BFM Business
Economie

Affaire Ledger: ces grands patrons qui ont été pris pour cible par les malfaiteurs

Des fonctionnaires assistent à la reconstitution policière de l'enlèvement du PDG de Phonogram Louis Hazan, le 15 janvier 1976 dans une villa de Tremblay-lès-Villages.

Des fonctionnaires assistent à la reconstitution policière de l'enlèvement du PDG de Phonogram Louis Hazan, le 15 janvier 1976 dans une villa de Tremblay-lès-Villages. - AFP

Kidnapping d'un enfant Peugeot, enlèvement du patron de Fiat France, rocambolesque affaire du baron Empain... Dans les années 70, les chefs d'entreprises étaient visés par le grand banditisme. Une épidémie venue d'Italie.

Une sombre affaire qui heureusement s'est bien terminée. Deux jours après leur enlèvement, David Balland, cofondateur de l'entreprise française de cryptomonnaies Ledger, ainsi que son épouse ont été libérés par le GIGN.

Un patron pris pour cible par des criminels, un événement rarissime de nos jours qui renvoie à un passé pas si lointain. Des années 60 à la fin des années 80 avec un pic au milieu des années 70, les affaires criminelles concernant les chefs d'entreprises et leurs familles ont mainte fois émaillé l'actualité. Pour des motifs crapuleux ou politiques, on enlevait, séquestrait parfois même assassinait des patrons médiatiques ou des membres de leur famille.

Une épidémie venue d'Italie, pays alors marqué par le terrorisme des "années de plomb", comme le rappelait en 2014 sur RTL Claude Cancès, l'ancien directeur de la Police Judiciaire de Paris qui était en charge des dossiers d'enlèvements de patrons.

"En Italie [dans les années 70], l'enlèvement avec demande de rançon étaient devenue une industrie, se remémore-t-il. Non seulement les rançons étaient versées par les familles et la police, mais une fois sur deux on retrouvait un cadavre. On a compris que si on cédait à ces malfaiteurs on allait vivre ce que vivaient nos collègues italiens, être débordés par ces rapts en série. La stratégie a été payante: on ne cède pas."

Pas de paiement de rançon. Voilà ce qui va devenir la doctrine de la police judiciaire au milieu des années 70 lorsqu'il est question d'enlèvement de patron. Une méthode décidée par une figure du 36 quai de Orfèvres d'alors, Pierre Ottavioli surnommé "Monsieur Antirapt".

Retour sur ses histoires de crimes et de gros business.

•1960: le petit-fils du patron de Peugeot est kidnappé dans un parc

Photo prise le 12 avril 1960 à Paris, montrant l'enfant Eric Peugeot (2ème à droite) dans les bras de sa mère Colette alors qu'ils quittent le commissariat avec le père Roland Peugeot tenant dans ses bras le petit frère Jean-Philippe.
Photo prise le 12 avril 1960 à Paris, montrant l'enfant Eric Peugeot (2ème à droite) dans les bras de sa mère Colette alors qu'ils quittent le commissariat avec le père Roland Peugeot tenant dans ses bras le petit frère Jean-Philippe. © AFP

C'est une affaire qui a bouleversé la France. Le 12 avril 1960, Éric Peugeot, 4 ans et demi est enlevé en plein jour dans un parc près du golf de Saint-Cloud en banlieue parisienne pendant que ses grands-parents sont sur le parcours. Au pied du toboggan où il a été enlevé, les ravisseurs ont laissé une lettre.

"Cher monsieur Peugeot. Voilà ce qu'on pourra lire dans les journaux si vous nous faites marron: "Le jeune Peugeot est mort après avoir subi d'horribles tortures parce que ses parents ont refusé d'allonger 50 millions [950.000 euros actuels] ou ont été bavards avec la police..." Je ne tiens pas à confier votre petit aux bons soins de mon ami Dédé, il est un peu dingue !..."

Roland Peugeot, le père du jeune enfant, lance un appel le soir même à la télévision et le lendemain l'affaire fait la une de tous les journaux. Les Français ont alors encore en mémoire le terrible assassinat aux Etats-Unis du bébé de l'aviateur Charles Lindbergh retrouvé mort après un enlèvement et une demande de rançon.

La famille Peugeot ne veut prendre aucun risque et contre l'avis de la police décide de payer les 50 millions. Le petit Eric Peugeot est libéré et déposé devant une brasserie parisienne.

Les malfaiteurs, un certain Raymond Rolland et son complice Pierre-Marie Larcher, seront retrouvés et interpellés 11 mois plus tard à Megève, la station de ski très huppée. Palaces, restaurants étoilées, voitures cabriolet, casinos... En moins d'un an, la rançon a été presque intégralement dépensée. Ils écoperont de vingt ans de réclusion.

•1975: le fils du patron du laboratoire Mérieux est enlevé sur le chemin de l'école

Christophe Mérieux, 9 ans,est ramené à ses parents, le 12 décembre 1975 à Lyon, après avoir été retrouvé errant dans une rue de la ville. L'enfant avait été enlevé le 9 décembre au matin près de son école. Une rançon de vingt millions de francs a été versée le 12 décembre par son père contre la libération de son fils.
Christophe Mérieux, 9 ans,est ramené à ses parents, le 12 décembre 1975 à Lyon, après avoir été retrouvé errant dans une rue de la ville. L'enfant avait été enlevé le 9 décembre au matin près de son école. Une rançon de vingt millions de francs a été versée le 12 décembre par son père contre la libération de son fils. © AFP

Mardi 9 décembre 1975, Christophe Mérieux, 9 ans, est enlevé par un groupe d'hommes alors qu'il se rend à pied à l’école de la Rédemption, dans le 6e arrondissement de Lyon.

Le jeune garçon est l'héritier potentiel de deux très grandes familles d'industriels. Berliet (fabricants de camions) par sa mère et évidemment les laboratoires Mérieux que Alain, le père du garçon, dirige alors avec son père.

Quelques minutes après le rapt, la mère de Christophe reçoit un coup de téléphone. Au bout du fil, un homme lui réclame 10 millions de francs (plus de 8 millions d'euros actuels). Quelques heures plus tard, nouvel appel, cette fois c'est 20 millions de francs qui sont réclamés, soit la plus importante somme jamais exigée pour une rançon.

L'affaire n'est pas médiatisée, mais ça s'agite en coulisse. La police et le ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski ne veulent pas céder aux ravisseurs. Mais Jacques Chirac, premier ministre d'alors et proche d'Alain Mérieux laisse ce dernier payer la rançon.

L'enfant est libéré et abandonné dans une poubelle près d'un garage automobile et rentre seul en stop chez lui.

La presse révèle alors l'affaire et l'enfant assure avoir bien été traité durant ses quelques jours de détention où on lui a donné des livres et laissé écouter la radio.

L'enquête suit son cours quand un inspecteur reconnait dans un enregistrement de demande de rançon la voix de Louis Guillaud, un truand lyonnais notoire surnommé la "Carpe". Il est arrêté en février 1976 au moment d'échanger des billets de la rançon contre des lingots d'or. Il sera condamné en 1981 à 20 ans de prison, sa femme à deux ans, mais les autres complices ne seront jamais retrouvés. Au final, moins de la moitié de la rançon sera retrouvée...

•31 décembre 1975: l'affaire Hazan, l'ami de Johnny, qui va tout changer

Le PDG de Phonogram, Louis Hazan, suivi de son épouse, rejoint son domicile à Paris à sa libération, le 7 janvier 1976, après avoir été enlevé dans une villa de Tremblay-lès-Villages.
AFP
Le PDG de Phonogram, Louis Hazan, suivi de son épouse, rejoint son domicile à Paris à sa libération, le 7 janvier 1976, après avoir été enlevé dans une villa de Tremblay-lès-Villages. AFP © AFP

C'est une affaire rocambolesque qui va imposer la nouvelle doctrine de la police du "on ne cède pas". Alors que l'Italie est empêtrée dans un nombre incalculable de crimes crapuleux qui vise grands patrons et hommes politiques, la France veut juguler ce business criminel.

Quelques semaines après l'enlèvement de jeune Christophe Mérieux, c'est celui de Louis Hazan, patron de l’influente maison de disques Phonogram et ami entre autres de Georges Brassens ou Johnny Hallyday qui va permettre à la police de prendre la main.

Le mercredi 31 décembre 1975 donc, six hommes armés qui ne sont pas masqués font irruption en pleine réunion à la maison de disque Phonogram. Ils menacent le PDG de la société, Louis Hazan, 53 ans, lui lient les mains avec un fil de téléphone, le cagoulent et l'enferment dans une malle en osier. Le directeur financier de la société est emmené lui aussi et tout le monde s'enfuient par une porte de service dont même le personnel de la société ignore l'existence.

Les ravisseurs réclament alors une rançon de 15 millions de francs (12 millions d'euros actuels). L'affaire ne sort pas dans la presse à la demande expresse d'Odette Hazan, l'épouse de la victime. Au 36 quai des Orfèvres, Pierre Ottavioli qui mène l'enquête refuse que la famille paie la rançon.

Après des rendez-vous ratés avec les ravisseurs pour de fausses remises de rançons, la police confond le directeur financier de Phonogram qui reconnaît être le complice du gang.

Deux membres finissent par être arrêtés lors d'un ultime rendez-vous de remise de l'argent. Et un numéro de téléphone retrouvé sur l'un d'eux permet de remonter la piste jusqu'à une maison près de Chartres où est retenu Louis Hazan. Le cerveau de l'opération, un certain Ugo Brunini proche de milieux d'extrême droite avait une société de nettoyage qui travaillait pour Phonogram.

•1977: on réclame 30 millions de dollars pour libérer le patron de Fiat France

Le directeur de Fiat France, Luchino Revelli-Beaumont (C), donne une conférence de presse le 12 juillet 1977 à Paris après sa libération indemne par ses ravisseurs. Revelli-Beaumont a été retenu captif pendant 89 jours. De gauche à droite : le fils de Luchino, Paolo Revelli-Beaumont, sa fille Laura, son épouse et son avocat M. Lemaire. PHOTO AFP
Le directeur de Fiat France, Luchino Revelli-Beaumont (C), donne une conférence de presse le 12 juillet 1977 à Paris après sa libération indemne par ses ravisseurs. Revelli-Beaumont a été retenu captif pendant 89 jours. De gauche à droite : le fils de Luchino, Paolo Revelli-Beaumont, sa fille Laura, son épouse et son avocat M. Lemaire. PHOTO AFP © AFP

L'industrie automobile est une des plus visées par ces affaires criminelles. Après Peugeot en 1960, c'est le patron de Saab France qui est enlevé en 1976. En avril 1977, c'est l'affaire Luchino Revelli-Beaumont qui va faire la une de la presse pendant des mois.

En avril de cette année, l'homme qui est alors directeur général de Fiat-France est enlevé en plein 16e arrondissement à Paris. Un acte politique cette fois?

Un groupuscule qui se prétend révolutionnaire et qui est composé d'Argentins, réclame 30 millions de dollars, l'équivalent de 150 millions d'euros actuel.

Un manifeste est envoyé à la presse dont au journal Le Monde qui publie sur une pleine page ce document adressé "aux ouvriers européens, nord-européens et japonais, à leurs enfants, à nos peuples du tiers-monde, à nos camarades".

Plus de 600 policiers français sont mobilisés et des tractations secrètes ont lieu avec des intermédiaires en Suisse. Finalement, 2 millions de dollars sont versés par Fiat et Luchino Revelli-Beaumont est relâché 89 jours plus tard en plein Paris.

Si certains membres du groupuscule ont fini par être arrêtés et inculpés, des zones d'ombres persistent sur cette affaire près de 50 ans après. Notamment sur ces véritables instigateurs qui pourraient être des proches de l'ancien dirigeant argentin Juan Peron selon des révélations tardives.

•1978: la mythique affaire du baron Empain

Le baron Edouard-Jean Empain (C) parle aux journalistes après avoir entendu le verdict dans le procès de 8 personnes impliquées dans l'enlèvement du baron en 1978, le 17 décembre 1982, au tribunal correctionnel de Paris. À droite, le journaliste français Ladislas de Hoyos.
AFP
Le baron Edouard-Jean Empain (C) parle aux journalistes après avoir entendu le verdict dans le procès de 8 personnes impliquées dans l'enlèvement du baron en 1978, le 17 décembre 1982, au tribunal correctionnel de Paris. À droite, le journaliste français Ladislas de Hoyos. AFP © AFP

"La rançon ne sera jamais versée, arrêtez le massacre, libérez Empain." Ce 24 mars 1978, le commissaire Ottavioli prévient un des complices qui vient d'être arrêté alors qu'un des malfaiteurs vient d'être abattu à l'aéroport d'Orly. Personne ne paiera les 80 millions de francs (50 millions d'euros) réclamés par les ravisseurs pour la libération du baron Empain.

Riche héritier âgé de 41 ans à l'époque, le baron Édouard-Jean Empain dirige l'empire Empain-Schneider, présent dans les domaines de l'électricité, du nucléaire et compte près de 150.000 employés. Le 23 janvier 1978, il est enlevé à la sortie de son domicile avenue Foch à Paris dans son véhicule.

Le lendemain, un coup de fil est passé au proche. Une "surprise" les attend dans une consigne de la gare de Lyon à Paris. La suite est digne d'un thriller hollywoodien. Les enquêteurs découvrent une lettre dans laquelle une rançon de 80 millions de francs est réclamée ainsi qu'un paquet qui contient un flacon de formol dans lequel se trouve une phalange de l'auriculaire gauche de l'homme d'affaires que les ravisseurs ont sectionné. La lettre précise en outre que d'autres morceaux du corps mutilé du baron suivront si la rançon n'est pas payée.

Les semaines passent sans nouvelle des ravisseurs. La vie de l'homme d'affaires est étalée dans la presse. Joueur invétéré et endetté qui multiplie les relations extra-conjugales... La police découvre que l'entreprise du baron Empain négocie en secret avec les ravisseurs pour faire baisser le montant de la rançon. La crim' les convainc finalement de ne pas payer.

Après des rendez-vous ratés à Paris et Megève, la police met donc la main à Orly sur un des ravisseurs, Alain Caillol, le 24 mars. Deux jours plus tard, le baron Empain est libéré après un vote de ses ravisseurs. Par cinq voix contre deux, il aura la vie sauve.

Les peines infligées aux ravisseurs en 1982 sont de quinze à vingt ans de réclusion criminelle.

• 2019: Thierry Breton séquestré chez lui et cambriolé

C'est l'affaire la plus récente. Le samedi 20 juillet 2019, l'ancien commissaire européen qui était encore à l'époque PDG d'Atos, Thierry Breton ainsi que son épouse et son chauffeur, qui loge à son domicile, ont été victimes dans la nuit à Paris d'un cambriolage.

Frappés et séquestrés, par deux hommes, "cagoulés et gantés" qui se sont introduits vers 2h30 du matin dans le logement de l'ex-ministre de l'Économie, situé dans le 14e arrondissement de Paris, en passant par une fenêtre qui n'était pas fermée.

Les cambrioleurs s'enfuiront avec "un bracelet en diamant d'une valeur de 50.000 euros" et quelques centaines d'euros en liquide.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco