FREDERICK FLORIN © 2019 AFP
Disparition de Lina: les derniers mystères après la mort du principal suspect Samuel Gonin
C'est au bord du Doubs, dans le quartier résidentiel et discret des Prés-de-Vaux à Besançon, que vivait un certain Samuel Gonin, dans une grande maison divisée en cinq appartements. Un nom apparu au cœur de l’été et désormais lié au mystère de la disparition de Lina, adolescente de 15 ans disparue depuis près d'un an dans le Bas-Rhin à Plaine.
Le 10 juillet dernier, le voisin de Samuel Gonin assiste à la découverte d'un drame. "Son papa est venu vers 5 ou 6 heures, il est monté chez Samuel et a essayé de rentrer chez lui", raconte Jean-François. "Il tapait, il tapait et il ne répondait pas."
"Son gamin, il avait fait une ou deux conneries, alors il s'est un peu affolé. Il a appelé les pompiers comme il ne pouvait pas ouvrir la porte." Arrivés en urgence, les secours déploient la grande échelle et passent par la fenêtre sur le toit. Les sapeurs-pompiers pénètrent alors dans l'appartement et découvrent le corps de Samuel Gonin, qui s'est donné la mort en se pendant.
"On a entendu le papa qui était un peu désespéré. Il disait 'c'est pas possible, c'est pas possible', donc on s'est douté que quelque chose était arrivé", poursuit Jean-François.
Un mot, griffonné au stylo-bille par Samuel Gonin, est retrouvé. Une lettre énigmatique, adressée à ses deux enfants.
"Il va écrire 'Je ne sais plus me contrôler, ça va trop vite, je souffre trop et c'est mieux ainsi'", rapporte Valentin Collin, journaliste à l'Est Républicain Besançon.
Des mots d’autant plus troublants que Samuel Gonin apparaît aujourd’hui comme le principal suspect dans l’affaire Lina depuis que des traces ADN de la jeune fille ont été découvertes dans une voiture volée qu’il conduisait.
Un tournant dans l'enquête
Cette voiture, retrouvée dans le sud de la France, a provoqué un important bouleversement de l'enquête autour de la disparition de la jeune Alsacienne de 15 ans. Depuis sa disparition, peu d'éléments avaient permis de faire avancer considérablement l'enquête.
En se donnant la mort, le père de 43 ans emporte avec lui ses secrets. Que s’est-il passé le 23 septembre 2023 et comment Samuel Gonin se serait-il retrouvé sur la route de la jeune fille? Et surtout, où se trouve Lina aujourd'hui?
"Moi je n'ai plus trop d'espoir, parce que ça fait déjà 11 mois. Et ça me fait peur", confie Léa, une amie de Lina.
Avec la disparition du principal suspect, le mystère s'épaissit sur ce qui s'est réellement passé dans la vallée de la Bruche. C'est dans un hameau excentré de Plaine que Lina disparaît dans la matinée, alors qu'elle se rendait à pied à la gare de Saint-Blaise-La-Roche pour prendre le train et rejoindre son petit ami Tao à Strasbourg.
"Lina s'est vaporisée"
Un trajet de trois kilomètres que la jeune adolescente a déjà effectué à plusieurs reprises. "Ici, on est en milieu rural et donc on est habitués à faire deux ou trois kilomètres à pied sans se poser de question, on n’a pas de transports en commun", explique Patricia Simoni, la maire de la commune de Plaine.
"Certes le chemin qu’elle a emprunté c’est dans un endroit où il n’y a pas trop de maisons ou de circulation, mais ce n’est pas un coupe-gorge."
Sur la première partie de son parcours, Lina longe la RD350 pendant 1,9 kilomètre. Une petite route assez déserte, où peu de véhicules circulent. Un témoin la croise néanmoins.
À 11h20, elle envoie une vidéo éphémère à son petit ami sur le réseau social Snapchat. Après ça, plus de nouvelles. "Du coup, j'ai envoyé un message à Tao", se souvient son amie Léa. C'est au moment où je l'ai contacté qu'il m'a dit que Lina avait disparu depuis ce matin. Il était paniqué, il n'était pas bien, il pleurait."
C'est alors que l'enquête commence, avec la disparition de Lina signalée par sa mère auprès des gendarmes à 14h15. Un avis de recherche est lancé dès le jour de sa disparition. Les battues se multiplient, avec l'aide d'hélicoptères, de drones, d'équipe cynophile. Sans succès.
"On a souvent utilisé ce mot-là, Lina s'est vaporisée. Elle s'est évanouie dans la nature en un laps de temps extrêmement court et c'est ça qui était inquiétant. C'est ça qui tout de suite, a inquiété les enquêteurs. C'est pour ça qu'il y a eu cette solidarité très vite", estime Denis Tricard, journaliste aux DNA.
Lina serait-elle montée, de gré ou de force, dans un véhicule? Autre mystère: le téléphone de l'adolescente a subitement cessé d'émettre à 11h22, alors que Lina est connue pour être très connectée sur les réseaux sociaux et avec ses amis.
Avec peu d'éléments pour les aider, les enquêteurs ne laissent aucune hypothèse au hasard. Petit à petit, l'enquête vient se pencher sur le passé de Lina pour savoir si quelqu'un ou plusieurs personnes pouvaient en vouloir à la jeune fille.
Les investigations révèlent que des motos avaient été volées à deux reprises à son domicile. Plus grave encore, il est découvert qu'en juin 2022, l’adolescente âgée alors 13 ans a ce moment-là, avait déposé plainte pour viol, après l'agression de deux hommes. Aucun lien n'est toutefois établi avec sa disparition.
L'ADN de Lina retrouvée dans une voiture volée
Pendant des mois l'enquête s'enlise jusqu'à une étape déterminante. Les gendarmes tentent d'identifier l'intégralité des voitures qui ont emprunté la route départementale 350 le 23 septembre dernier en passant en revue toutes les caméras de la région.
Un travail de fourmi. Avec persévérance, les enquêteurs repèrent une dizaine de voitures suspectes. L'une d'entre elles les intéresse particulièrement: une Ford Puma gris clair, immatriculée en Allemagne et qui a été volée.
L'enquête s'accélère. En juin dernier, les gendarmes découvrent que la Ford se trouve dans une fourrière, à 800 kilomètres des forêts vosgiennes, à Narbonne.
Pendant plusieurs jours, elle est passée au crible par les experts de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie. Ils découvrent alors que l'ADN de Lina, est bien présent dans la voiture. Un tournant dans l'affaire de la disparition de la jeune femme.
Les enquêteurs découvrent qu’un homme a déjà été interpellé, en janvier 2024, au volant de cette voiture volée. Il s'appelle Samuel Gonin.
Un homme "perturbé"
À première vue, ce père de famille de 43 ans présente tous les attributs de la banalité. La presse locale lui a même consacré un article en 2016, après que Samuel Gonin a perdu puis retrouvé 700 euros en liquide dans un centre commercial de Besançon, de l'argent qu'il a ensuite dépensé pour les cadeaux de Noël de ses enfants. Un homme décrit comme souriant et ouvert aux autres.
"C'est quelqu'un qui a de la discussion, qui est intéressant, qui a plein de culture générale, qui est tolérant", confie Edmée, sa dernière ex-compagne connue.
Professionnellement, c'est un touche-à-tout. Il a été commercial, vendeur de poids lourds, ou encore professeur d'ébénisterie dans un lycée professionnel de Besançon.
"C’était quelqu’un de très apprécié par les élèves et les autres professeurs", assure Frédéric Chabord, directeur du lycée. "C’était quelqu’un d’assez discret mais de très impliqué dans le projet pédagogique."
Mais au printemps 2023, c'est le début du décrochage pour Samuel Gonin. Il se sépare de son épouse et se dispute avec son père avec qui il était très proche. Il est en arrêt maladie et perd ensuite pied avec ses proches.
"Il disparaît une première fois. Il va nous envoyer des SMS, à moi et à sa maman, en nous disant que c'est fini pour lui, pour cette vie-là", se rappelle Edmée. "Au début, il dit qu'il a envie de se suicider. Donc sa maman appelle la police pour faire une alerte disparition."
La police l'interpelle alors et Samuel Gonin est admis au service psychiatrie du CHU de Besançon. Sous le vernis du professeur et du père de famille, Samuel Gonin est un homme malade. Selon son ex-petite amie, il a été diagnostiqué bipolaire et aurait cessé de prendre ses médicaments. "Parfois il est confus, quand il n'est pas sous cachets il est assez perturbé."
"C'est quelqu'un qui présente des risques pour lui-même. Ce n'est pas quelqu'un de potentiellement dangereux, contrairement à ce qui a pu être dit", précise le journaliste de l'Est Républicain Valentin Collin.
Un enchaînement de vols
À sa sortie de l'hôpital, Samuel Gonin dérobe 5.000 euros à sa compagne. Commence alors une longue période d'errance, où le père de famille part vivre en Espagne, sans affaires, sans papiers, sans carte bleue.
Déjà à la dérive, Samuel Gonin souffrait d'une addiction à la drogue, notamment à la cocaïne. Une substance qui coûte cher et qui plonge l'ancien professeur dans un parcours chaotique pour trouver de l'argent.
Le 25 août 2023, un mois avant la disparition de Lina, il va croiser la route de Monique, 90 ans. "Je remontais ma rue tranquillement. Il y avait personne et tout d'un coup, je sens qu'on arrache mon sac."
"Je l'ai retenue. Il m'a traînée, je suis tombée sur les genoux et il me tirait toujours avec mon sac. Il m'a fait retomber sur mon bras, qui s'est cassé, et il s'est enfui", se souvient la nonagénaire.
Trois heures plus tard, Samuel Gonin s'attaque à une supérette de quartier. "Ce monsieur est entré avec un sourire. Je lui ai pris son article, et il m'a donné une pièce de deux euros. Au moment où j'allais pour l'encaisser, il s'est mis à prendre dans la caisse", raconte la caissière.
"Il a sorti un tout petit couteau dans la main droite. Il m'a dit 'arrête ou je te plante'." Samuel Gonin volera 300 euros.
Toujours le même jour, il est aperçu au volant de la Ford Puma gris clair, une voiture volée deux jours plus tôt, et fait le plein dans une station-service sans payer.
Des interpellations et des premiers aveux
C'est bien cette voiture qui est aujourd'hui au cœur de l'enquête de la disparition de Lina. En retraçant les données du véhicule, les gendarmes arrivent à déterminer que la Ford Puma s'est bien rendue à Plaine. Reste à savoir si Samuel Gonin en était bien le conducteur, car son téléphone portable n'a quant à lui pas borné dans la vallée.
Après cette journée du 23 septembre, sa trace disparaît. Il faut attendre quatre mois pour le retrouver toujours au volant de sa Ford volée, dans la même station service de Besançon où il a volé de l'essence en août.
Toutefois, un employé le reconnaît après que le visage de Samuel a été imprimé depuis son vol. "On avait sa plaque d’immatriculation et sa tête, donc on n'a pas débloqué la pompe et on s’est approché du véhicule", raconte Gildas Horellou. "Il a compris et il est reparti directement."
Le 6 janvier, il fait de nouveau surface et est contrôlé par des douaniers sur l'A9 en direction de l'Espagne, en Languedoc-Roussillon. Samuel Gonin va tout faire pour échapper aux douaniers. Il va forcer trois barrières de péage et sera finalement arrêté après une course-poursuite de 30 minutes.
Condamné à 15 mois de prison avec sursis, il donne pour la première fois une explication sur la voiture volée et affirme qu'il a acheté la Ford pour une centaine d'euros à Besançon.
Six mois plus tard, Samuel Gonin est de nouveau interpellé, cette fois-ci pour les deux vols commis à Besançon en août. C'est à ce moment qu'il passe aux aveux. Il se livre, et explique qu'il descend à chaque fois de plus en plus bas.
Le quadragénaire se suicidera 12 jours avant son audience devant le juge pour ces deux vols aggravés.
Un mystère toujours entier
Encore aujourd'hui, nul ne sait pas si Samuel s'est suicidé parce qu'il s'est senti acculé, et qu'il a vu que l'étau était en train de se resserrer avec l'avancée des investigations dans l'affaire de la disparition de Lina.
Demeure surtout une autre question majeure: où se trouve Lina? Malgré la mort de Samuel, les enquêteurs poursuivent leurs investigations, notamment en retraçant le parcours de la voiture volée.
Au cœur de l'été, des fouilles d'ampleur sont entreprises, d'abord dans le bois dans les Vosges, puis en Haute-Saône près de Vesoul. Pour le moment, aucune nouvelle information sur l'avancée de l'enquête n'a été communiquée.
D'autres fouilles vont néanmoins, sans doute, être menées prochainement. La difficulté reste dans le périmètre immense à explorer, tant Samuel Gonin s'est montré mobile durant son errance.
Cet épisode de Ligne Rouge est signé par Quentin Baulier, Régis Desconclois, Yves Couant et Manuela Braun.