L'été dans les années 80. Des astronautes américains aux enfants français, le Tang, la boisson que "personne n'aimait"

Les moins de 40 ans ne doivent pas le connaître, les autres tentent probablement de l'oublier. Si les enfants aimaient le Tang dans les années 80, c'était certainement plus pour son côté ludique que pour son goût franchement chimique.
De quoi s'agissait-il? D'une poudre au goût d'orange qu'il fallait diluer dans de l'eau pour en faire une boisson aromatisée. Un composé chimique qui ne contenait absolument aucun extrait d'orange et qui serait vu aujourd'hui comme une incongruité totale. "On a eu de grandes phases dans l'alimentaire", explique Xavier Terlet, spécialiste de l'innovation alimentaire, fondateur du cabinet ProtéinesXTC.
"Le Tang c'est totalement l'ère de la praticité qu'on a vu apparaître à partir des années 60. À l'époque on se permettait tout, on ne s'inquiétait pas du faux."
Au contraire même, le Tang incarnait la modernité lorsqu'il a été lancé aux États-Unis, à une époque où l'on imaginait encore que les repas du futur seraient faits de poudres et de gélules.
Du Tang dans l'espace
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est la Nasa qui a fait -malgré elle- le succès de cette poudre dans les années 60. C'est un certain William Mitchell, roi de l'innovation alimentaire de la très puissante General Foods Corporation, qui invente en 1957 ces "cristaux de saveur". Le Tang est né et après un an de tests consommateurs, il est lancé dans les grandes surfaces américaines ainsi qu'au Venezuela et en Allemagne de l'Ouest en 1959.
Vendu comme une boisson pour le petit déjeuner riche en vitamine C ("une orange qu'on n'a pas besoin de presser" sera son premier slogan), le Tang passe au début totalement inaperçu.
C'est là que l'agence spatiale américaine entre en scène. Les ingénieurs se rendent en effet compte que l'eau réchauffée au sein des modules spatiaux pour des vols habités a mauvais goût. Pas question pour autant d'alourdir le module avec des boissons en bouteille. Il suffit d'aromatiser l'eau à bord avec de la poudre.
Le gouvernement se tourne donc vers General Foods qui livre à la Nasa de grandes quantités de sa nouvelle poudre au goût d'orange. L'accord prévoit cependant que la marque Tang n'apparaisse pas sur les emballages.
Lorsque l'astronaute John Glenn devient le premier américain à voyager dans l'espace en février 1962, il embarque dans sa capsule Friendship 7 des tubes de compote de pomme, des comprimés de sucre et des boîtes de poudre Tang.

L'histoire ne dit pas s'il a vraiment consommé la fameuse boisson mais pour General Foods peu importe. Son Tang a fait un tour dans l'espace et la société compte bien le faire savoir pour vendre sa poudre. Alors que les Américains se passionnent pour l'aventure spatiale, le groupe alimentaire inonde les magazines de publicités Tang, la boisson "choisie par les astronautes de la mission Gemini".
À la télévision aussi, les spots de Tang, la "boisson des astronautes", tournent en boucle et en 1968 la marque est même le sponsor officiel de la chaîne ABC lors de la diffusion du premier vol orbital autour de la Lune, Apollo 8. General Foods distribue dans ces années-là des dizaines de milliers de cartes de la Lune aux jeunes Américains qui plébiscitent alors la boisson en poudre.
Succès tardif en France
Et la France dans tout ça? Malgré son immense succès outre-Atlantique, le Tang reste inconnu des jeunes consommateurs français. Ils ont tout de même droit à un succédané italien, le Ninello.
General Foods finit par lancer dans les années 70 sa poudre au goût d'orange dans l'Hexagone. Mais plus question d'en faire la boisson des astronautes. L'ère de la course à la Lune est passée et le groupe américain préfère jouer une carte plus familiale. Dans un spot de 1978, c'est l'acteur Roland Giraud qui fait la promotion de la boisson à l'"incroyable goût d'orange."
Ce qui est "incroyable" c'est surtout que le Tang ne contient aucun extrait d'orange, son goût est totalement artificiel. De quoi induire les consommateurs en erreur? C'est en tout cas ce qu'estiment des concurrents en France de General Foods qui portent l'affaire devant la justice pour communication trompeuse.
Un litige qui ira jusqu'en cassation avec un arrêt de 1979 qui confirme la décision de la Cour d'appel qui avait jugé la tromperie qualifiée. "General Foods France a mis en œuvre une publicité comportant, par textes, par images et représentations graphiques, les allégations, indications et présentations de nature à induire en erreur sur la nature, la composition, les qualités substantielles et la teneur en principes utiles de son produit vendu sous la marque 'Tang'", peut-on lire dans l'arrêt.
Il ordonne la cessation de toute "publicité comportant l'allégation que 'Tang' est au goût d'un fruit frais ou fraîchement pressé".
Les références aux "fruits pressés" ainsi que les images d'orange disparaissent des publicités et des emballages de Tang. Ce qui n'empêche pas les ventes de décoller dans les années 1980. La marque cible les jeunes, met des décalcomanies dans ses boîtes et s'associe à des dessins-animés comme "L'Inspecteur Gadget" et "Galaxy Rangers" pour faire gagner des cadeaux.
De nouvelles saveurs sont même lancées comme pêche-abricot, citron-pamplemousse ou fruits exotiques.
"Tang c'est nul"
Dans ces années où les programmes jeunesse comme Récré A2 ou le Club Dorothée font des cartons d'audience, les publicitaires s'en donnent à cœur joie et ciblent ce nouveau public très prescripteur. Le bouche-à-oreille se fait dans les cours de récré où les enfants parlent entre eux de la dernière pub pour les vélos bicross, la poudre au chocolat Benco, les chewing-gums Malabar, les céréales Frosties, les biscuits Pepito et bien entendu le Tang. La boisson est de tous les goûters d'anniversaire, au même titre que le Banga ou l'Oasis.
Mais si la plupart de ces autres produits ont survécu, ce n'est pas le cas pour notre poudre "au goût d'orange". Au début des années 1990, les ventes s'effondrent et General Foods retire le Tang des rayons en 1993. La dimension ludique de préparer soi-même sa boisson a vécu. Ne reste plus que le goût chimique d'une boisson dans le fond pas très appréciée.
"Avec le Tang, il n'y avait pas de dimension plaisir, résume Xavier Terlet. Au tournant des années 90, les vrais jus de fruit se sont démocratisés avec des marques comme Tropicana ou Joker. Ça a correspondu avec une envie croissante pour la naturalité. Or la poudre dans l'alimentaire, c'est ce qu'il y a de plus artificiel."
Si la marque n'est plus commercialisée en France, elle fait toujours partie du catalogue du groupe Mondelez (le nom de Kraft General Food depuis 2012). Le Tang est toujours vendu en Amérique latine et en Inde. Et les ventes sont loin d'être anecdotiques puisque la marque serait valorisée la bagatelle d'un milliard de dollars au niveau mondial.
Revenons aux astronautes pour conclure. Ont-ils réellement bu du Tang dans l'espace ou sur la Lune? Une question mainte fois posée à Buzz Aldrin, le deuxième homme sur la Lune de la mission Apollo 11, qui a fini par reconnaître en avoir bu. Avant de conclure tout de même: "Tang c'est nul".
"L'été des années 80" vous replonge 40 ans en arrière à travers les 5 plus grand succès commerciaux de l'époque. Une série également à retrouver en podcast.
