Le spectaculaire retour en force de la sandale française Méduse

2021, l'année des Méduse? Probablement. Mais comme les années précédentes. Cela fait quelques étés maintenant que les sandales en plastique de notre enfance sont redevenues tendance.
On les voit sur les défilés de mode, dans les magazines branchés avec ou sans chaussettes et bien sûr sur les plages pour éviter de se blesser les pieds sur les rochers ou se prémunir contre les douloureuses piqûres de vives...
"Nous en vendons entre 400.000 et 500.000 exemplaires par an dont 20% pour l'export vers le Japon et la Corée du Sud, assure Anne-Céline Humeau, qui dirige l'entreprise Humeau-Beaupréau qui fabrique la fameuse sandale. Et ce qui est incroyable c'est que le produit n'a pas changé depuis 1946: c'est la même forme, la même coupe et le même tressage qu'à l'époque. Il y a juste la qualité du PVC qui s'est amélioré."
Car la Méduse fête cette année ses 75 ans d'existence, comme le bikini aussi d'ailleurs. Et à l'image du maillot de bain, la sandale en plastique est une success story bien française. Son apparente simplicité pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un produit conçu et fabriqué dans un pays à bas coût, mais il n'en est rien.
Le berceau de la Méduse se situe dans le Massif Central à des centaines de kilomètres du bord de mer le plus proche. C'est là sur le lieu-dit des Sarraix (d'où le nom originel de "La Sarraizienne") dans le Puy-de-Dôme qu'un certain Jean Dauphant, coutelier de son état, a au sortir de la guerre et alors que le cuir vient à manquer cette idée d'une sandale en plastique moulée en monobloc.
Les Parisiens lui donnent son nom
Une création un peu par accident et sur le tard pour ce coutelier qui a alors 58 ans.
"Il avait acheté du PVC pour le manche de ses couteaux mais le produit qu'il avait reçu était trop souple, raconte Anne-Céline Humeau. Il a eu l'idée de faire des chaussures pour le bain. Parce que s'il n'y a pas la mer en Auvergne, il y a tout de même des rivières avec des rochers..."
Le succès de cette sandale est immédiat. Notamment dans les territoires d'outre-mer et les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne. Avec la décolonisation, les débouchés s'effondrent et l'entreprise fait le pari du tourisme de masse balnéaire qui décolle dans la France des 30 Glorieuses.
Pari réussi, les sandales en plastique s'arrachent. A tel point que dans les années 50, l'entreprise abandonne son activité de coutellerie créée 20 ans plus tôt pour se consacrer pleinement à la chaussure de plage.
La société adopte le nom "Sarraizienne" en 1962 mais le public préfère lui donner des surnoms plus affectifs. Les Auvergnats l'appellent "Nouille", les Vendéens "Squelette", dans le Nord c'est la "Fifi" ou encore "Mica" dans les Antilles. C'est à Paris qu'on commence à l'appeler "Méduse" dans les années 70-80. C'est le nom qui finira par s'imposer.
"C'était une référence à sa couleur de début qui était blanche et transparente comme l'animal, explique Anne-Céline Humeau. La marque a finalement fini par être déposée."
Le succès des Méduses atteint son apogée dans les années 80. Plastic-Auvergne (nom de la société depuis 1977) voit alors arriver des centaines de contrefaçons produites en Asie pour beaucoup moins cher. Et elle a beau s'être diversifiée dans les années 70 avec les bottes et les tongs, les années 90 sont difficiles.
La fin de l'aventure en 2003
D'autant que la compagnie refuse la solution de facilité de la délocalisation.
"Si nous étions des financiers purs et durs nous aurions tout intérêt à délocaliser, mais nous sommes nés aux Sarraix, s'émeut en 1996 dans Libération Marc Paslier, le petit-fils du fondateur. Tant qu'on pourra continuer..."
Prémonitoire. Quelques années plus tard, l'entreprise est liquidée et les machines de production sont vendues. La fin d'une aventure de près de 60 ans pour l'entreprise auvergnate.
Mais pas la fin de la Méduse. En 2003, c'est une autre entreprise familiale, le groupe Humeau-Beaupréau qui fabrique des chaussures dans le Maine-et-Loire depuis 1905, qui rachète l'outil de production et reprend la marque qu'il dépose pour la protéger.
"On a d'abord lutté contre la contrefaçon pour assainir un peu le marché des contrefaçons asiatiques qui pouvaient être très présentes et donc on a été aidé évidemment par les tribunaux et aujourd'hui on est énormément aidé par les douanes, explique Anne-Céline Humeau à l'AFP.
L'entreprise qui compte 140 salariés ne veut pas commettre la même erreur que les Auvergnats et délocalise la production de sandales au Maroc. Le succès est au rendez-vous. Malgré la concurrence des tongs et des Croc's, la société en écoule rapidement des centaines de milliers par an.
Dans les années 2010, la marque prend habilement le virage mode. La nostalgie fait vendre et les produits que l'on détestait au collège redeviennent tendances comme le K-Way, les cartables Tann's et donc la Méduse.
La société fait alors de Méduse une marque globale qu'elle accole sur des bottes, des claquettes, des sandales à talon et autres bottines en plastique. Elle multiplie les modèles (40 aujourd'hui) et les couleurs (20) et surtout rapatrie une partie de sa production en France à partir de 2015.
"Nous avons développé une machine pour faire de l'injection tricolore dans le moule pour varier les modèles, explique Anne-Céline Humeau. Nous avons un process de fabrication assez automatisé ce qui nous permet d'avoir des coûts de main d'oeuvre limité par rapport aux autres activités de la chaussure."
Ce qui lui permet de faire du Made in France sans trop gonfler les prix. La Méduse du Maine-et-Loire ne coûte que 2 euros de plus que celle du Maroc. La relocalisation s'intensifie donc et aujourd'hui 50% des sandales sont produites en France.
"Toutes celles qui sont vendues en France sont de fabrication française", assure la dirigeante.
Et après avoir lancé un site de vente qui rencontre notamment un grand succès à l'étranger (50% des ventes en ligne), la société veut mettre le paquet sur le développement durable. Elle se fournit désormais en PVC produit localement et elle recycle ses chutes de production pour fabriquer de nouveaux modèles.
