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+40% d'importations en 5 ans: les tomates marocaines dans le collimateur des agriculteurs français

Tomates cerises (illustration)

Tomates cerises (illustration) - AFP

36% des tomates consommées en France sont désormais importées. Coût du travail élevé, manque de compétitivité, montée en gamme trop générale, vision trop élitiste du consommateur français. La tomate est un petit concentré des problèmes qui minent l'agriculture française.

Ils veulent la peau des tomates marocaines. Vendredi dernier des centaines de kilos de légumes ont été déversés sur l'autoroute A7 du côté de Montélimar dans la Drôme par des agriculteurs qui s'en sont pris à des camions venus de l'étranger. Poivrons, choux, aubergines mais surtout quantité de tomates jonchaient le bitume.

Cela fait des mois maintenant que la tomate et plus précisément celle en provenance du Maroc est dans le collimateur des producteurs français. En juin déjà des opérations coups de poing étaient organisées dans certaines enseignes de grande distribution. A Arles dans les Bouches-du-Rhône notamment, des producteurs locaux avaient fait irruption dans un E.Leclerc pour coller des étiquettes "Origine Maroc" sur des barquettes de tomates cerises vendues 95 centimes.

"Avec la guerre des prix entre les enseignes, le fameux pouvoir d'achat de monsieur Leclerc on a mis en avant ce produit tout en trompant le consommateur qui ne sait pas vraiment ce qu'il y a derrière", dénonce Vincent, un adhérent de l'AOPn Tomates et concombres de France sur BFMTV.

L'attrait de la distribution pour les tomates venues du Maroc ne date évidemment pas la poussée inflationniste post-Covid. Relativement stables entre 2011 et 2017 à 300.000 tonnes par an, les importations de tomates marocaines ont bondi depuis selon les chiffres des Douanes. Elles ont atteint plus de 425.000 tonnes en 2022, soit une hausse de 40% en à peine cinq ans.

36% des tomates consommées sont importées

Une croissance qui s'est faite au détriment de la tomate d'Espagne qui recule depuis 10 ans et surtout de la tomate française. La France importe désormais presque autant de tomates qu'elle n'en produit. Le pays est aujourd'hui le troisième importateur mondial de tomates dans le monde, derrière les États-Unis et l'Allemagne. Certes, une grande partie des importations ne font que transiter par la France (envrion 200.000 tonnes sur les plus de 500.000 annuelles) et la consommation de tomates importées est principalement saisonnière (de novembre à avril). Malgré tout, la part des tomates importées augmente dans la consommation.

"Au total, on estime que 36 % des volumes annuels de tomates fraîches consommées en France sont importées, principalement l'hiver mais de plus en plus toute l'année en raison du développement d'une offre marocaine, belge et néerlandaise concurrençant la production française de saison", s'alarmaient en 2022 les auteurs d'un rapport sénatorial.

Du côté du Maroc, la France est un marché appétissant. Le pays du Maghreb est devenu le troisième exportateur de tomates de la planète et l'Hexagone est de loin son premier client avec 51% de la production écoulée à l'étranger. Loin devant le Royaume-Uni (19%) et les Pays-Bas (11%).

Les Français sont de très gros consommateurs de tomates. Ils en achètent 13,6 kg par personne et par an, ce qui en fait le premier légume frais consommé par les ménages. Depuis 2012, un accord de libre-échange entre l'UE et le Maroc permet à ce dernier d'exporter 285.000 tonnes de tomates entre le 1er octobre et le 31 mai sans droit de douane. Cet accord n'a pas été revu à la baisse malgré la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Ce qui mathématiquement a accru la part des tomates marocaine sur le reste du Vieux Continent.

Mais cet accord est loin d'expliquer l'engouement des consommateurs pour la tomate marocaine. La production française a fortement reculé depuis les années 2000 principalement dans le sud de la France. Les exploitations bretonnes (25% de la production aujourd'hui) prenant le pas grâce à des cultures sous serres ou abris et en raison de l'émergence de maladies végétales.

Montée en gamme ratée

"Le plein champ tend à s'effacer face à une production différente, mieux à même de répondre aux demandes de la grande distribution qui privilégie des produits standardisés, sans défaut de forme, de coloration ou d'aspect", constate le rapport du Sénat.

Comme dans la plupart des marchés agricoles, les producteurs français ont tenté une montée en gamme vers des segments à plus forte valeur ajoutée. Ils ont ainsi eyu recours à des certifications de plus en plus contraignantes (Global Gap, IFS, BRL, ISO 9001...), entraînant des dépenses importantes qui ont renchéri les coûts de structures. Ils se sont orientés vers des marchés de niches de type Roma ou tomates anciennes qui plaisent aux consommateurs fortunés et ont abandonné les marchés de masses aux producteurs étrangers. Et lorsque ces derniers ont entamé leur diversification vers les tomates cerises, ils ont conquis les marchés avec une offre plus abordable.

"Désormais, les tomates rondes françaises occupent une place marginale, et les tomates cerises françaises sont perçues comme des produits de niche au prix plus élevé, réservé à certaines catégories de la population", déplore le rapport sénatorial.

Car c'est évidemment la compétitivité prix de la production marocaine qui fait in fine la différence. La récolte de la tomate est gourmande en main d'œuvre or le salaire horaire chargé d'un ouvrier au Maroc est de 0,74 euro contre 13,64 euros en France, rappelle Légume de France. En magasin, sur certains produits comme la tomate cerise, la différence se traduit par des écarts de prix spectaculaires.

"Le prix moyen en magasin pour la tomate cerise origine France est 2,4 fois plus élevé que l’origine Maroc, estime le site des chambres bretonnes d'agriculture. Pour les tomates cocktail et ronde l’écart est moins important (1,4). Ceci est d’autant plus significatif que la part de marché de la tomate cerise dans les achats des ménages français est passée de 7,8 % en 2015 à 14,3 % en 2020."

Coût du travail élevé, manque de compétivité, montée en gamme mal pilotée, vision trop élitiste du consommateur français... La tomate est un petit concentré des problèmes qui minent l'agriculture française.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco