"Faut payer un graphiste": pourquoi les miniatures des youtubeurs crispent les internautes

A l'instar des musiciens, des acteurs ou des doubleurs de voix, l'arrivée de l'intelligence artificielle bouscule le secteur de la création de contenu sur Youtube et notamment la réalisation de miniatures, ces petites images qui illustrent les vidéos. Et depuis quelques jours, le débat fait rage sur les résaux sociaux.
Tout est parti d'une simple annonce faite par Billy, alias RebeuDeter sur Twitch. Via une publication sur X, ex-Twitter, le créateur de contenus a donné rendez-vous à ses abonnés pour une conférence de presse concernant le DTR Fight, le gala de boxe anglaise organisé par le créateur qui se tiendra le 7 décembre prochain à la Paris La Défense Arena.
"La famille... on y est... Rendez-vous le 28 et pour pimenter un maximum la conférence de presse, c'est VOUS qui allez venir nous poser vos questions", lance le vidéaste dans un message sur X, visionné près de 10 millions de fois.
Une affiche controversée
Pour faire la promotion de l'événement, Billy a donc mis en ligne une affiche. On peut y voir les différents participants du gala de boxe, comme Billy, GregMMA, Kaatsup ou encore Dooms, assis autour d'une table, un micro devant eux.
Le problème, c'est que ce design est loin de faire l'unanimité sur les réseaux sociaux. Beaucoup d'internautes soupçonnent le vidéaste d'avoir utilisé une IA pour créer l'affiche. "Par contre, entre les cheveux de Mastu et les grosses têtes sur les petits corps, osez me dire que ce n'est pas fait avec de l'IA", lance un utilisateur.
"Kaatsup qui a 8 doigts, Brawks 4 bras et deux pulls mélangés. Des bras fins. Des micros chelous mdr. On est sur l'une des pires affiches promotionnelles jamais faite par l'IA peut-être", renchérie un autre. "Faut payer un graphiste à un moment donné", ajoute un dernier.
De son côté, Rebeudeter assure avoir "toujours payé" des graphistes pour réaliser ses miniatures ou ses affiches. "Les frères, j'en vois pas mal s'indigner de l'affiche car il y a de l'IA, mais j'ai payé un graphiste pour qu'il la fasse (il n'avait aucune directive d'IA ou quoi. Je lui ai laissé carte blanche)", promet-il sur X, le 22 novembre dernier.
IA, défauts et salaires de misère
"J'ai toujours payé des graphistes et je le ferai toujours", assure-t-il. "Donc certes, il a mal géré l'IA et certes, elle n'est pas au goût de tout le monde, mais vous me connaissez, je n'ai aucune mauvaise intention et je respecte ce taff", poursuit-il dans un long message d'explication.
Mais les internautes continuent à critiquer le recours à l'intelligence artificielle par des miniamakers, ces artistes chargés de réaliser les miniatures des vidéos des youtubeurs. Ils dénoncent notamment des créations bâclées, pleines de défauts.
Pour appuyer leur propos, certains utilisateurs se sont alors mis à pointer du doigt les quelques anomalies générées par IA dans certaines images de vidéos. C'est par exemple le cas de la miniature de Rasenya, qui contient des mains avec six doigts ou des visages légèrement déformés.
"Ca y est. La grande vague de la piraterie des graphistes va enfin commencer et on n'est pas prêt pour cette fumée", a ainsi partagé Kid Lonni, un vidéaste suivi par 298.000 abonnés sur Youtube.
"Sans IA, le métier de miniamaker n'est pas viable"
Mais la plupart des professionnels défendent l'usage de l'IA dans les miniatures, et le travail de Rasenya. C'est par exemple le cas de Staku, miniamaker pour Michou ou Cyril MP4 qu dénonce les conditions de travail dans sa profession. "Sans IA, le métier de miniamaker n'est quasiment pas viable", lance-t-il.
"Le marché est de plus en plus saturé de nouveau miniamaker, ce qui est, d'un côté, une bonne chose, car le métier se met au-devant de la scène et fait parler de lui, mais en même temps, plus de concurrent veux dire moins de clients par graphiste", observe le graphiste, avant d'égrainer des chiffres.
Selon ses estimations, en France, le prix d'une miniature varie entre 50 et 120€. Or, une miniature prendre entre 5 à 7 heures de réalisation, sans IA. "La moyenne du taux horaire d'un graphiste auto entrepreneur français qui est d'environ 35€."
Résultat, "pour faire cette miniature sans IA, Rasenya devrait théoriquement demander entre 175 et 245€, sauf que comme je vous l'ai dit, quasi personne n'accepterait de payer au-delà de 120 €, donc que doit faire Rasenya? ", s'interroge Staku.
"Être contre l'IA, c'est comme être contre internet"
Quelques options sont alors envisageables. Il peut réduire ses coûts horaires, et diviser son salaire par deux. "A long terme, son activité ne sera pas viable et il devra arrêter de travailler dans ce secteur", estime Staku. Autre possibilité, réduire la qualité de ses designs, et travailler au maximum 3h30 sur une miniature.
"Les miniatures seront largement de moins bonne qualité et à long terme, Rasenya aura du mal à trouver des clients, car son travail ne sera pas au niveau", insiste-t-il.
Résultat, il ne reste plus qu'un choix au miniamaker: utiliser l'IA afin de rendre un travail d'une certaine qualité, et de gagner du temps. "Rasenya peut ainsi garder son taux horaire normal et vivre de son métier, et il peut également toujours trouver des clients et donc? Vivre de son travail", conclut-il.
Un avis partagé par Jonathan Condessa, planneur stratégique chez l'agence Otta. "Cette technologie permet aux créateurs de réaliser des économies de temps, et d'argent, tout en proposant une vidéo de meilleure qualité", résumait-il auprès de Tech&Co en avril dernier.
Le débat autour de l'utilisation de l'IA dans la profession n'est pas nouveau. Mais la plupart des créateurs de contenus semblent favorables à l'utilisation de cet outil.
"Être contre l'IA, c'est comme être contre internet ou l'électricité. C'est autour de nous", relativisait en avril dernier Cyprien Iov, interrogé par Tech&Co. "Ca ne sert à rien de lutter contre."
Le youtubeur aux 14,5 millions d'abonnés utilise parfois l'IA pour détourer des comédiens dans des vidéos.
"Quand je n'ai pas trop d'inspiration sur un thème difficile, il peut m'arriver de demander à une IA de générer une image", racontait Hugo Prunier, qui fabrique des miniatures depuis six ans pour des créateurs, auprès de Tech&Co. "L'idée, ce n'est pas de reprendre telle quelle l'image, mais de m'aider à trouver de l'inspiration si nécessaire".