"South of Midnight": la magnifique plongée vidéoludique dans le folklore du sud des États-Unis

Une héroïne qui s’envole par-dessus les marécages à l’aide d’invisibles fils, un poisson géant qui parle retenu par un arbre, des créatures sorties des ténèbres qui vous attaquent au milieu de paysages dévastés alors que résonne une musique prenante. Mais le tout de manière très poétique et envoûtante. Bienvenue dans South of Midnight, étrange jeu que l’on doit à Compulsion Games (Contrast, We Happy Few) et qui nous embarque dans le sud des États-Unis.
Xbox offre là une exclusivité d’ampleur au studio québécois, connu pour son approche unique de la narration et du style artistique, pour apporter à sa console et aux PC une aventure solo originale. Et Compulsion Games n’a pas hésité à saisir sa chance pour concevoir un voyage inédit, sur le fond et la forme.
En virée dans le sud profond mystique et gothique
Bienvenue dans le "Deep South", ses folklores entre magie et parfois mythes. Ici, vous incarnez Hazel, une adolescente de 19 ans qui tente de retrouver sa mère disparue lors d’un ouragan qui a ravagé le sud des États-Unis où elle vit. Au fil de son périple, la jeune fille va se découvrir le pouvoir de tisseuse de fils magiques qui lui permettent de voler d’un point à un autre, de combattre des ennemis et de progresser. Sur sa route, d’étranges créatures, des humains tout aussi mystérieux, tous inspirés des histoires orales de ces contrées qui ressemblent énormément à la Louisiane (on aperçoit quelques panneaux publicitaires à l’ancienne et en français dans le texte!).
"Toute la genèse de South of Midnight a commencé avec notre directeur créatif, David Sears, qui a grandi dans le Mississippi et qui nous a partagé les histoires de son enfance, les lieux où il partait jouer", raconte à Tech&Co Jasmin Roy, directeur du jeu. "C’est un décor peu utilisé en jeu vidéo alors qu’il y a de quoi faire. On s’est inspiré du folklore pour créer quelque chose de moderne, un univers qui nous est propre." Et cela a pris cinq ans. Pour le peaufiner, Compulsion Games a fait appel à des conteurs et spécialistes du folklore local pour qu’ils leur racontent les mythes transmis de génération en génération afin d’y puiser leur inspiration.
Le jeu s’inspire ainsi du genre littéraire "Southern Gothic" qui met l’accent sur les histoires personnelles et les événements passés qui affectent le présent, une Amérique en décomposition, mêlant excentricités, superstitions, croyances macabres et traditions. Et les équipes citent parmi leurs influences pour créer l’univers des films comme La Nuit du Chasseur, Le Labyrinthe de Pan ou encore le roman La fille de l’optimiste d’Eudora Welty. "Il y a tellement de culture riche là-bas et tellement de beauté que nous pouvions explorer", s'enthousiasme Whitney Clayton, directrice artistique de South of Midnight.

L’aventure se déroule en plusieurs chapitres, chacun marqué par une atmosphère différente et des défis variés. L’exploration est encouragée par l’absence de carte traditionnelle, remplacée par des indices visuels et sonores guidant le joueur à travers ce monde mystérieux. "Nous voulions offrir une exploration contemplative, où le joueur découvre le lore du monde à travers des interactions subtiles", indique Jasmin Roy.
Du stop-motion qui touche juste
Mais c’est surtout le choix visuel qui donne sa touche si particulière à South of Midnight. Le choix a été fait d’opter pour un effet de stop-motion. Les équipes ont travaillé en collaboration avec le studio Clyde Henry Productions, spécialiste de l’animation en stop-motion, pour créer leur mode en 3D. L’effet est immédiat avec cette impression de voir les personnages, les éléments, faits à la main, presque de manière artisanale. "Chaque mouvement, chaque texture, chaque détail du jeu est pensé pour conférer au titre une atmosphère unique et envoûtante", souligne Whitney Clayton. Et le résultat est impeccable, ajouté à un jeu de lumière assez magique qui crée une atmosphère aussi féérique qu’intrigante et attirante.
Pas d’inquiétude si le stop-motion n’est pas à votre goût. "Le jeu tourne bien en 60 images par seconde, car nous voulions être sûrs que cela ne perturberait pas la fluidité de l’expérience de jeu", explique Whitney Clayton, rappelant que "vous pouvez couper l’effet si vous n’aimez pas". Mais il faut avouer que cela enlève alors un peu de personnalité à l’ensemble, sans pour autant le rendre quelconque. Loin de là. South of Midnight a soigné ses graphismes même sans sa touche personnelle.

Nous avons pu errer de longues heures dans ce Sud profond qui ne dit jamais vraiment son nom. Un lieu voulu mystique et intemporel, dominé par la faune et la flore qui ont repris leurs droits après l’ouragan. Tout ici appelle à la balade à travers ce décor coloré et joyeux, bien que dévasté. C’est tout un paradoxe qui s’installe, une bascule permanente entre le beau et le détruit, le lumineux et le sombre. South of Midnight va faire la bascule permanente entre les deux et le gameplay, facile à prendre en main bien que nous ayons commencé au Chapitre 3 de l’histoire, permet de s’y installer tranquillement.
On apprend comme Hazel à maîtriser progressivement ses différents pouvoirs et talents pour combattre, mais aussi voler, sauter, planer, tisser des liens avec cet environnement que l’on explore avec délice. S’y cachent de multiples surprises, des éléments à rassembler pour comprendre ce qu’il s’est passé dans l’histoire de la jeune fille, mais aussi dans celle que nous traversons alors.
Ici, pas d’indices pour vous guider. Compulsion Games a eu l’idée maligne de transformer cela en une voix qui murmure le nom de l’héroïne quand celle-ci cherche à se remettre dans le droit chemin. Les indices sonores sont d’ailleurs légion, la musique signée Olivier Derivière jouant un rôle aussi important pour suivre le jeu que pour créer une atmosphère prégnante. C’est un des personnages de l’histoire au même titre que tous les autres et les mélodies signées.
La musique, un personnage majeur
"Certaines musiques ont été créées avant même que les niveaux ne soient terminés," avance Chris Fox, directeur audio du jeu. Elles ont ainsi pu aussi servir de concept pour l’ambiance sonore et lui donner une teinte, parfaitement illustrée dans certaines séquences par le chœur gospel de Nashville qui fait résonner le voyage d’Hazel. Ses actions, sauts et courses sont d’ailleurs parfois synchronisés, presque chorégraphiés avec la musique. On aurait presque l’impression d’être à la baguette. "Nous avons voulu créer des chansons qui révèlent progressivement l’histoire des créatures rencontrées", ajoute-t-il.
Virée poétique, enchanteresse, mais parfaitement construite, South of Midnight multiplie les environnements différents, les personnages hauts en couleur (Crouton, sorte de doudou en tissu fait de bric et de broc, a tout de la mascotte annoncée), et les créatures très diverses. On retrouve ce poisson-chat géant qui nous conte l’histoire de Rhubarb et son frère Benjy, cet étrange alligator monumental surmonté d’une forêt ou bien ce joueur de banjo façon squelette gigantesque qui nous surplombera. Chaque biome, chaque histoire a son univers musical qui va crescendo du début à la fin du chapitre, de la petite musique en passant par des chants basés sur le genre sudiste avant de ponctuer le chapitre par une chanson entière narrant l’histoire que l’on vient de vivre et renforçant ainsi l’immersion.
De cet avant-goût du jeu attendu pour le 8 avril, South of Midnight s’annonce comme une expérience unique, mêlant récit poignant, esthétique envoûtante et gameplay immersif. L’apport du folklore riche du Sud et la direction artistique audacieuse prise laissent entrevoir une aventure mémorable qui ne laissera personne de marbre. Que l’on aime le parti pris stylistique ou pas.