Montessori, Freinet, bilingues... le boom des écoles privées hors contrat

Elles sont bilingues, coopératives, proches de la nature, parfois confessionnelles (30% d'entre elles), favorisent l'expérience, ne jurent que par le bien-être de l'enfant... Les écoles privées hors contrat ne cessent de gagner des adeptes en France.
Entre 2010 et 2021, le nombre d'établissements a fait un bond de près de 110%. Le pays qui ne comptait que 803 établissements privés hors contrats en 2010 en dénombre 1657 en cette rentrée scolaire 2021 selon les données de la Fondation pour l'école qui depuis 2008 finance et accompagne la création et le développement d’écoles privées hors contrat.
Pour rappel, il y a en France deux types d'écoles privées. D'abord, les établissements sous-contrat qui relèvent pour l'immense majorité d'entre eux de l'enseignement catholique (97%). C'est l'école privée historique en France qui accueille 17% des élèves français. Ces écoles sont dites "sous-contrat" car elles bénéficient de subventions de l'Etat qui prend notamment en charge la rémunération des enseignants et leur enseignement est soumis aux programmes de l'Education nationale.
A l'inverse, les écoles dites "hors contrat" ne bénéficient d'aucune aide publique et sont totalement libres en ce qui concerne leurs méthodes d'apprentissage. Connues principalement pour la méthode Montessori basée sur le développement personnel de l'enfant, elles s'en sont depuis affranchies avec l'émergence de nouvelles formes de pédagogies. Sur les 121 écoles hors contrat ouvertes pour la rentrée 2021, seules 26% étaient des Montessori contre encore 40% en 2019. La majorité des écoles qui se lancent aujourd'hui mixent les pédagogies (Montessori, Freinet...), proposent un enseignement proche de la nature (avec par exemple la méthode Steiner épinglée par la Miviludes pour des dérives sectaires) ou mettent en avant le bilinguisme.
Après quelques années plus difficiles marquées par un durcissement de la législation en 2018 (loi Gatel) et la crise du Covid, le nombre de création d'écoles est repartie à la hausse cette année. Ce sont 121 établissements hors contrat qui ont ouvert cette année, soit 30 de plus qu'en 2020. Le record de 2018 (157 cette année-là) n'a pas été atteint mais devrait l'être l'année prochaine.
"Nous avons enregistré 60 reports d'ouvertures d'écoles en cette rentrée, compte tenu de la crise du Covid et du contexte législatif plus contraint, détaille la fondation pour l'école. Ces projets devraient voir le jour à la rentrée prochaine, qui promet d'être encore plus importante compte tenu de la fin programmée de l'Instruction en famille dans sa forme actuelle."
Dans le cadre de la loi sur le séparatisme, l'Etat prévoit en effet de limiter l'instruction en famille (IEF) aux seuls enfants qui souffrent d'un handicap, qui ont une pratique sportive ou dont les familles sont itinérantes. Or ce sont actuellement 62.000 enfants qui sont éduqués à domicile et qui pourraient se tourner vers les écoles hors contrat dès l'année prochaine. Les effectifs des écoles hors contrat étaient de 85.000 élèves à la rentrée dernière, soit près de 4% de l'ensemble des 2,2 millions d'enfants dans le privé. Les deux tiers dans le primaire.
"Depuis la limitation de l'école à domicile, on reçoit énormément d'appels de parents inquiets qui veulent se renseigner sur l'école hors contrat, assure Hervé Rolland, le président de la Fondation pour l'école. Avec le Covid, beaucoup de parents se sont découverts une vocation d'enseignement et sont tentés par la création d'une école."
Le rejet du système éducatif français
La fondation qui accompagne les personnes désireuses de créer leur école croule sous les demandes de formation. "Nous organisons deux sessions de formation par an en général, nous sommes montés à cinq en 2020", précise le président de la Fondation.
Pourquoi un tel engouement pour le hors contrat? Le phénomène a fait l'objet d'un rapport du Sénat dans le cadre de la proposition de loi encadrant leur développement.
Le sénateurs pointent plusieurs faits sociaux:
- une défiance croissante envers l'éducation nationale et, bien souvent, envers le privé sous contrat perçu comme trop similaire ;
- un engouement pour des pédagogies "nouvelles" (Montessori, Steiner, écoles dites "démocratiques" etc.) perçues comme plus bienveillantes et centrées sur l'enfant, voire remettant en cause le caractère institutionnel de l'éducation ;
- le choix d'une éducation religieuse ;
- la préférence pour une éducation donnant davantage de place aux langues étrangères ou régionales ;
- de manière plus marginale, la recherche d'une réponse à des "besoins éducatifs particuliers" mal pris en compte dans le reste du système éducatif (dyslexiques, "surdoués", etc.).
De manière générale, les parents pointent un système éducatif traditionnel inadapté et inefficace en s'appuyant sur les classement TIMMS qui pointent le niveau dégradé des élèves français.
Devant cette demande croissante, une nouvelle génération d'entrepreneurs veulent insuffler un esprit start-up à l'éducation. C'est le cas de Lionel Sayag qui a créé en 2017 L'Autre Ecole qui compte quatre établissements en Ile-de-France et qui compte ouvrir à Marseille pour la rentrée 2022.
"Nous favorisons l'optimisme et le travail coopératif, c'est un renversement comme dans le management, décrit cet ancien élève de SciencePo qui se présente comme un "Macroniste de la première heure". Concrètement nous faisons des cours en extérieur, nous accueillons les parents en musique le matin, nous faisons faire du yoga ou de la méditation aux élèves. Ensuite, nous les prenons en petits groupes pour leur enseigner les maths, l'anglais ou le français."
Un enseignement quasiment au cas par cas rendu possible par un important taux d'encadrement. A L'Autre Ecole, comme dans la plupart des établissements, on compte un enseignant pour 15 élèves contre 25 en moyenne pour les écoles sous-contrat.
Un encadrement important qui a un prix. Les établissements hors contrat sont inaccessibles pour la plupart des parents. Il faut compter entre 3000 et 10.000 euros par an pour les écoles Montessori, entre 7.000 et 12.000 euros pour les écoles Hattemer qui réhabilitent les méthodes d'enseignement traditionnelles ou encore 15.000 euros pour l'école bilingue franco-anglaise Concordia à Paris.
Conscientes du risque de creuser les inégalités avec un système éducatif à deux vitesses, certaines proposent des frais d'inscription progressifs en fonction des revenus. A L'Autre Ecole, les tarifs vont de 500 à 11.500 euros l'année pour l'établissement de Boulogne. Les parents qui ont un revenu imposable inférieur à 15.000 euros par an ne paient ainsi que 500 euros... lorsque l'école a suffisamment de fonds disponibles. Ce qui n'est pas le cas en ce moment. "Il n'y a actuellement plus de fonds disponibles pour les tranches 1 à 5", précise-t-elle sur son site.
Des enseignants moins bien payés
C'est l'autre grand écueil du système hors contrat: l'équation financière est très complexe. Les établissements doivent payer l'infrastructure et les enseignants et doivent faire mieux que l'Education nationale pour être attractifs.
"Dans l'Education nationale, un élève coûte en moyenne 7000 euros par an alors que les frais de scolarité sont de 4500 euros en moyenne dans le hors contrat, précise Hervé Rolland. Il n'y a pas de mystère, il faut bien tailler dans les coûts. Les enseignants y sont souvent plus mal payés et beaucoup d'écoles ont des difficultés financières."
Les établissements survivent grâce aux dons et aux aides de fondations privées comme la Fondation pour l'école qui dispose d'un budget de 3,5 millions d'euros par an pour financer des travaux de rénovation, aider à l'achat de matériel ou à la formation des maîtres. En 2020, ce sont 200 établissements qui ont reçu une aide financière de la Fondation.
A l'image d'une start-up, l'Autre Ecole a opté pour la levée de fonds et espère pouvoir dégager des marges au bout de quatre à cinq ans d'activité afin de financer une partie du développement. Chaque école coûtant entre 300.000 et 600.000 euros (hors rémunération des enseignants). Mais son fondateur espère que la philanthropie encore balbutiante en France va se développer.
Alors qu'aux Etats-Unis, les grandes fortunes n'hésitent pas à investir dans l'éducation à l'image de Jeff Bezos qui veut développer un réseau d'écoles, en France on est plus frileux sur le sujet.
"On a une philanthropie plus émotionnelle et tournée vers le social, constate Lionel Sayag. Le social est uniquement dédié en France aux personnes en très grande précarité."
Or si les écoles hors contrats se développaient principalement dans les bassins de population à haut niveau de vie (34% en Ile-de-France dont 16% dans la seule académie de Versailles), ce n'est plus le cas depuis quelques années.
"Plus de la moitié des écoles indépendantes ouvertes à la rentrée le sont en territoire rural, précise la Fondation pour l'école. Les écoles contribuent de manière significative à réimplanter des établissements dans de petites communes, avec plus de 58% de nouvelles ouvertures dans des communes de moins de 10.000 habitants. Elles permettent ainsi une revitalisation de ces espaces, il n’est pas rare de voir ces mairies rurales appuyer leur création."
Dans ces petites communes, il s'agit pour la plupart d'écoles associatives pour lesquelles les mairies mettent des locaux à disposition. Les frais de scolarité sont rarement supérieurs à 500 euros par an. Bien loin de l'image de l'école hors contrat des riches à 10.000 euros l'année.
