Est-ce Leclerc qui est moins bon ou les autres qui sont meilleurs? L'enseigne recule pour la première fois depuis 40 mois et perd près de 400.000 clients

Une mauvaise passe pour E.Leclerc? Portée par la vague inflationniste, l'enseigne n'a cessé de grapiller de nouvelles parts de marché ces dernières années. Mais la machine a calé au printemps: à 24%, le groupement E.Leclerc a perdu 0,2 point de part de marché en valeur sur la cinquième période de l'année (du 21 avril au 18 mai 2025) par rapport à l'année précédente, selon les données du panéliste Kantar Worldpanel. Pour les magasins E.Leclerc, un tel recul n'a rien d'habituel, tant l'enseigne a dominé ses concurrentes depuis quelques temps.
Ce tassement confirme une précédente alerte: le groupement E.Leclerc avait cédé 0,1 point de part de marché (23,7%) sur la troisième période de l'année (du 24 février au 23 mars). Soit, à ce moment-là, une inflexion observée pour la première fois depuis trois ans, rapporte le magazine spécialisé LSA Conso, qui rappelle que l'enseigne avait jusqu'alors cumulé quarante périodes de hausse d'affilée. E.Leclerc avait inversé la tendance sur la période suivante (+0,3 point sur la quatrième période de l'année, à 24,1%), avant d'enregistrer une nouvelle baisse sur la cinquième période annuelle.
"Si l’internet continue de très bien performer avec une progression des commandes de plus de 10%, les magasins enregistrent la perte de 377.300 acheteurs" sur la cinquième période de l'année, observe Gaëlle Le Floch, directrice des études chez Kantar Worldpanel, auprès de LSA Conso.
Ralentissement de l'inflation
Pour E.Leclerc, la base de comparaison est toutefois très haute, et l'enseigne décroche d'un piédestal élevé. Ses magasins peuvent s'attribuer de très bonnes performances depuis la sortie de la crise sanitaire: revigorés par la crise inflationniste, ils ont gagné des centaines de milliers de clients supplémentaires dans l'Hexagone, convaincus par une image-prix inégalée dans la grande distribution française. Son médiatique représentant Michel-Édouard Leclerc, incarnation de l'enseigne aux yeux du grand public, s'était alors mué en symbole des prix bas.
Selon Kantar Woldpanel, le groupement E.Leclerc a enregistré des progressions supérieures ou égales à 1 point de part de marché sur une douzaine de périodes successives entre le printemps 2023 et le printemps 2024 – difficile de faire mieux lorsque l'inflation pose le pied sur le frein. Moins tracassés par les prix, les consommateurs se montrent aussi un peu moins fidèles à telle ou telle enseigne. Par ailleurs, certaines enseignes concurrentes – en particulier Intermarché et Super/Hyper U – ont mené de vrais efforts sur les prix, réduisant l'écart tarifaire sur le marché.
Au-delà du ralentissement de l'inflation, c'est aussi le marché en lui-même qui a changé de visage.
"La recomposition du paysage de la grande distribution en France a boosté les parts de marché" de ses grands concurrents, note Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce, auprès de BFM Business. "Quatre acteurs ont, indépendamment de la croissance naturelle, bénéficié d'une croissance externe" sur leurs parcs de magasins, souligne-t-il, évoquant les nombreux rachats qui ont chahuté le monde de la grande distribution tricolore sur les deux dernières années.
Les lourdes difficultés financières du groupe Casino l'ont contraint à se séparer de la quasi-totalité de ses supermarchés et hypermarchés au profit de ses concurrents, en grande partie Intermarché et Auchan. Le groupe Carrefour, lui, a mis la main sur une soixantaine d'hypermarchés Cora, qui pesaient un peu plus de 2% de part de marché, passant l'enseigne sous ses propres couleurs. Le groupe régional Schiever, lui, s'est récemment rallié à Coopérative U, qui a ainsi récupéré une douzaine d'hypermarchés Auchan et une centaine de supermarchés Bi1 et Maximarché.
"Des enseignes vulnérables"
Par ailleurs, "quand vous avez des enseignes vulnérables, il est d'autant plus facile de prendre des parts de marché", ajoute Frank Rosenthal, prenant l'exemple du chancelant groupe Casino, mais aussi de Carrefour et d'Auchan. Stimulée par les efforts tarifaires et la concentration du marché, la concurrence s'est néanmoins ravivée ses derniers mois et "il est plus difficile aujourd'hui qu'auparavant d'aller gagner des points", enchaîne-t-il, même si cela ne bouscule pas encore la place incontestée de leader solidement tenue par les supermarchés E.Leclerc.
E.Leclerc "ne gagne plus de parts de marché", ce qui devrait pousser l'enseigne à réaliser "de nouvelles actions sur les prix", a récemment observé la banque américaine JPMorgan dans une note consacrée au groupe Carrefour. Invité ce jeudi matin sur BFMTV-RMC, Michel-Édouard Leclerc a promis "des promotions" sur les carburants au cours des vacances d'été. "C'est toujours nécessaire [...]. On peut tout imaginer et on a plein d'idées en tête", a-t-il assuré.