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“Pas un métier de femmes” (3/3): quelles solutions pour que les jeunes filles saisissent enfin la place qu'elles méritent dans la tech

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Les jeunes filles se désintéressent de la tech, souvent considérée comme un milieu d'hommes. Mais de nombreuses initiatives se mettent en place pour endiguer ce phénomène, autant de solutions à un problème qu'il devient urgent de résoudre.

"Tout le monde peut y arriver." Pour lutter contre le décrochage des jeunes filles dans les matières scientifiques, le plan "Filles et maths", présenté par Elisabeth Borne et mis en place à compter de la rentrée 2025, essaie une nouvelle fois de donner la marche à suivre.

Former des personnels d'établissements scolaires, entraver les violences sexistes et sexuelles, instaurer des rôles modèles pour les étudiantes. Les propositions sont nombreuses et pour certaines, déjà portées par différents organismes.

Des préjugés à briser

Il convient de rappeler une chose: il n'existe aucune preuve scientifique qui explique que les hommes sont avantagés cognitivement par rapport aux femmes dans les domaines tels que les mathématiques ou l’informatique. Cette croyance reste pourtant encore ancrée dans l'esprit des lycéens (30% des garçons et 18% des filles y croient selon la chercheuse Marion Monnet).

Elle est à l'origine d'un phénomène appelé la menace du stéréotype. Ainsi, les personnes sujettes à un stéréotype sont impactées dans leurs performances. Il a été mis en évidence en 1999 par trois psychologues américains, Steven Spencer, Claude Steele et Diane Quinn au travers d'une expérimentation.

Trois groupes mixtes d'individus ont été confrontés à un même test de mathématiques. La différence entre ces groupes, c'est la manière dont a été présenté cet examen en amont:

  • Au premier groupe, il a été spécifié que les résultats des hommes et des femmes étaient équivalents lorsque ce test a été mené auparavant
  • Au deuxième groupe, il a été spécifié qu'il y avait des différences de résultats entre les hommes et les femmes lorsque ce test a été mené auparavant
  • Au troisième groupe, rien n'a été spécifié

Qu'en ont conclu les chercheurs? Dans le premier groupe, les résultats du test étaient équilibrés entre les hommes et les femmes. Dans le deuxième et troisième groupe, les hommes ont mieux performé que les femmes. L'existence de préjugés impacte directement les performances.

Des professionelles pour inspirer

Pour participer à la disparition de ces biais, plusieurs mouvements et associations ont vu le jour pour mettre en valeur des profils féminins qui se sont orientés dans la tech. C'est le cas d'"Elles bougent", mouvement national dirigé par Isabelle Huet et porté par "plus de 15.000 marraines à travers le territoire".

L'association intervient dans les classes d'école primaire jusqu'aux études suppérieures pour sensibiliser les jeunes filles aux métiers de la tech. Elle met en place un système de marrainage: chaque marraine est une femme issue du milieu scientifique qui va transmettre son expérience aux jeunes filles.

"C'est un programme à destination des filles dans lequel on parle de sujets tabous comme l'argent, l'objectif est de contribuer à briser le plafond de verre", raconte Isabelle Huet, directrice générale d'"Elles bougent".

D'autres initiatives similaires existent, à l'image de Genre de sciences, lancé par le Labo sociétal de Centrale Méditerranée. Dans ce projet, des étudiantes viennent parler, témoigner de leur parcours auprès d'élèves de quatrième, troisième ou seconde (avant de faire le choix des enseignements de spécialité au lycée).

Une expérience qui se déroule sur une demi-journée et dont "les retours, des élèves et des enseignants, sont favorables" comme le raconte à Tech&Co Guillaume Quiquerez, directeur du Labo Sociétal. "Des élèves qui y ont participé reviennent même témoigner plusieurs années plus tard, une fois qu'elles sont étudiantes", ajoute Guillaume Quiquerez.

Des rôles modèles à réintégrer

Le plan "Filles et maths" souhaite faciliter les démarches des associations qui veulent œuvrer contre le décrochage des filles en science. Une proposition, notamment, voudrait que les étudiantes puissent "bénéficier d’au moins une heure passée avec un rôle modèle féminin en petit effectif (une quinzaine d’élèves) chaque année du lycée."

La question d'inclure davantage de rôles modèles se pose aussi dans la culture et dans l’espace médiatique où les femmes exerçant des métiers dans l'informatique sont encore peu nombreuses. Les figures féminines historiques dans le milieu de l'informatique, presqu'effacées des manuels scolaires, sont aussi concernées.

Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Katherine Johnson, il convient de "réintégrer les premières femmes ingénieures au discours", espère Lolita Aboa, prix de la femme ingénieure du numérique 2025. "Il faut changer comment on raconte les sciences."

Un défi collectif

En parallèle, des marraines et autres rôles modèles, un effort collectif doit être mis en œuvre pour casser ces biais selon plusieurs interlocuteurs. En première ligne, les enseignants, qui "sans en avoir forcément conscience, ont une vraie influence sur l'orientation", analyse Olivier Sidokpohou, un des auteurs du rapport "Filles et mathématiques".

Le plan "Filles et maths", établi à partir du rapport qu'il a coécrit, impose une sensibilisation aux biais de genre de deux heures pour les personnels d'établissements scolaires à la rentrée 2025. Le projet ajoute également une journée de formation supplémentaire pour les professeurs de mathématiques sur ces mêmes questions. L'objectif est avant tout de mettre fin aux effets Pygmalion et Golem (expliqués dans l'article précédent de cette série).

Mais la sensibilisation ne doit pas se limiter aux enseignants. Avec "Elles bougent", Isabelle Huet propose par exemple des ressources aux établissements pour conscientiser les jeunes garçons à ces sujets. L'entourage familial aussi est concerné: "On essaie de sensibiliser les parents sur ces sujets, notamment sur des petits détails du quotidien", affirme la directrice générale d'"Elles bougent".

Les entreprises aussi ont un rôle à jouer. Elles peuvent participer à faire découvrir l'univers professionnel du numérique aux jeunes générations. "On a des témoignages de jeunes filles qui à travers une visite d'entreprise disent qu'elles ont eu l'étincelle", raconte Isabelle Huet.

Séparer pour donner plus d'espace

Une autre proposition souvent revenue chez les experts est de temporairement séparer les filles et les garçons lors de sessions très sujettes à des biais. Un moyen efficace de faire gagner les filles en confiance. "En général les garçons se mettent plus en avant que les filles. Les filles doivent être entre elles pour oser échanger et ne pas se limiter", analyse isabelle Huet.

Sébastien Guichard propose que des projets informatiques au collège ou au lycée où des équipes uniquement composées de filles feraient face à des équipes uniquement composées de garçons. L'objectif est de montrer que "les filles ne sont pas illégitimes".

D'autres initiatives existent comme les piscines Discovery de l'école 42 à Paris. Il s'agit de formation à la programmation, étalée sur 5 jours, uniquement accessible aux femmes. Des étudiantes rencontrées lors d'une de ces sessions expliquaient qu'en présence d'hommes, dans le cadre d'une formation en informatique, elles auraient eu "peur de subir des remarques", voire eu "l'impression de gêner".

"Mettre de côté les à priori"

Enfin, le dernier conseil, c'est peut-être juste de se lancer. Pour Lolita Aboa, sa curiosité l'a menée à entreprendre sa carrière d'ingénieure dans le numérique. Après le lycée, la jeune femme pensait fuir les maths en s'orientant dans des études de journalisme. Elle y a découvert le datajournalisme ce qui l'a conduit vers de nouvelles études en DUT de statistiques.

En parallèle, elle a commencé à découvrir l'informatique "seule, sans prof, sur mon temps libre". Elle intégrera ensuite un cycle ingénieur en informatique et statistiques. À travers son parcours, Lolita espère montrer que "tout le monde peut y arriver", malgré "une histoire un peu cabossée" comme la sienne, et même si on pense que "les dés sont jetés dès la naissance quand on est une femme".

Asma, Inesse et Saïna, trois étudiantes rencontrées lors d'une formation à la programmation à l'école 42, sont du même avis. Les jeunes femmes conseillent de "s'intéresser à l'informatique de son côté" et "de mettre de côté les à priori".

Si la tech brute peine à convaincre certaines élèves, il convient de mettre en évidence la transversalité du domaine. Isabelle Huet évoque des voies hybrides dans la tech, avec le "care" par exemple. La bio-informatique et la technologie médicale sont deux domaines qui gagnent en notoriété.

Vulgariser la tech, la démystifier, c'est aussi montrer que "tout le monde peut y arriver". L'image véhiculée de l'informatique est encore aujourd'hui celle d'un milieu très complexe, nécessitant une expertise pointue. Pour les jeunes femmes interrogées, une formation progressive à la programmation et voir les opportunités dans le secteur permet de casser les préjugés.

L'enjeu n'est pas seulement de laisser aux femmes la place qu'elles méritent de fait. Il est de rendre la société plus juste, plus complète, plus ouverte. Il est de faire que la technologie soit pensée par les deux hémisphères complémentaires d'un même monde.

Théotim Raguet