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Comment Indiana Jones a donné naissance à Prince of Persia

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À l’occasion de la sortie de Prince of Persia – The Lost Crown, Tech&Co est allé s’entretenir avec Jordan Mechner, le créateur de la saga il y a 35 ans, pour revenir sur le parcours d’un jeu démarré comme une petite affaire familiale.

Créateur de jeux vidéo dès le milieu des années 1980 avec Karateka, c’est pourtant bien le cinéma qui a toujours trotté dans la tête de Jordan Mechner. L'Américain se rêvait en scénariste. Ce n’est sans doute pas sans raison que c’est un film qui lui donnera l’idée de Prince of Persia en 1989.

"Je venais de voir Indiana Jones (et les aventuriers de l’Arche perdue, ndlr). Le premier film où Indiana Jones saute et court", explique Jordan Mechner. "Il y a une porte coulissante qui se ferme et il tombe sur des piques. Je voulais faire un jeu de plateforme avec ce sens du danger, montrer que c’était un personnage de chair qui pouvait se faire mal s’il tombait." Il demandera alors à son frère de refaire les mouvements pour le filmer au camescope et reproduire image par image sur son ordinateur les futurs sauts du jeu.

Faire tomber son héros sur des piques au pays des 1001 Nuits

Ainsi, le plus célèbre archéologue-aventurier du grand écran a donc donné naissance à un héros de jeu vidéo voué donc à s’empaler et se retrouver en surplomb de précipices. "Évidemment!", s’amuse son créateur qui sous-entend que les personnages de l’époque comme Mario couraient et sautait également, mais sans avoir cette notion de poids et de danger. "On voulait apporter cette énergie d’un film d’aventure à un jeu vidéo", se rappelle-t-il.

Sauf que son Prince of Persia ne va pas se dérouler dans les contrées lointaines, la jungle ou toute autre époque moderne. Il choisit le cadre de la Perse antique, celle qui inspira Les Contes des Mille et une Nuits. Autant par affection pour l’imaginaire qu’en raison des contraintes techniques de l’époque.

"C’est peut-être un film comme Le Voleur de Bagdad de 1940 que j’ai vu à la télé, ou peut-être dans un livre de contes pour enfants", recherche Jordan Mechner parmi ses souvenirs pour retrouver le moment où il a été séduit par les parfums de l’Orient. Mais pour lui et pour son idée de jeu de plateforme, l’univers collait parfaitement: "Ce sont des archétypes universels. On reconnaît tout de suite qu’on est dans un palais des Mille et une Nuits. Notre imagination apporte le reste."

Les contraintes techniques de l’époque et des jeux en pixels s’accommodent parfaitement du décor ainsi trouvé. "Avec les graphismes pixelisés très simples de l’époque, c’était essentiel ce côté d’imagination du joueur qui remplit le reste. Notre imagination complétait le décor", explique le créateur devenu dessinateur de BD.

L'introduction du premier jeu Prince of Persia en 1989
L'introduction du premier jeu Prince of Persia en 1989 © Capture d'écran

Un succès qui ouvre des portes

Prince of Persia, premier du nom, sera un succès et marquera les esprits. "Je pense que Prince of Persia est arrivé à la fin des années 80 dans un timing parfait, au moment où le jeu vidéo était le symbole de la technologie moderne, avec une atmosphère plus ancienne", analyse-t-il avec le recul. Après une décennie 1990 de suites, en 2001, Ubisoft décide de racheter la licence et de donner naissance à Prince of Persia — Les Sables du temps (2003), sans doute le jeu le plus emblématique de la saga avec sa bascule en 3D et son adaptation ciné en 2010.

Depuis quelques années, Mechner a confié son bébé à d’autres, mais il reste intimement lié à sa création. Et lorsqu’on lui demande si ça l’embête que son nom soit toujours associé au jeu et qu’on lui associe le jeu comme s’il n’avait fait que ça, ça ne le dérange pas.

"C’est très touchant que les gens portent tellement d’amour à Prince of Persia, 35 ans après, et viennent encore me raconter leur expérience du jeu, leurs souvenirs", confie Jordan Mechner. "Ça me touche toujours d’entre que c’est un point de connexion entre les générations et dans les familles.

Il admet que le jeu lui a aussi ouvert des portes: "Ça m’a permis de faire plein de projets au cours des années, de travailler dans le cinéma, dans les jeux vidéo, dans la BD. Donc je suis très reconnaissant."

Jordan Mechner
Jordan Mechner © Tech&Co

The Lost Crown, le retour réussi du Prince

L’Américain vit depuis quelques années à Montpellier. C’est là qu’il a planché pendant deux ans sur Replay, la BD qui raconte la vie de sa famille sur trois générations avec le même sentiment d’avoir été déraciné pour survivre, à des niveaux différents. C’est là aussi qu’il se trouve, à quelques kilomètres du studio d’Ubisoft à Castelnau-le-Lez qui a repris le flambeau.

Et il connaît bien l’équipe en charge de Prince of Persia – The Lost Crown pour avoir côtoyé une partie de ses membres lorsqu’il avait planché sur un retour du Prince il y a sept ans. "Un projet finalement abandonné, mais qui a servi de racines à The Lost Crown" glisse-t-il.

Prince of Persia - The Lost Crown
Prince of Persia - The Lost Crown © Ubisoft

S’il n’a pas été impliqué dans la création du jeu, il se dit tout de même heureux de voir le résultat salué par la critique.

"Je suis tellement content qu’ils aient eu l’opportunité de faire ce jeu", reconnaît Jordan Mechner. "Ils ont fait un travail super intelligent, ont tout réuni avec un bon équilibre entre l’ancien, l’ADN, ce qu’on attend, et des choses nouvelles, inattendues."

Et de citer l’ADN du Prince of Persia comme le jeu en 2D ou des éléments qui rappellent Les Sables du Temps, "le fait que le temps va dans des directions que l’on n’attend pas", des personnages qui jouent avec le temps et des ambiances qui rappellent les anciens jeux, la mythologie perse. Il est aussi heureux de voir des éléments qu’il aurait adoré voir dans les jeux précédents, "mais on n’avait jamais trouvé le moment pour les mettre", regrette-t-il, saluant notamment la richesse d’environnements très variés et "la très bonne idée" d’avoir une équipe de guerriers (Les Immortels).

"En tant que joueur, c’est un vrai plaisir pour moi d’y jouer et de découvrir toutes les surprises qu’ils ont mises dedans. Si j’avais participé au jeu, je n’aurais pas eu de surprise en y jouant ni le même plaisir", s’amuse-t-il avant de retourner à la BD.

Melinda Davan-Soulas