"Ils sont là pour étudier avant tout": immersion au collège musulman Avicenne à Nice, après sa bataille juridique contre sa fermeture

Dans la tourmente depuis des mois, c’est un établissement scolaire en sursis qui a ouvert des portes à BFM Nice Côte d'Azur: le collège musulman Avicenne à Nice. Les autorités lui reprochent une certaine opacité dans ses comptes.
Financé à 100% par les dons privés ou les frais de scolarité, le collège a un budget de 240.000 euros. En avril dernier les responsables d'Avicenne ont remporté une victoire devant le tribunal administratif de Nice.
L’établissement peut rester ouvert malgré la demande de fermeture de la préfecture des Alpes-Maritimes et du rectorat de Nice. Le tribunal a jugé que les erreurs de comptes ne pouvaient pas justifier à elles seules la fermeture du collège privé musulman.
"Ça m'a stressé, je me suis dit à quel collège je vais aller si ce collège est fermé?", témoigne un collégien auprès de BFM Nice Côte d'Azur.
"Ils sont très bien encadrés, il y a le droit de porter le voile. Il n'y a aucune restriction par rapport à leurs convictions", ajoute de son côté un parent.
Des cours de bonne conduite
Pendant deux jours, BFM Nice Côte d'Azur a installé sa caméra dans les couloirs et les salles de classe de ce collège. Ici, la journée commence vers 7h45 alors qu'Idir Arab, directeur du collège depuis cinq ans, accueille ses élèves un par un.
Devant la grille du collège, le directeur contrôle tous les carnets de correspondance et gare aux fauteurs depuis troubles. "C'est très important (le comportement, NDLR), ça définit leur état d'esprit quand ils entrent en classe. On commence à les conditionner à ce qu'ils soient assidus et concentrés", assure Idir Arab à BFM Nice Côte d'Azur.
Une discipline de fer et des cours de bonne conduite. Chaque semaine, pendant 1h30, les élèves assistent à une séance d’éthique musulmane pour apprendre à bien se comporter. Un enseignement appuyé sur les livres sacrés comme le Coran ou la Bible, pour inculquer certaines valeurs aux élèves.
"La patience, le respect, la persévérance, la tolérance. On aborde ça petit à petit quand on fait le cours", détaille l'enseignante.
"On existe grâce à la laïcité"
Le reste de la journée est consacrée aux enseignements communs: maths, français langues vivantes. L'établissement affirme suivre à la lettre le programme du ministère, y compris les cours d’éducation morale et civique incluant la laïcité.
Dans cette classe de 6e, beaucoup en ont entendu parler du mot laïcité mais bien peine à l’expliquer. "La laïcité est une ouverture pour toute sorte de religion, comme l'Islam ou le judaïsme", explique l'un des élèves. Pour l’enseignante, inculquer les valeurs républicaines dont la laïcité est une priorité.
"Ce n'est pas parce qu'on est dans un [collège] privé musulman qu'il n'y a pas la laïcité. On existe grâce à la laïcité, parce qu'on a le droit de croire", assure Myriam, professeur d'histoire géographie.

Et peu importe si la religion se mêle au débat, notamment sur la question du voile. "Les enfants sont conscients du fait que dans le public, ils n'ont pas le droit d'avoir des signes ostensibles religieux et dans le privé, ils ont le droit. Ils ne sont pas déboussolés", continue l'enseignante d'histoire-géographie.
Avant d'ajouter: "Je pense que ça fait partie de leur identité comme Français et Française de se dire, il y a certains lieux dans lesquels je peux et certains lieux dans lesquels je ne peux pas."
"On est en classe pour expliquer les choses"
Aborder la laïcité en sixième, la Shoah en troisième. Une enseignante refuse d’être filmée mais accepte une interview. BFM Nice Côte d'Azur lui demande si elle est libre de parler de tous les sujets.
"En histoire, ils ont quelques idées fausses, c'est sûr. Il y a une question qui revient souvent: pourquoi les juifs? Mais quand je travaillais ailleurs avant, ça revenait aussi. On s'aperçoit que dans certaines familles, il y a des idées arrêtées mais on est en classe pour expliquer les choses, informer", détaille cette enseignante.
À l’heure de la récréation, certains jouent, d’autres imitent les danses vues sur les réseaux sociaux: une cour d'école comme les autres, à une exception. Une salle de prières est collée à la cour dans une petite pièce au fond, un endroit uniquement accessible entre les cours, surveillé par l’équipe éducative.
"On a toujours cette atmosphère de religion qui encadre les choses. Même un chrétien demain, il veut venir ici, faire ses études avec nous, pratiquer sa religion, on n'a pas de problème", assure Ahmed Lara, adjoint au directeur et CPE.
Avant d'ajouter: "Vos enfants ils peuvent faire la prière mais ils ne sont pas là pour faire la prière, ils sont là pour étudier avant tout."
2.000 euros par an par élève
Dans l'établissement privé, l'éducation est mixte, filles et garçons apprennent et jouent ensemble, même en EPS. Enseigner, éduquer mais aussi sanctionner si besoin, voilà le quotidien du collège Avicenne.
Alors que des élèves viennent de se battre devant l'établissement, le directeur est furieux. "On a les mêmes problèmes que dans tous les établissements. C'est des enfants, les enfants comme on dit, 'jeu de main, jeu vilain'. Ils vont être sanctionnés, on va appeler les parents pour qu'ils viennent les récupérer", explique-t-il.
Collège privé hors contrat, Avicenne base sa sélection sur trois étapes: le dossier de l'élève, un examen d'entrée en français et en maths puis un entretien avec les parents. Le but est "vraiment d'arriver à sortir des élites, des élèves qui ont un très bon niveau éducatif et pédagogique", assure le directeur.
"On ne veut pas que nos enfants au lycée, qu'ils aient des problèmes du comportement. Ils reflètent l'image du collège Avicenne. On veut aussi qu'ils soient les meilleurs. Ce qu'on prépare ici, c'est les enfants de la République", continue-t-il.
Malgré le coût de la scolarité, 2.000 euros par an et par enfant, jamais les demandes pour le collège Avicenne n’ont été aussi nombreuses. Selon l'établissement, 92% des élèves obtiennent leur brevet.
En dix ans d'existence, Avicenne a demandé plusieurs fois à passer sous contrat mais l'Éducation nationale a toujours refusé. Le motif invoqué: le manque de budget alloué aux établissements privés.
Le collège avait reconnu "des erreurs" de comptabilité
L'établissement avait donc gagné sa bataille juridique contre la préfecture des Alpes-Maritimes et le rectorat. Le 26 février, Nicole Belloubet, alors ministre de l'Éducation nationale, avait annoncé son intention de faire fermer l'établissement en raison d'"un problème de financement opaque", "contraire à la loi" antiséparatisme. En conséquence, le préfet avait pris un arrêté le 14 mars ordonnant la fermeture du collège.
Le 19 avril, le tribunal administratif de Nice, saisi en référé, avait suspendu l'arrêté. Une décision confirmée en juillet avec l'annulation définitive de l'arrêté. Dans un communiqué accompagnant son ordonnance, le tribunal expliquait que les "erreurs et imprécisions" relevées dans la comptabilité de ce collège privé hors contrat n'étaient "pas de nature à justifier la fermeture définitive de l'établissement".
Le collège Avicenne avait reconnu "des erreurs" dans sa comptabilité mais dénoncé "un acharnement" lors d'une audience mardi 16 avril devant le tribunal administratif, saisi en référé.