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Pourquoi la plupart des musiques que vous écoutez pourraient être une menace pour votre audition

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Musiques, publicités ou encore films: les sons compressés sont partout. Or, une exposition prolongée à ces derniers pourrait s'avérer délétère pour l'audition.

Un événément incontournable. La Fête de la musique fait son retour ce 21 juin avec, comme chaque année, des animations exceptionnelles et des concerts en extérieur prévus dans toute la France. Immanquablement, ce rassemblement expose ses participants à des sons compressés au détour de leurs déambulations.

Assez méconnus du grand public, les sons compressés, ou surcompressés, sont pourtant omniprésents au quotidien. Dans les musiques proposées en concert et sur les plateformes de streaming, au cinéma, dans les jeux vidéos, à la radio ou encore lors d'un appel téléphonique, il est difficile d'échapper à ce format sonore.

"La compression est une technique de mixage initialement utilisée pour égaliser les différents instruments d'un ensemble et éviter que l'on ne puisse pas entendre certains d'entre eux lorsque les autres jouent fort", explique à Tech&Co Paul Avan, professeur de biophysique à l’université de Clermont-Auvergne qui a dirigé une étude sur les effets de la musique compressée sur l'audition.

Absence de "micro-silences"

Ce procédé réduit les écarts entre les sons forts et les sons faibles "tout en maintenant un niveau sonore moyen assez élevé" afin que l’ensemble soit homogène détaille Paul Avan. Les sons, même les plus faibles, sont amplifiés et le résultat semble plus fort à l’écoute. Grâce à elle, un mot chuchoté peut être perçu avec autant d’intensité que s’il était prononcé à voix haute. Les sons compressés ont été développés dans les années 60 par l'industrie musicale rapporte Christophe Hugonnet, ingénieur acousticien et président de la Semaine du Son en partenariat avec l'UNESCO,

"Il fallait trouver une solution pour pouvoir mélanger des sons de niveau sonore différents: par exemple une guitare et une batterie qui jouent en même temps. On a donc commencé à écraser les sons avec un compresseur", indique-t-il à Tech&Co. Par ailleurs, les sons compressés, qui sont d'un haut niveau sonore, sont capables de couvrir les bruits ambiants. Une aubaine pour la publicité télévisée qui démocratise le procédé dans les années 90, avant qu'il essaime d'autres domaines, avec pour conséquence des spots au volume sonore plus important.

En résumé, les sons que nous écoutons au quotidien via ces supports atteignent systématiquement un niveau sonore élevé. Cela en permanence. Une évolution qui n'est pas sans risque. Car l'audition tend à fatiguer face à une exposition prolongée à ce type de format qui, contrairement aux sons naturels ou modérément compressés, gomment "les brefs temps de repos, les petits intervalles où le son est plus faible. Il s'agit de 'micro-silences' pendant lesquels le système auditif pourrait se reposer", explique Christian Hugonnet.

Fatigue auditive prolongée

Or, ces respirations s'avèrent importantes pour une bonne santé auditive selon l'étude menée en 2022 par l'équipe de chercheurs de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand dirigée par Paul Avan et des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Ces derniers ont fait écouter de la musique compressée et naturelle pendant plusieurs heures à 90 cochons d’Inde dont le système auditif est proche de celui des humains.

Il s'agissait de mesurer les contractions des muscles de l’oreille moyenne des rongeurs pour évaluer les réflexes protecteurs de leur cerveau et donc la fatigue des neurones. Résultat: ceux soumis à de la musique compressée ont vu les muscles protecteurs situés à l’intérieur de leurs esgourdes se fragiliser.

"Les animaux exposés à de la musique surcompressée subissent une fatigue durable, au moins une semaine, de certains circuits neuronaux auditifs, alors que leur oreille interne ne fatigue pas, souligne Paul Avan.

"D'autres animaux exposés à la même musique ajustée exactement au même niveau, mais sans surcompression, ne manifestent de fatigue ni dans leurs oreilles internes ni dans leurs circuits neuronaux auditifs", conlut le professeur.

Prévenir plutôt que guérir

Etre soumis un certain temps à un son compressé pourrait donc créer une fatigue auditive importante. Toutefois, bien que cette dernière ait été démontrée chez l'animal, elle reste encore à prouver chez l'homme. Un projet en cours.

"Grâce au soutien de la Fondation Ecouter Voir, nous sommes en train d'étudier l'effet d'autres sons surcompressés, joués à des niveaux plus modérés, sur des sujets humains exposés professionnellement", expose Paul Avan.

"Nous tentons aussi de développer des indicateurs de durée des micro-silences pour en apprendre plus sur les effets possiblement toxiques du son compressé en dynamique d'intensité. Enfin, nous documentons des stratégies de prévention et de sensibilisation", poursuit-il.

En attendant, Christophe Hugonnet suggère d'être prudent et d'éviter l'écoute prolongée de sons compressés. L'ingénieur du son, en collaboration avec l'UNESCO et l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM), travaille d'ailleurs à la création d'un label international qui garantira "que le son que vous êtes en train d'écouter ne vous blessera pas l'oreille", précise-t-il.

Louis Mbembe