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De l'intello au consommateur de pop culture: le mot "geek" a-t-il encore un sens en 2023?

Longtemps connoté négativement, le terme "geek" n’est désormais plus synonyme de personne asociale rivée sur son ordinateur. Et trouver une vraie définition du terme relève presque du casse-tête.

À chaque jour son lot de journées internationales et autres festivités uniques. Le 25 mai célèbre lui le Geek Pride Day, autrement dit la journée mondiale des geeks. Créé en 2006 en Espagne, cet événement annuel permet aux férus de technologies de revendiquer et d’affirmer haut et fort leur statut de geek.

Autrefois synonyme d’intello à lunettes branché 24 heures sur 24 sur son ordinateur, le "geek" a toutefois vu sa définition évoluer de décennie en décennie, pour aujourd’hui s’apparenter à un terme générique, pas dénué de sens mais presque, plus utilisé comme blague que vraie injure.

"Utilisé par des boomers"

Pour trouver l’origine du mot geek, il faut déjà remonter à plusieurs siècles en arrière. Le mot "geek" vient non pas de l’anglais, mais de l’allemand et du néerlandais. Au XVIIIe siècle, certains cirques ambulants présentaient au public des "gecken", sortes de monstres de foire. D’année en année, le terme a évolué pour arriver à "geek", présenté pour désigner les personnes douées en mathématiques ou férues de technologies.

Livio, étudiant de 22 ans, explique par exemple durant sa jeunesse avoir reçu des remarques concernant ses passions: "Je jouais aux jeux vidéo, je regardais des animes, je lisais des mangas et du coup j’étais forcément le mec bizarre car j’avais une culture différente des autres." L’étudiant donne aussi l’exemple d’une professeure surnommant lui et ses camarades des "petits geeks" car ils travaillaient sur un projet lié à l’intelligence artificielle.

"J'ai l'impression que le terme geek est utilisé aujourd’hui uniquement par des boomers, des personnes entre 40 et 50 ans. Ça n'a plus trop de sens", estime Livio.

"Il y a eu aux Etats-Unis ce stigmate d’étudiant reclus, mais les Américains ont rapidement compris qu’il se cachait une vraie tendance derrière. Et en France, comme souvent, on a été en retard", résume ainsi Nicolas Beaujouan, responsable éditorial chez 404 comics et auteur de Geek: la revanche (Robert Laffont, 2013).

"Quand la France a vu qu’il y avait ces dynamiques populaires et surtout un marché possible, ça a de moins en moins été vu comme une chose négative", note le spécialiste.

Impact du cinéma et des séries

La perception négative du "geek" à l’époque s’explique surtout par la méconnaissance des activités auxquelles il était associé. "C’était mal vu car cela était apparenté aux nouvelles technologies qui n’étaient pas connues ou comprises. Dans les années 1970, c’était attribué aux bons élèves, ce qui en a fait l’anti-stéréotype du cool", schématise David Peyron, maître de conférence en sciences du langage à l’université Aix-Marseille et auteur de Culture Geek (FYP, 2013).

Mais avec l’arrivée progressive d’internet dans de nombreux foyers, de l’ADSL et d’une connexion de plus en plus rapide, la création d’une vraie culture web a pu se mettre en place, réduisant au passage la marginalisation des personnes déjà plongées dans cet univers.

Le cinéma et les séries ont eux aussi joué leur rôle dans la démocratisation et l’acceptation du geek. "Le déclic arrive avec les enchaînements culturels massifs qu’on a eus au début des années 2000, avec Star Wars, Matrix ou Le Seigneur des Anneaux puis de 2010 à 2015 avec une vague de produits culturels 'normaux' qui va des vêtements à la décoration", explique Nicolas Beaujouan.

Avis partagé par David Peyron, qui note surtout l’importance des rôles de geeks dans les œuvres culturelles de l’époque.

"Beaucoup de films et séries ont eu une présence de toujours au moins un personnage hacker/geek. C’était une grosse présence qui a permis de populariser le terme", explique David Peyron.

Les exemples sont d'ailleurs nombreux, mais des personnages comme ceux de la série The Big Bang Theory, Penelope Garcia dans Esprits Criminels ou encore Matthew Farrell dans le film Die Hard 4: Retour en enfer ont permis d'offrir une représentation toujours stéréotypée, mais souvent sympathique et attachante.

David Peyron note d'ailleurs qu’aujourd’hui, les traductions d'œuvres ne traduisent plus nécessairement le terme "geek", là où "intello" ou "naze" étaient encore utilisés il y a quelques années. Une victoire pour certains puristes, heureux de ne plus être catégorisés.

Tous geeks?

Serait-on au final tous devenus un peu geeks? "On a tous un ADN geek car on est né et on vit avec la technologie", avance Livio.

Avis similaire pour Nicolas Beaujouan, qui note une quasi "injonction à être geek" avec l'évolution des façons de consommer les nouvelles technologies. Le directeur artistique donne pour exemple "l’essor des plateformes de streaming qui poussent à binge watcher" et ont donc changé notre rapport à la surutilisation des écrans.

David Peyron insiste même en affirmant qu’il n’y a plus vraiment de définition du mot "geek": "Il y a ce flou utile. Ce n’est pas un besoin technique de le définir. On sait que quand on parle d’un geek, on s’apparente plus à des traits, des attitudes, des pratiques culturelles qu’à une vraie définition. C’est pareil que les punks."

L'appartenance à un groupe et le besoin d'identification restent toutefois souvent essentiels pour de nombreux individus afin d'être complètement épanouis. Être geek, punk, gothique, ou tout autre stéréotype démodé, ne signifie ainsi plus grand chose, l'important étant en définitive de vivre intensément ses passions.

Julie Ragot