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"Le contact humain, c'est important": les jeunes blasés par les applications de rencontre?

Match Group.

Match Group. - DENIS CHARLET © 2019 AFP

Tinder reconnaît que ses plus jeunes utilisateurs cherchent désormais une expérience "plus authentique" sur son application. Les jeunes se détournent-ils des sites et applications de rencontre?

Comme une sonnette d'alarme pour garder les jeunes sur l'application. Dans ses résultats financiers du dernier trimestre de 2023, publiés le 30 janvier, MatchGroup déclarait qu'en 2024, l'équipe de Tinder "se concentrera sur la conception d'une expérience d'application qui résonne mieux avec les jeunes utilisateurs d'aujourd'hui".

"Il est apparu clairement" que la génération Z - ceux qui sont nés après 1997 - désire "une expérience moins stressante et plus authentique de créer des connexions", observait l'entreprise qui détient plusieurs sites de rencontre, dont Tinder.

Comme Léo, 21 ans, qui n'utilise pas d'application ou de site de rencontre. "Ça peut être bien pour les gens qui ont du mal avec le contact", reconnaît-il auprès de Tech & Co. "Mais plus je grandis, plus je me rends compte que le contact humain, c'est important", affirme le jeune homme.

Des jeunes blasés des applications?

Le mathématicien Laurent Pujo-Menjouet a étudié les applications de rencontre dans son livre Le jeu de l'amour sans hasard (éditions Equateurs). Il émet l'hypothèse que les jeunes sont presque blasés de ces plateformes, dont ils décryptent mieux les signes que leurs aînés, et risquent de s'en détourner massivement dans les prochaines années.

"Les quinquagénaires, les quadragénaires, découvrent depuis quelques années ces applications de rencontre qu'ils n'avaient pas quand ils étaient jeunes. Ils ne sont pas trop sélectifs mais veulent savoir qu’ils vont plaire", explique-t-il à Tech & Co.

"A l’opposé, les jeunes connaissent par cœur tous les codes, ont grandi avec un téléphone dans la main. Ils ont testé très tôt, ont vu le potentiel et s’y intéressent beaucoup moins", poursuit le maître de conférences en mathématiques à l'université Claude Bernard de Lyon.

"Un manque de naturel"

C'est ce que ressent Dounia, 29 ans, qui est active sur Raya et sur Bumble. "C'est sympa quand on est vraiment en recherche, après je ne suis pas hyper fan de la rencontre planifiée. Il y a un manque de naturel, c'est un peu un déroulement de CV forcé et on n'est pas forcément dans un contexte où on voit vraiment la personnalité de la personne", témoigne la Parisienne.

Ryan, une Américaine de 20 ans qui vit à Paris, a de son côté eu un rendez-vous avec un homme rencontré sur Hinge qui l'a laissée mitigée. "C'était une bonne expérience, mais je ne la referais pas. Je préférerais rencontrer quelqu'un dans la rue plutôt que sur une application de rencontre en ligne", raconte-t-elle. "Cela a quelque chose de si peu naturel, presque pas humain", ajoute la jeune femme.

"On peut avoir 50 ans et vouloir s'envoyer en l'air"

Une évolution telle qu'on ne pourrait plus toujours distinguer les usages des sites de rencontre selon les classes d'âge, selon Pascal Lardellier, auteur du livre S'aimer à l'ère des masques et des écrans (éditions de l'Aube).

"On peut considérer à bon endroit que les applications sont plutôt utilisées par les jeunes. Mais depuis quelques années, elles se sont sédentarisées dans nos vies et se généralisent à d'autres générations", constate le professeur en sciences de la communication à l'université de Bourgogne.

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L'âge moyen des utilisateurs de l'application Happn est ainsi de 31 ans, selon des chiffres transmis par l'entreprise à Tech & Co. Son "cœur de cible" est la tranche des 25 - 35 ans, "la plus active de l'application". Et même dans l'attitude des différents utilisateurs sur les applications, Pascal Lardellier observe une "horizontalisation des pratiques" entre les jeunes et les moins jeunes.

"Pendant très longtemps, elles étaient différentes. Mais en 2024, tout le monde est connecté partout et tout le temps", souligne le spécialiste de la sociologie des liens. Aujourd'hui, sur une application, "on peut avoir 50 ans et vouloir s'envoyer en l'air comme avoir 20 ans et chercher une belle histoire d'amour", illustre-t-il.

2,3 millions de visiteurs chaque jour

Le succès de ces plateformes reste d'ailleurs très important. L’audience des sites et applications de rencontre a progressé de 9% en 2023 en France, selon Mediametrie. Des plateformes fréquentées par 2,3 millions de visiteurs uniques chaque jour.

Pascal Lardellier note que les rencontres sur ces applications s'additionnent à celles effectuées sur les réseaux sociaux, avec une "rupture d'étanchéité des sites": "on peut draguer sur Linkedin et se faire des amis sur Meetic".

Car toutes les générations ont en commun de lutter contre la solitude, que certains ont particulièrement ressentie lors de la pandémie et que Pascal Lardellier voit comme une "grande cause nationale". Au final, pour Laurent Pujo-Menjouet, "les gens cherchent surtout quelqu'un avec qui discuter".

En janvier 2024, une étude menée par l'Ifop pour l'entreprise Goodflair montrait justement que ces outils sont bien souvent utilisés pour faire face à cette solitude. Parmi les 44% de Français se sentant régulièrement seuls, les sites et applications de rencontre sont ouverts en priorité pour rompre cet isolement dans 32% des cas. Avec un pic à 53% pour les 25-34 ans, mais également 36% chez les 50-64 ans.

Sophie Cazaux