Jeux télévisés, télé-réalité... pourquoi les programmes sont de moins en moins français

Les ventes de format français à l'étranger (ici l'émission Slam) n'ont rapporté que 20,9 millions d'euros en 2017. - Effervescence
L'amour est dans le pré? Une adaptation de l'émission britannique Farmer wants a wife. Koh-Lanta? L'émission vient tout droit du format suédois Survivor. Danse avec les stars? Un décalque de l'émission britannique Strictly come dancing. Cauchemar en cuisine? Un remake de l'émission britannique Ramsay's kitchen nightmares. N'oubliez pas les paroles? Une version française du jeu américain Don't forget the lyrics. Affaire conclue? Une variante de l'émission allemande Bares für rares. Scènes de ménages ou Les bracelets rouges? Des déclinaisons des séries espagnoles...
Sans le savoir, vous regardez à longueur de journée de plus en plus d'adaptations de formats étrangers. Une situation que déplore le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) dans son étude annuelle sur la production audiovisuelle, présentée lors des Rendez-vous de Biarritz.
Peur du plantage
L'explication est simple: adapter un format étranger minimise le risque d'audience. En effet, la chaîne suppose qu'une émission ayant été un succès dans un ou plusieurs pays étrangers le sera aussi en France. "La chaîne a une telle aversion au risque, une telle peur du plantage, est tellement condamnée au succès qu'elle a peur de faire dans l'originalité", a résumé la conseillère du CSA Nathalie Sonnac. Et la situation économique des chaînes devenant de plus en plus tendue, le recours aux formats étrangers s'est donc généralisé.
Certains producteurs courageux tentent bien d'inventer des formats originaux, mais c'est évidemment bien plus risqué en termes d'audience. La chaîne est donc bien plus difficile à convaincre dans ces cas-là. Seul une idée sur 15, 50 voire 70 est acceptée par la chaîne, indiquent les producteurs interrogés par le CSA. "Certains producteurs iraient jusqu’à ne plus développer de formats originaux à la suite du nombre de refus essuyés auprès des équipes éditoriales des chaînes", déplore l'étude.
Revival de vieux formats
Pour mieux convaincre la chaîne, le producteur peut certes tourner une émission pilote, mais cela coûte cher: 100 à 300.000 euros. "Pour vendre un programme, tourner un pilote est décisif, mais peu de producteurs sont capables de le financer", a pointé Nathalie Sonnac.
Désormais, "TF1 achèterait peu de programmes originaux en-dehors de ceux issus des 'volumes-deals' [accords cadres] signés avec certaines sociétés de production, C8 serait dans la même situation. Les chaînes de France Télévisions seraient celles dont la part de créations françaises à l’écran serait la plus importante, bien qu’en baisse depuis deux ans, selon les producteurs auditionnés", relève l'étude. Toujours pour minimiser les risques, une autre solution utilisée est le revival de vieux formats ayant fait leurs preuves, comme C'est mon choix.
Cercle vicieux
La production française est donc rentrée dans un cercle vicieux: de moins en moins de formats originaux, donc de moins en moins d'argent généré par les formats français, en France comme à l'étranger. "Cette préférence marquée pour les formats étrangers nuit à la dynamique de création, à l’innovation et à la vente de formats français à l’international", pointe l'étude.
Dans un récent rapport, un groupe de députés de la majorité déploraient aussi que les chaînes publiques achètent trop de formats étrangers:
"il convient également de renoncer à l’achat de formats étrangers en favorisant les formats originaux français exportables.
Pour les émissions de flux, France Télévisions est copropriétaire de la marque et du format, alors que TF1 ne demande ni la marque ni le format, et M6 demande seulement la marque.
La participation au développement de nouveaux formats originaux pourrait être un des moyens pour France Télévisions de remplir cette mission de service public qu’est l’innovation. En effet, France Télévisions n’a aucune obligation en ce qui concerne les budgets de développement dans le flux (notamment pour le divertissement) et l’opacité la plus complète règne sur leur utilisation. Dans bien des cas, France Télévisions ne paie plus du tout le développement, en continuant d’exiger la copropriété du format, du titre, etc. Il est donc important que ce budget de développement soit sanctuarisé et rendu transparent. En effet, le soutien à la création de formats est absolument fondamental aujourd’hui. France Télévisions a toujours refusé que soit reconnu un droit au format pour les créations originales. L’exposition de programmes originaux sur les antennes de France Télévisions permettrait d’engager un cercle vertueux pour la filière audiovisuelle française : ces programmes ont en effet vocation à s’exporter. Il s’agit donc d’une opportunité de recettes à l’exportation, partagées entre le producteur et France Télévisions sur un modèle 'gagnant-gagnant' lorsque le succès est à l’arrivée.
Pour la fiction, l’adaptation de formats étrangers devrait être une exception sur France Télévisions. Adapter des succès étrangers, c’est priver la fiction française de la création de marques fortes et exportables. C’est priver les chaînes d’une identité. Cela a été compris depuis longtemps par les télévisions nationales anglo-saxonnes, scandinaves, espagnoles, etc"
Au total, le marché des formats français est estimé à 2 milliards d'euros, ce qui reste "secondaire par rapport aux voisins européens". Les ventes de format français à l'étranger n'ont rapporté que 20,9 millions d'euros en 2017, selon le CNC. Il s'agit surtout de jeux (Slam, Fort Boyard) et de fictions courtes (Soda, Caméra café, Nos chers voisins).