"Les marchés européens sont comme des grenouilles dans une casserole": le géant chinois de l'auto BYD veut tirer les leçons de ses débuts poussifs en Europe

Leader mondial de l'électrique, BYD nourrit de fortes ambitions en Europe. Après avoir terminé d'une courte tête derrière Tesla l'an dernier sur le total des ventes, le géant chinois a dépassé son concurrent américain au premier trimestre, avec un peu plus de 418.000 véhicules 100% électriques livrés, contre près de 337.000 pour Tesla.
Mais les ventes de BYD restent principalement concentrées en Chine, contrairement à Tesla, qui a fortement développé ses ventes en Europe depuis le lancement de la Model 3 en 2019. Au salon de Shanghai qui vient d'ouvrir ses portes, le groupe chinois a ainsi fait son autocritique.
Miser (aussi) sur l'hybride en Europe
D'après Reuters, qui cite "six anciens et actuels cadres" de BYD qui ont préféré garder l'anonymat, le groupe est "en train de réorganiser ses activités en Europe après avoir commis des erreurs stratégiques".
Parmi les symptômes identifiés: un réseau de concessionnaires pas assez dense et des spécificités de marchés locaux mal comprises, comme ceux où l'hybride reste privilégié par rapport aux voitures 100% électriques. Contrairement à Tesla, BYD commercialise en effet aussi des voitures hybrides rechargeables.
Le groupe chinois veut donc corriger le tir, en développant davantage son réseau de concessionnaires, mais aussi en "recrutant des cadres de constructeurs européens avec des rémunérations élevées".
De quoi mieux s'adapter aux clients européens, en mettant davantage en avant les modèles hybrides rechargeables.
Une décision prise après que le conseiller spécial européen de BYD, Alfredo Altavilla, l'un des principaux cadres embauchés pour la relance de BYD en Europe, a informé le fondateur et président du groupe, Wang Chuanfu, qu'une stratégie purement axée sur les véhicules électriques n'était pas adaptée aux pays européens.
"Il a très vite compris le message et a indiqué aux ingénieurs de BYD que chaque nouveau modèle devrait être proposé en version VE et hybride" pour l'Europe, a indiqué Alfredo Altavilla à Reuters.
En décembre, Alfredo Altavilla déclarait déjà que les véhicules hybrides rechargeables seraient "au cœur de la stratégie de BYD en Europe", estimant qu'il serait "stupide" d'aller à l'encontre des préférences des consommateurs en ne proposant que des VE.
Des dirigeants débauchés chez Stellantis
Approché par BYD en juin, Alfredo Altavilla est un ancien cadre de Fiat-Chrysler, et a rejoint le constructeur automobile chinois en août.
Il a à son tour embauché plusieurs directeurs en provenance de Stellantis chez BYD, dont Maria Grazia Davino pour le marché allemand, Alessandro Grosso pour l'Italie et Alberto De Aza pour l'Espagne.
Selon un dirigeant actuel de BYD, le constructeur automobile chinois leur a offert des augmentations de salaire significatives et une "chance de se développer".
Autre signe de la détermination de BYD à renforcer rapidement ses activités en Europe, l'entreprise a confié l'année dernière la responsabilité de la région à la numéro deux du groupe, Stella Li.
L'ancien responsable européen, Michael Shu, avait prédit que BYD s'emparerait d'au moins 5% du marché européen des véhicules électriques avant de lancer la production dans sa première usine européenne, en Hongrie, plus tard cette année.
Le groupe chinois a toutefois terminé l'année 2024 avec une part de marché de seulement 2,8%, le ventes de BYD totalisant 57.000 véhicules dans la région, en-dessous de ses attentes.
L'urgence pour BYD de se développer en Europe s'explique en partie par la montée en flèche de ses ventes en Chine, qui ont été multipliées par sept depuis 2020 pour atteindre 4,2 millions de véhicules en 2024.
BYD s'est imposé l'an dernier comme le sixième constructeur automobile mondial. Ses concurrents chinois, comme Chery, Geely, Xpeng et Changan, s'empressent eux aussi d'étendre leurs activités en Europe pour accroître leurs bénéfices, qui sont difficiles à maintenir en Chine en raison d'une guerre des prix prolongée entre de nombreuses marques de voitures électriques et hybrides.
Selon des partenaires de BYD et des experts de l'industrie, le constructeur chinois a reconnu ses problèmes en Europe et a déjà pris des mesures pour les résoudre.
"Ils prennent cela très au sérieux, mais ils doivent comprendre qu'il faut du temps pour construire une position en Europe," a notamment déclaré Tim Albertsen, directeur général d'Ayvens, l'une des plus grandes sociétés de leasing d'Europe et partenaire de BYD dans la région.
"Tout comme les constructeurs automobiles européens ou américains qui arrivent en Chine, ce que les Chinois font bien en Chine ne fonctionne pas toujours en Europe."
Des premiers signes montrent toutefois que le redémarrage de BYD en Europe porte ses fruits. Les ventes européennes de BYD ont plus que triplé au premier trimestre 2025 pour atteindre plus de 37.000 véhicules, contre environ 8.500 au premier trimestre 2024.
Bo Yu, directeur national pour la Chine de la société de recherche JATO Dynamics, a estimé que la force de BYD en Chine reflète en partie sa capacité à "évoluer très rapidement pour donner aux consommateurs ce qu'ils veulent."
Le géant des véhicules électriques, par exemple, a pris de court ses rivaux chinois en février en proposant gratuitement sa technologie de conduite assistée "God's Eye" dans toute sa gamme, y compris dans les véhicules coûtant moins de 10.000 dollars.
Mieux coller aux spécificités nationales
Lors du salon de l'automobile de Shanghai se tenant cette semaine, BYD a par ailleurs présenté une énorme exposition de véhicules sous quatre marques différentes (BYD Denza, Yangwang et Fangchengbao), éclipsant ainsi la plupart des autres constructeurs automobiles.
Essayant tant bien que mal de s'étendre en Europe depuis 2023 après son ascension fulgurante en Chine, BYD avait pour objectif d'être le premier vendeur de véhicules électriques sur le Vieux continent d'ici à 2030.
L'exemple du parrainage coûteux et très médiatisé de l'Euro 2024 de football en Allemagne illustre cette vision. Le groupe s'était alors présenté comme le premier fabricant de "NEV" (véhicules à énergie nouvelle), un terme couramment utilisé en Chine pour désigner les voitures électriques et hybrides, mais dénué de sens en Europe. Un nom marque par ailleurs à prononcer sous forme d'initiales à l'anglaise, ce qui ne facilite pas son intégration sur certains marchés, notamment en France.
En Allemagne, la marque prévoit de passer de 27 concessionnaires seulement à 120, avait indiqué à Reuters en mars Maria Grazia Davino, ancienne directrice chez Stellantis pour le Royaume-Uni.
Un marché allemand essentiel et qui reste le plus grand en Europe. Sur 2,8 millions de véhicules vendus l'année dernière outre-Rhin, BYD en a vendu moins de 2.900 voitures.
"Le marché allemand n'est pas facile, a reconnu Maria Grazia Davino. Les bases manquent encore ici."
Selon certains anciens cadres du groupe, l'erreur principale de BYD a été de traiter l'Europe comme un marché unique - comme la Chine ou les États-Unis - plutôt que comme plusieurs marchés répartis sur les différents pays.
Les marchés nationaux européens seraient semblables à des "grenouilles dans une casserole," qui sautent toutes dans des directions différentes, a comparé un ancien cadre du groupe, ajoutant : "BYD commence à peine à l'apprendre."