Ciblage des jeunes: comment le gouvernement veut s'attaquer aux paris sportifs

Le grand gagnant de l'Euro 2020 ne sera pas uniquement une équipe de football. Les sites de paris sportifs en ligne ont vu le nombre de mises exploser au cours des derniers mois. Selon les projections de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), elles devraient atteindre les 700 millions d'euros dans l'Hexagone durant la compétition (2,2 milliards d'euros depuis le début de l'année) avec pour principale catégorie de parieurs les 18-24 ans. Une situation qui préoccupe le gouvernement.
L'éxécutif reclame des sanctions
Selon nos informations, Sarah El Haïry, secrétaire d'Etat chargée de la jeunesse, a adressé ce 9 juillet une lettre à Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ, pour lui demander de se saisir du problème. Dans le document que BFMTV a pu consulter, elle évoque notamment les stratégies de communication de Winamax, Betclic, la Française des jeux et consorts, ciblant directement les plus jeunes.
"Ces publicités valorisent le jeu en sous-entendant qu'il contribue à la réussite sociale. Elles mettent en scène des profils qui sortiraient de situations de difficultés personnelles, professionnelles, sociales ou psychologiques grâce au jeu" dénonce Sarah El Haïry.
Mais la secrétaire d'Etat se fait plus incisive, estimant que certaines publicités sont illégales, ne respectant pas le cadre de régulation spécifique aux jeux d'argent. Elle rappelle que les règles interdisent dans ce cadre toute communication suggérant que "jouer contribue à la réussite sociale" ou que "jouer peut être une solution face à des difficultés".
"Il me semblerait ainsi nécessaire pour notre jeunesse que l'Autorité que vous présidez puisse se saisir de ce sujet et après enquête puisse envisager des sanctions à l'encontre des plateformes qui contreviendraient à ces principes (avertissement, suspension d'exploitation de jeux voire sanctions pécuniaires le cas échéant)" réclame la secrétaire d'Etat, qui évoque une situation qui n'est "pas acceptable".
Les jeunes des banlieues comme première cible
"On peut considérer que certaines publicités dépassent en effet le cadre fixé par un décret en novembre, qui interdit de donner une image positive du jeu ou qui suggère qu’il contribue à la réussite sociale" regrettait Isabelle Falque-Pierrotin auprès de Libération dans une interview accordée ce 6 juillet.
Invitée de notre émission Bonsoir Bruce, à la mi-juin, Isabelle Falque-Pierrotin reconnaissait que "les paris sportifs en ligne correspondent directement à l'univers des jeunes: c'est en ligne, il y a des héros, on peut s'identifier". "Les publicités sont très habiles, elles jouent avec les dispositions légales", assurait la présidente de l'ANJ. "Ces dispositions légales ont été renforcées à la fin de l'année 2020. Les opérateurs doivent nous présenter chaque année leur stratégie promotionnelle. On peut vérifier qu'ils respectent leurs engagements".
Elle ne pense pas que la réponse soit de "prohiber la publicité". "C'est aussi le moyen de faire la promotion de l'offre légale, face à l'offre illégale", juge-t-elle. "Le conseil que j'ai à donner aux jeunes, c'est: 'amusez vous, mais ne pensez pas que vous allez gagner votre vie avec le pari sportif'."
Au cours des dernières semaines, plusieurs médias ont publié des enquêtes sur les pratiques commerciales de ces entreprises, notamment dans leur volonté de viser les plus jeunes, avec une hausse des budgets publicitaires de 26% depuis 2019, soulignait Le Monde le 23 juin dernier. Avec, comme le rappelle le quotidien, des messages qui reprennent le langage et les codes des plus jeunes, accompagnés de mises en scènes qui ne sont pas sans rappeler l'environnement des banlieues et une communication offensive sur les réseaux sociaux.
"On pourrait, comme c’est le cas dans d’autres pays, les interdire [les publicités pour les sites de paris sportifs, ndlr] à certaines heures données. Ou alors empêcher certains formats ou la participation de personnalités et d’influenceurs" envisage Isabelle Falque-Pierrotin, toujours auprès de Libération.
En février dernier, une enquête du Bondy Blog faisait écho des "ravages" des paris sportifs dans les quartiers, notamment en raison des addictions provoquées chez les plus jeunes qui y laissent toutes leurs économies. Des témoignages de la même nature ont été récoltés par l'hebdomadaire Marianne dans un article publié le 1er juillet. Ce 2 juillet, une enquête de Libération révélait des méthodes qualifiées d'illégales des différents sites de paris sportifs comme Winamax ou Unibet pour limiter les mises des joueurs gagnants, et encourager ceux qui perdent à parier toujours davantage.
Le dossier est désormais entre les mains de l'Autorité nationale des jeux. Comme autorité indépendante, elle ne peut être saisie directement par le gouvernement, mais doit s'autosaisir. L'exécutif peut cependant l'inviter à y réfléchir. Une commission des sanctions ou un médiateur peuvent, au sein de l'Autorité, s'emparer du dossier et prononcer des sanctions allant de l'avertissement au retrait de l'agrément.