Tech&Co
Tech

Outils anti-perquisition, traçage: pourquoi les méthodes d'Uber ont souvent fait scandale

L'application Uber permet de réserver des véhicules avec chauffeur.

L'application Uber permet de réserver des véhicules avec chauffeur. - AFP

Lancée en 2009, l'application de VTC a déployé de nombreuses méthodes pour échapper aux autorités de régulation lors de son développement international.

Activer un bouton d'arrêt d'urgence lors de perquisitions, repérer et éviter la police grâce à un logiciel dédié ou encore déployer le traçage des iPhone des chauffeurs. Autant de manoeuvres déployées par Uber lors de son expansion mondiale.

Lancée en 2009, l'application de réservation de VTC (voiture avec chauffeur à la demande) a usé de nombreuses méthodes confidentielles pour tenter d'imposer son modèle face aux taxis, dans un secteur alors très régulé.

L'enquête "Uber Files", publiée dimanche 10 juillet par de nombreux médias dont Franceinfo et Le Monde, étaye les pratiques de l'entreprise américaine via plus de 120.000 documents internes, datés de 2013 à 2017. Ils révèlent notamment l'implication d'Emmanuel Macron, alors qu'il était ministre de l'Économie sous François Hollande, dans le développement de l'entreprise en France.

Un bouton d'arrêt d'urgence pour les ordinateurs

Dès 2015, Uber a recouru a une fonctionnalité très spéciale, baptisée "kill switch". Ce bouton d'arrêt d'urgence permet de couper instantanément, et à distance, les ordinateurs de l'entreprise en cas de perquisition. Cette manoeuvre rend ainsi inaccessibles les ordinateurs, les documents et les outils internes du groupe.

"Uber Files" révèle que l'application de VTC l'a utilisé à de nombreuses reprises pour empêcher la saisie de données sensibles. Son activitation a même été ordonnée par Travis Kalanick, fondateur et Pdg de l'entreprise jusqu'en 2017.

Utilisée dans le monde, cette fonctionnalité était contrôlée de manière centralisée par le service informatique d'Uber à San Francisco et par l'intermédiaire d'un autre site au Danemark, précise le Washington Post. "Même s'il était 2 heures du matin à San Francisco, il y avait des gens qui étaient censés réagir", confie un ancien employé au journal.

Le "kill switch", visant à obstruer le travail des autorités, est considéré par de nombreux juristes comme étant à la limite de la légalité, rapporte Le Monde. Uber ne conteste pas "le fait que ce type de logiciel ait pu être utilisé en France", toujours selon le quotidien.

Un manuel pour savoir comment réagir lors des perquisitions

Tandis qu'Uber cherchait à imposer son modèle partout dans le monde, les enquêtes étaient fréquentes. A tel point que le groupe américain a distribué à ses employés un manuel pour leur dicter la démarche à suivre en cas de perquisitions.

Parmi les 70 points énumérés, "déplacez les régulateurs dans une salle de réunion qui ne contient aucun fichier" ou encore, "ne laissez jamais les régulateurs seuls".

Les "Uber Files" montrent que la direction de l'entreprise redoutait de telles visites. Le groupe déplaçait notamment des documents en dehors de leurs bureaux et dressait une liste de leurs employés par bureau afin de s'assurer de la fonctionnalité "kill switch" soit bien déployée sur tous les ordinateurs, selon un mail de Zac de Kievit, alors directeur juridique européen d'Uber, rapporte le Washington Post.

"Greyball", un outil pour répérer et éviter la police

En 2017, une enquête du New York Times révélait l'existence de l'outil "Greyball". Ce logiciel permettait aux chauffeurs Uber de repérer les policiers dans les villes où l'entreprise n'avait pas le droit d'opérer.

Le quotidien américain raconte notamment un épisode de 2014, à Portland (Oregon). Alors que le groupe n'avait pas encore l'autorisation de s'y implanter, des policiers tentaient d'interpeller des chauffeurs Uber en commandant des courses via l'application pour se faire passer pour des clients. L'entreprise avait développé un système pour les repérer et les renvoyer automatiquement vers une fausse application où les voitures proposées à l'écran n'existaient tout simplement pas.

Pour détecter les policiers, Uber recourait à plusieurs techniques. Parmi lesquelles, analyser les demandes d'utilisateurs qui ouvraient l'application de manière répétée à proximité d’un bâtiment gouvernemental, mais aussi analyser les données de carte bancaire d’un client, voire son profil sur les réseaux sociaux.

Traçage des iPhone de ses chauffeurs

Uber a également suivi à la trace ses propres chauffeurs. Une enquête du New York Times, parue en 2015, révélait que le groupe traçait les appareils iOS sur lesquels l'appli était installée.

A l'époque, Uber justifiait cette manoeuvre en expliquant qu'elle lui permettait de repérer des comportements suspects. L'entreprise aurait cherché notamment à empêcher des chauffeurs d'acheter plusieurs iPhone d'occasion, afin de s'auto-commander des courses pour gagner artificiellement plus d'argent.

Problème: cette fonctionnalité était en réalité déployée pour tous les utilisateurs d'iPhone - et pas seulement pour les chauffeurs. De quoi déroger à la charte de confidentialité de l'App Store.

Pour dissimuler ce pistage, Travis Kalanick aurait demandé à ses développeurs de ne pas le déployer sur les iPhone utilisés par des salariés Apple. En vain. Lorsqu'Apple a découvert la manoeuvre, son patron, Tim Cook, avait convoqué Travis Kalanick pour le menacer de supprimer Uber du magasin d'applications.

Un renouvellement des équipes, se défend Uber

Suite à la publication des "Uber Files", l'entreprise s'est défendue: "Uber a engagé un nouveau PDG, Dara Khosrowshahi, qui a été chargé de transformer tous les aspects (de notre) fonctionnement", affirme le communiqué de presse.

Le très controversé Travis Kalanick avait été poussé vers la sortie en 2017 après le témoignage de nombreux salariés concernant des cas de harcèlement, sexisme, discriminations et diverses intimidations.

Sous l'action du nouveau PDG, l'entreprise valorisée 43 milliards de dollars fait valoir le renouvellement de ses équipes.

"Lorsque nous disons qu'Uber est une entreprise différente aujourd'hui, nous le pensons littéralement: 90% des employés actuels d'Uber ont rejoint l'entreprise après que Dara soit devenu PDG."
Anaïs Cherif