"On est allé puiser dans la pop culture": comment Ubisoft a modernisé le mythe vidéoludique Prince of Persia

Il n’y a probablement rien de plus risqué que de tenter de redonner vie à un mythe. Prince of Persia est sans doute de ceux-là à l’échelle du jeu vidéo. Certes, la saga créée en 1989 par Jordan Mechner a donné naissance à de multiples titres, dont Les Sables du Temps reste sans doute le plus connu après l’original. Mais elle bénéficie d’une aura comme peu de jeux vidéo dans l’histoire.
Tous ceux qui y ont joué ont en tête les premières chutes sur les piques, la découpe dans les portes coulissantes et les crises de nerfs multiples à tenter de franchir un gouffre après maints sauts mal ajustés. Quand on s'est frotté à Prince of Persia, on s’en souvient. Quand on ne connaît pas, on découvre avec plaisir. Mais cela faisait près de 14 ans que la franchise
Respecter l’ADN et apporter sa pierre à l’édifice
Alors, quand Abdelhak Elguess et ses acolytes d’Ubisoft Montpellier ont eu l’idée de se lancer dans une nouvelle déclinaison, ça n’a sans doute pas été sans quelques suées à l’idée que le pari pouvait être sacrément risqué. Surtout quand un remake des Sables du Temps était dans tous les esprits et particulièrement attendu.

Le projet Prince of Persia – The Lost Crown a démarré il y a quatre ans. "Le pitch de départ, c’était de faire un nouveau Prince of Persia, tout en le modernisant", explique à Tech&Co Abdelhak Elguess, le producteur du jeu. "On voulait vraiment respecter son ADN et amener quelque chose de nouveau, avec un super héros dans la Perse légendaire."
En janvier 2020, une petite équipe 100% montpelliéraine se met alors en place. Son objectif: repenser une saga vieille de plus de 30 ans en lui apportant une touche de modernité pour attirer aussi de nouveaux joueurs.
"Notre premier travail a été de réfléchir aux piliers qui font un Prince of Persia," se souvient-il. "Il y avait l’aspect plateforme, les puzzles, le combat acrobatique, l’exploration et la narration qui étaient pour nous l’ADN de Prince of Persia. Et un élément qu’on voulait encore plus pousser: le temps."

Dans The Lost Crown, le temps est un élément essentiel dans l’histoire, les environnements et même dans les pouvoirs des personnages comme des ennemis. Et tout cela, les équipes d’Ubisoft Montpellier les ont associés à des notions modernes de gameplay. "La capacité technique qu’on a aujourd’hui permet de faire des choses impossibles il y a 15 ou 30 ans", souligne-t-il. "Aujourd’hui, on a des attentes notamment en termes de liberté de choix, de mouvement, que le joueur peut avoir avec son personnage. Et il fallait moderniser l’expérience de jeu en elle-même."
Un clin d’œil à la pop culture et aux mangas
Moderniser aussi visuellement le jeu. Prince of Persia – The Lost Crown a un héros nommé Sargon qui va passer du jeune impulsif au "guerrier extraordinaire" au fil de l’aventure. On suit son évolution dans ses capacités à travers l’histoire pleine de rebondissements de ce groupe baptisé Les Immortels parti retrouver le prince Ghassan enlevé.
"On voulait une histoire fantastique, avec des créatures légendaires qui ont inspiré beaucoup de la Fantasy actuelle", résume Jean-Christophe Alessandri, le directeur artistique du jeu, citant la Manticore que l’on croise dans de nombreux mythes du monde, mais qui est née dans celle de la Perse.

Le jeu opte pour le Metroidvania (un style de jeu qui va vous faire combattre, parcourir et reparcourir une carte d’un bout à l’autre pour progresser). Et l’histoire bien ficelée s’accommode parfaitement de ce format de jeu de plateforme, avec ses combats dynamiques qui nécessitent bien plus de finesse et de justesse que le style faussement enfantin le laisse croire. "Nos influences étaient des films comme Spider-Man into the Spider-Verse, l’animation japonaise, tout ce qui défie les lois de la gravité pour avoir des combats exceptionnels. Donc ça nous a menés à une direction artistique particulière", ajoute Abdelhak Elguess.
Car ce qui frappe en premier dans ce jeu, c’est sa patte graphique, très différente des précédents opus. "On est allé puiser dans la pop culture, dans le street art, la culture urbaine dans les mangas et les anime aussi", souligne Jean-Christophe Alessandri. Cela passe déjà par la typographie du nom du jeu, beaucoup plus stylisée qu’auparavant.

Sargon, le héros des temps modernes
"On voulait des codes visuels plus actuels qui permettent de parler de la Perse antique tout en la respectant et en la modernisant", ajoute Jacques Exertier, responsable de la narration et de l’animation. Le jeu se déroule avant l’arrivée de l’islam en Perse, lorsque la région était un carrefour de culture et l’équipe voulait que ça se ressente dans l’histoire comme dans la direction artistique. Sargon est ainsi un héros "métis qui symbolise cette mixité culturelle", avec un look moderne, mais tout de même l’emblématique ceinture bleue de Prince of Persia.
"On a essayé de faire un héros qui puisse s’inscrire dans la pop culture contemporaine, qui fasse écho et parle à une jeune génération qui n’a pas forcément connu les précédents Prince of Persia ou même le film”", résume Jean-Christophe Alessandri.
Au carrefour des influences et des âges, ce Prince of Persia – The Lost Crown a mobilisé plus de 400 personnes chez Ubisoft Montpellier fières de porter un tel projet né dans la plus grande discrétion. Ce qui est déjà un exploit en soi de nos jours. Des choix créatifs forts sans trahir ou tourner le dos au passé pour mieux réunir les anciens joueurs et les nouveaux. Un pari réussi pour la bonne surprise de ce début d'année.