 38.000 tonnes écoulés en grande distribution, selon FranceAgriMer, le quatrième fromage le plus vendu en 2023 (en hausse de 19% depuis 2017).
Si on remonte quelques décennies en arrière, la raclette était inconnue de l'immense majorité des Français. Elle n'était consommée que localement dans les restaurants savoyards qui ont très tôt fait franchir les Alpes au fromage suisse. Les amateurs de ski s'en délectaient une à deux fois par an mais une fois rentrés à la maison, ç'en était fini du fromage fondu sur les pommes de terre.
1978, le premier appareil à raclette moderne
Jusqu'à ce qu'une petite marque qui s'était fait connaître quelques années auparavant avec ses poêles qui n'attachent pas change le destin du fromage de montagne. C'est bien sûr Tefal.
Rachetée par Seb en 1968, cette société créée à la fin des années 50 dans le Val-d'Oise par deux ingénieurs spécialisés dans les matériaux en métal va être prise d'une fièvre d'innovation au milieu de la décennie 1970.
"L'activité cuisson électrique a été créée en 1974 avec toutes sortes de produits, explique Christophe Gouthière, qui dirige aujourd'hui cette activité au sein de l'entreprise. Il fallait sans cesse trouver de nouveaux usages et de nouvelles manières de simplifier la vie des gens".
Croque-gaufre, crêpe-party, fondue party... Les appareils électriques de cuisson arrivent en force dans les foyers. Et chez Tefal aussi on va au ski. On repère cette spécialité savoyarde de grosse meule de fromage qui fond au coin du feu. Les clients des restaurants en rafollent mais il faut bien reconnaître que ce n'est pas pratique de reproduire l'expérience dans son appartement parisien.
"Il existait déjà des appareils à raclette mais ça ne marchait pas, indique Christophe Gouthière. C'était des systèmes chauffants qu'on rapprochait de la demi-meule de fromage. D'abord ce n'était pas très convivial puisqu'il fallait que chacun attende son tour pour avoir son fromage fondu et puis surtout il fallait acheter des demi-meules entières ce qui était bien trop gros pour une consommation familiale."
Les ingénieurs de Tefal ont alors une idée qui peut paraître simple aujourd'hui mais que personne n'avait eue avant eux: la création de poêlons individuels. C'est en 1978 qu'est lancé le tout premier appareil à raclette individuel. La système reste grosso modo le même avec une résistance qui chauffe le fromage par le dessus. Mais désormais chaque convive peut le faire soi-même autour de la table.
"Ce n'est pas une innovation technologique mais une innovation ergonomique, reconnaît Christophe Gouthière. Mais le succès a été immédiat et la consommation de raclette est montée en flèche."
1,2 million d'appareils vendus chaque année
À l'heure de l'IA et des innovations tecnologiques complexes, cette invention peut prêter à sourire. Mais comme l'explique pourtant Tim Harford, l'auteur britannique de "L'économie mondiale en 50 inventions", ce ne sont pas "les avancées technologiques majeures qui transforment le plus la société mais souvent aussi des méthodes humbles qui changent notre façon de faire des choses familières."
Et l'auteur de citer l'exemple des meubles Ikea à monter soi même, des fils barbelés qui ont façonné la notion de propriété aux États-Unis ou encore les rasoirs jetables qui ont inventé un modèle économique qui a fait école.
Dans le courant des années 80, la raclette se démocratise donc et entre massivement dans les foyers français. Tefal multiplie les modèles avec plus de poêlons, des plaque de chauffe sur le dessus, des pierrades et même cette année un appareil doté d'un grill sur le dessus. Mais le concept de base reste le même.

À partir du milieu des années 2010, les ventes d'appareils, relativement stables auparavant, prennent un nouvel essor.
"Le marché est monté à 1,2 million de pièces par an, indique Leïla Ambrosino, la directrice produit international de Tefal. La raclette c'est un plat simple et convivial qui a conquis une nouvelle génération. On a dépassé l'effet de mode. L'appareil à raclette c'est le cadeau qu'on offre à un jeune couple. D'ailleurs un appareil sur quatre vendu l'est pour être offert."
Un succès franco-français
Si la période des confinements a été à l'origine d'un bond des ventes de 15%, la croissance reste tout de même solide à 2% par an depuis. Désormais, selon les données du Gifam, ce sont 46% des foyers français qui sont équipés.
Un phénomène français que l'industrie peine toutefois toujours à exporter. En témoigne la réponse donnée par le consortium des émojis aux requêtes de nos confrères du Monde.
"Ça nous semble être un plat trop obscur, pas assez universel pour en faire une priorité à ajouter aux émojis nourriture", expliquait-il en 2020 pour justifier son refus de valider l'icône de la raclette dans son poêlon.
La marque Tefal vend essentiellement ses appareils en France et en Suisse et un peu en Allemagne, Autriche ou aux Pays-Bas. Pour la société le problème serait culturel.
"C'est très lié à notre façon de consommer le fromage, assure Leïla Ambrosino. C'est un produit avant tout européen. Mais même dans les pays comme l'Italie ou l'Espagne où on en consomme, il n'y a pas la culture du fromage fondu."
Ce n'est peut-être qu'une question de temps. Voilà quelques années déjà que les médias américains par exemple se font l'écho du "phénomène européen de la raclette".
"Aux Etats-Unis, elle commence à devenir populaire auprès des millenials et des femmes", assurait en 2019 un article du site Mashable.
La marque française qui s'écrit T-Fal outre Atlantique pourrait connaître une nouvelle jeunesse après les poêles popularisées par Jacky Kennedy en 1961 et l'Actifry rendue célèbre en 2013 par Oprah Winfrey. Ne reste plus qu'à trouver l'influenceur qui fera fondre les Américains.
