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Du "true crime" hypersexualisé: sur Youtube, les faits divers générés par IA font un carton

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Sur Youtube, de plus en plus de chaîne racontent des faits divers... qui ne se sont jamais produits. Ces histoires, générées par IA, rapportent gros aux créateurs de contenus.

"La relation amoureuse secrète d'un mari gay avec son beau-fils se termine par un meurtre atroce." "La liaison secrète d'une femme avec la fille adolescente d'un voisin se termine par un meurtre horrible." Sur Youtube, la chaîne "True crime case files" regorge d'histoires sordides en tout genre.

Au programme, des faits divers, des meurtres non élucidés et des tueries sordides. C'est ce qu'on appelle du "true crime", des récits d'histoires criminelles réelles. Et ça cartonne. En 2020, les chaînes Youtube de true crime ont suscité plus de 2,5 milliards de visionnages, selon la filiale de Google. Les vidéos de "True crime case files", elles, dépassent régulièrement les 10.000, voir le million de visionnages.

Le hic, c'est que, dans le cas de la chaîne, ces récits sont inventés de toute pièce, rapporte 404media. Les 150 histoires de la chaîne et leurs images ont été générées grâce à l'intelligence artificielle (IA). Pourtant, aucune mention d'IA n'est mentionnée dans les publications ou en description.

"Une ruée vers l'or"

Dans la majorité des cas, ces intrigues sont hypersexualisées. Elles racontent l'histoire de parents qui vendent des adolescents comme esclaves sexuels à un shérif ou celles d'enseignants commettant des meurtres pour cacher leurs liaisons avec des élèves. Les vignettes des vidéos étaient aguicheuses, avec des titres accrocheurs pour attirer les clics.

Malgré les sujets choquants, et parfois peu crédibles, le public ne remarque pas toujours que ces histoires sordides sont fausses. "Je suis sûr à 100% que la relation sexuelle entre le beau-père et le beau-fils a commencé bien avant qu'il n'ait 19 ans", écrit ainsi un utilisateur en commentaire.

Mais qu'importe pour les créateurs de ces chaînes. Car ces vidéos rapportent beaucoup. Mieux, elles nécessitent peu d'investissement. En effet, il suffit de s'abonner à ChatGPT ou Midjourney, et le tour est joué. Nul besoin d'investir dans des équipes de production ou du matériel.

Au départ, les premières vidéos de "True crime case files" étaient labellisées "réalisées grâce à l'IA". Mais le créateur se rend vite compte qu'en enlevant cette mention, ses vidéos décollent.

"C'était un peu comme une ruée vers l'or. J'ai vraiment eu l'impression qu'il fallait que je me positionne avant que quelqu'un d'autre n'y pense", note Paul* à 404media.

Et qui dit audience, dit rémunération. Paul n'a pas souhaité préciser à 404media le montant des revenus publicitaires générés. Mais il précise pouvoir vivre de ses vidéos. Depuis, le modèle économique a séduit. Attirées par les fortes audiences et les coûts de production réduits, d'autres chaînes de true crime utilisant l'IA ont vu le jour. Ainsi, "Hidden family crime stories", "True crime sases", "True crime home" et "Crime tapes" diffusent un nombre croissant d'histoires de meurtres générées par l'IA.

"Du divertissement déguisé en actualité"

De son côté, Paul nie avoir créé cette chaîne par pur appât du gain. Selon lui, l'objectif de sa chaîne était plutôt de questionner sur le rôle de l'IA et de la fascination morbide pour les true crimes. Il donne par exemple des prénoms étranges à ses personnages ou insère des détails étranges dans ses scriptes pour aiguiller les spectateurs. Mais le public remarque rarement ces indices.

"Le true crime, c'est du divertissement déguisé en actualité (...) Il n'y a vraiment aucune différence entre le true crime classique et ce que je fais (...), si ce n'est que (je) n'utilise pas de vraies personnes et leurs souffrances comme moyen de communication", se dédouane Paul.

Un argument réfuté par Annie Nichol, une avocate spécialisée dans la défense des victimes de faits divers. "Les victimes sont utilisées par les médias et par les créateurs de true crime", fustige-t-elle. "Notre traumatisme est souvent exploité à des fins lucratives. Quelqu'un qui génère des true crimes à des fins lucratives n'aide en rien les victimes."

Depuis plusieurs de ces chaînes, dont "True crime case files", ont été supprimées par Youtube. "Nous avons mis fin aux activités de la chaîne en question pour de multiples violations de nos lignes directrices communautaires, notamment de nos politiques relatives à la sécurité des enfants, qui interdisent la sexualisation des mineurs", précise un porte-parole de la plateforme, dans un communiqué.

De son côté, Paul tente de faire appel de cette décision. Les versions audio de toutes ses vidéos sont toujours accessibles sur Spotify.

* Le prénom a été modifié

Salomé Ferraris